Langue et commercialité
Lettre ouverte à l’émission Médias
Objet : émission Médias, SRC, 11 hres, dimanche le 26 nov.’00.
(Rediffusée sur le câble à l’antenne de RDI, samedi le 2 déc. à 10:30)
J’apprécie de manière générale cette émission originale et non dénuée de fraîcheur, animée par une dame charmante et à la langue (rare aujourd’hui, à Radio-Canada comme ailleurs) agréablement châtiée.
Réjouissez-vous sans gêne de ces paroles, car il n’est pas dans mes habitudes depuis quelques années à vrai dire, et ce n’est pas un scoop, depuis que Mme Sheila Copps et son gouvernement tentent d’utiliser le medium comme instrument de propagande de "flatter" une chaîne qui ressemble de plus en plus à un french doublet de la Canadian Broadcasting Corporation…
Mais venons-en à l’objet précis de mon propos.
Votre reportage concernant la publicité mobile, notamment à Montréal, m’a fait puissamment sursauter. Non pas "votre" travail en lui-même, certes professionnel, mais plutôt en considération des interrogations critiques que le contenu amène, selon moi, à formuler sans attendre au plan de la langue en particulier. D’abord, vous n’avez dit mot, pas un seul, sur le bilinguisme intégral auquel, «sans foi ni loi» et «sans compter», se donnent et s’adonnent ces péripatéticiens (tous sens confondus) du verbe dollarisé. Mais peut-être après tout avez-vous sciemment "choisi" de laisser l’opportunité à l’auditeur, par l’image du reste fort parlante, de se constituer sa propre opinion…? à nouveau, recevez cette remarque à mains ouvertes, puisque voilà encore (faiblirais-je, ma foi?) une fleur offerte des miennes à Radio-Canada. Quoique bien entre nous semblable «finesse» s’apparentât plus spontanément aux manières de Mme Line Pagé qu’à celles du mastodonte radiocanadien pris dans son ensemble.
Vous faites part à votre auditoire du «vide juridique» qui prévaudrait relativement à ce mode de publicité. D’où assurément une réflexion à tenir dans les plus brefs délais. Ce qui m’a toutefois littéralement catastrophé c’est, on s’en doute, l’irrespect de la réglementation linguistique québécoise dont font preuve ces entreprises visiblement dotées d’une arrogance gonflée à l’hélium. La loi est pourtant d’ores et déjà très claire à cet égard. Sauf erreur du soussigné, le bilinguisme dans l’affichage commercial (d’ailleurs balisé) n’est autorisé que sur les lieux mêