par Robin Philpot
Plus de 7 milliards d’humains habitent notre planète. Seulement 5 % (350 millions) parlent l’anglais comme langue maternelle. On dit qu’environ un autre 5 % le parlent comme langue seconde, ce qui fait un maximum de 10 % de l’humanité.
Mais ce pourcentage va constamment en diminuant, selon plusieurs grands linguistes, parce que, tenaces comme tout, les langues nationales supplantent cette ancienne langue coloniale partout au monde, tout comme le font les langues nationales à l’égard d’une autre langue coloniale, le français.
À titre d’exemple, le haoussa, parlé par plus de 60 millions de personnes en Afrique de l’Ouest et surtout au Nigéria, devient la lingua franca à bien des endroits où l’anglais triomphait autrefois.
De même, le hindi, avec 360 millions de locuteurs – des chiffres qui rejoignent le nombre de locuteurs d’anglais – remplace l’anglais dans la vie quotidienne des citoyens du pays, l’Inde, qui, plus que tout autre, permettait aux chantres de l’empire britannique de clamer que le soleil ne se couchait jamais sur leur empire.
Hélas, force est de constater que le soleil se couche de plus en plus tôt sur l’empire de l’Anglophonie mondiale.
Devant cette tendance lourde, pourquoi Gérard Bouchard insiste-t-il, dans ces récentes interventions ainsi que dans le rapport qui porte son nom, que les Québécois doivent absolument se mettre à l’anglais? Si les langues nationales supplantent l’anglais partout pourquoi au Québec devrions-nous aller dans le sens contraire ?
Pour dorer la pilule, du moins dans le rapport qu’il a signé avec Charles Taylor, il a tenté, sans convaincre, de s’éloigner de l’esprit du Lord Durham : « l’anglais qu’il faut apprendre et parler aujourd’hui, écrivent les deux savants, ce n’est pas celui que Lord Durham voulait imposer au Bas-Canada après la répression des rébellions. C’est plutôt celui qui permet d’accéder à toutes les connaissances et d’échanger avec tous les peuples de la terre. Sinon, que signifie donc la fameuse « ouverture sur le monde » célébrée sur tous les tons depuis dix ou quinze ans ? » (p. 217)
Mais où est la différence entre le rapport du Lord Durham et celui signé par nos deux savants modernes ? Durham voulait permettre aux Canadiens, qui, selon lui, était peuple sans histoire et sans littérature, de joindre la grande civilisation mondiale que représentait alors l’empire britannique.
Bouchard veut foncièrement la même chose. Mais alors qu’à l’époque de Durham, l’anglais était sur une pente montante, au moment où Gérard Bouchard nous sermonne, cette langue se trouve sur une pente descendante.
Bref, il nous invite à troquer le français, seule langue officielle, qui se voulait, il n’y a pas si longtemps, la langue pour tous, pour tout et partout au Québec, pour un bilinguisme qui réduit nécessairement la place du français. En échange, selon Bouchard, nous pourrions « accéder à toutes les connaissances » et « échanger avec tous les peuples de la terre ».
C’est un marché de dupes ! Oui, l’anglais nous ouvre les portes des aéroports et de certains bureaux de tourisme, ou encore des salons ici et là que fréquentent Gérard Bouchard et Charles Taylor. Mais il faut bien d’autre chose pour « accéder à toutes les connaissances » et « échanger avec tous les peuples de la terre ». Heureusement, le monde ne se limite pas au 10% de la population mondiale qui parle l’anglais comme langue maternelle ou langue seconde.
Nous aurons de bien meilleurs échanges, d’égal à égal, dans le respect de l’un et de l’autre, autant avec cette minorité de 10% qu’avec l’autre 90% de l’humanité, si nous réaffirmons que le Québec est un pays de langue française et pas un pays bilingue et il le restera, tout comme l’Égypte est un pays de langue arabe, l’Italie un pays de langue italienne, le Brésil, de langue portugaise et ainsi de suite.
Par ailleurs, dans sa croisade pour l’immersion anglaise, Gérard Bouchard oublie de regarder dans sa propre famille, et en particulier le cas de son frère. Avocat brillant de la Commission Cliche, ce frère a pu mener une carrière remarquable dans le domaine juridique et arriver jusqu’au poste d’Ambassadeur du Canada à Paris sans maîtriser, de son propre aveu, l’anglais.
C’est seulement quand il a voulu faire de la politique fédérale pour le Parti conservateur qu’il s’y est mis. Et voilà, avec un peu d’effort, il à réussi à maîtriser cette langue à telle enseigne que la très anglophone et albertaine entreprise, Talisman, l’a embauché pour expliquer au bas peuple, dans la langue des indigènes, pourquoi il faut brader nos ressources naturelles.
Tout un tour de force, n’est-ce pas, réussi sans même passer par l’immersion anglaise en 6e année à l’école primaire de Saint-Coeur-de-Marie.