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PRIX GEORGES-ÉMILE-LAPALME

Une langue juste est le fondement de la communication.

«Si l’on ne dispose pas de mots, on ne peut pas développer sa pensée»

Solange Lévesque
Le Devoir
édition du samedi 13 et du dimanche 14 novembre 2004

«Je n’invente rien, je transmets», dit Jacques Languirand, pédagogue, auteur,
dramaturge, journaliste, concepteur-scénographe, passeur de savoirs, créateur et
animateur, entre autres, de l’émission-fleuve hebdomadaire «Par quatre chemins»
diffusée sur la première chaîne de la radio de Radio-Canada. Le souci de
s’exprimer avec justesse a toujours habité Jacques Languirand, aujourd’hui
récompensé pour son opiniâtreté à maintenir ses exigences quant à la qualité de
la langue, son instrument de communication.

Jacques Languirand ne cache pas son bonheur de recevoir le prix
Georges-émile-Lapalme : «Cet honneur me donne une espèce d’assurance qui va
peut-être me permettre de durer encore un peu. Ce n’est pas d’arriver qui est
difficile, mais de durer en se redéfinissant sans cesse», fait-il remarquer. Et
non seulement il a duré, mais il constate aujourd’hui que le public de son
émission rajeunit : «Parmi les personnes qui m’abordent pour me parler de Par
quatre chemins, plusieurs ont entre 20 et 30 ans.»

Certains l’appellent «Maître», ce qui le fait bien rire; lui s’appelle
«Centimètre» dans l’intimité. Jacques Languirand a toujours été près des jeunes.
Il a développé des amitiés avec des créateurs comme François Girard, Dominic
Champagne, Robert Lepage, parmi d’autres. à la demande de Lepage, il a
d’ailleurs incarné plusieurs rôles et fait une tournée internationale dans le
«Cycle Shakespeare» monté par la compagnie Repère en 1993.

Un maillon de la chaîne

Pour ce qui est de la défense d’une langue française juste, Jacques
Languirand se voit comme le maillon d’une chaîne : «Dans les premiers maillons,
je revois une institutrice qui nous corrigeait chaque fois qu’on faisait une
faute de français. Mon père aussi qui, toute sa vie, a consulté les
dictionnaires, qu’il prenait plaisir à critiquer et à commenter.» Il évoque
également le mouvement véhiculé à l’époque par la Société du bon parler
français, soutenu par les enseignants, et qui préconisait des petits moyens à la
portée de tous, comme d’apprendre «un mot nouveau chaque jour». «J’ai aussi
beaucoup appris de ceux que j’ai rencontrés en France, qui m’ont profondément
marqué : Pierre Emmanuel [qui devait plus tard devenir membre de l’Académie
française] qui corrigeait attentivement les textes que je préparais pour la
radio; Léon Zitrone, Charles Temerson… Et René Barjavel, lecteur d’une maison
d’édition où j’avais soumis un manuscrit pour qu’il me dise ce qu’il en pensait.

Sa leçon a été aussi simple qu’efficace : "Eh bien, je vais être franc avec
vous, c’est vraiment très mauvais", m’avait-il répondu. "Pourquoi n’écrivez-vous
pas comme vous respirez ? Ne cherchez pas à épater les Français, trouvez votre
souffle, c’est la seule façon." J’ai pris là une grande leçon de modestie. Il
avait tout à fait raison. Je pense que j’ai fini par trouver un souffle, à force
de faire de la radio. Depuis mon entrée à Radio-Canada en 1949, j’ai beaucoup
reçu d’hommes et de femmes de radio exceptionnels, qui s’exprimaient
magnifiquement : Guy Mauffette, inspirateur de premier plan pour moi, Miville
Couture et, entre autres, René Lecavalier, perfectionniste que j’ai déjà surpris
en train d’écouter les enregistrements de ses descr1ptions de parties de hockey
afin de traquer ses erreurs et d’améliorer ses descr1ptions.»

Le problème du français au Québec

La Révolution tranquille au Québec a amené les gens à s’exprimer davantage.
Le problème actuel de la langue française au Québec, selon Jacques Languirand,
n’est pas tant la vogue des mots anglais, mais plutôt les structures qui
s’anglicisent et la négligence dans le style.

Son émission Par quatre chemins l’amène à communiquer des extraits de livres
aux auditeurs : «Ce qui me frappe, c’est que les livres sont de moins en moins
bien écrits. On y sent souvent le rafistolage des réviseurs.» Jacques Languirand
souhaiterait que l’on examine de près les livres d’enseignement, que l’on se
préoccupe davantage de leur forme et de leur contenu. «Je peux paraître assez
conservateur, mais je suis disposé à dire "oui" au changement, quand il
s’impose.
Je déplore que l’on ait délaissé l’enseignement du grec et du latin, car les
racines de la langue m’apparaissent essentielles pour comprendre à fond
l’articulation de la langue qu’on parle. Les connaître nous permet de nous
approcher du sens des mots inconnus.

Je défie quiconque de ne pas trouver du plaisir en ouvrant le Dictionnaire
historique de la langue française, un ouvrage qui se lit comme un roman.»

Le rôle de la Société Radio-Canada

«La Société Radio-Canada a beaucoup contribué à étendre le vocabulaire et à
améliorer la qualité de la langue des Québécois. à cet égard, il est crucial
qu’elle ne baisse pas sa garde et continue de lutter pour la qualité du
français; or, on observe une diminution des exigences.» Ce relâchement,
pense-t-il, vient d’une volonté d’être soi-disant plus familier avec l’auditeur,
plus près de lui : «Or, ce qui a fait la spécificité de Radio-Canada, c’est
précisément une certaine distance respectueuse. Cette familiarité subite avec la
langue exigerait davantage de rigueur.»

Jacques Languirand a la conviction que la radio de Radio-Canada, notamment,
pourrait faire davantage. «Il faut constamment se reprendre en main, rester
vigilant, demeurer prudent. Le linguiste Guy Bertrand fait beaucoup et il le
fait bien, dans ses petites chroniques, mais ce n’est pas suffisant. On tient la
langue pour acquise; or il faut continuer de la cultiver toute la vie.»

La langue, instrument de la pensée

Aussi, l’optimisme de Jacques Languirand est-il relatif quant au français.
«Il faut que l’on voie un avantage à parler français; il faut qu’on se donne la
peine de se former. Mon père avait un "cahier de vocabulaire". Si on ne
travaille pas à donner ce goût, cette préoccupation aux gens, les efforts pour
conserver la qualité de la langue n’iront pas loin.» à la réception du prix, son
discours portera sur la nécessité d’avoir des mots pour penser : «Si l’on ne
dispose pas de mots, on ne peut pas développer sa pensée. La langue est une
réserve d’outils.» C’est pourquoi il tient à scruter les livres d’enseignement
pour voir où on en est et pour attirer l’attention sur les failles. «Mes
petits-enfants parlent un bon français, entre autres parce qu’on ne laisse pas
passer beaucoup de fautes à la maison; car si on n’a pas le mot juste, on
demeure dans l’approximation.»

Conscient de tout le travail qui reste à faire, Jacques Languirand ajoute :
«Ce prix va transformer mon vieil âge; je me sens plus que jamais résolu à faire
tout ce que je peux pour inciter les gens à aimer leur langue. Dans son récent
ouvrage, Michel Roy cite le regretté journaliste Jean-V. Dufresne qui disait :
"Ce n’est pas l’anglais qui menace le français, c’est le mauvais français." Je
suis d’accord.»

En 2001, la pièce de Jacques Languirand, Faust et les radicaux libres,
recevait le Prix spécial du jury au Concours international de théâtre de la
Fondation Onassis (Athènes, Grèce); elle sera enfin créée en France en 2006.
L’émission Par quatre chemins est diffusée le dimanche soir à la Première Chaîne
de Radio-Canada, de 20h à minuit.

Considéré comme le «père de la Révolution tranquille», Georges-émile Lapalme
(1907-1985) a été le premier titulaire du ministère des Affaires culturelles du
Québec. Le prix qui honore sa mémoire couronne la carrière d’une personne ayant
contribué de façon exceptionnelle à la qualité et au rayonnement de la langue
française parlée ou écrite au Québec, que ce soit dans le domaine de la culture,
des communications, de l’éducation, de l’administration, de la recherche, du
travail, du commerce ou des affaires.


http://www.ledevoir.com/2004/11/13/68364.html

(Cet article de l’édition du samedi 13 et du dimanche 14 novembre 2004 du
journal Le Devoir est diffusé par le groupe de discussion «
Pour-le-Pays-du-Quebec ».)

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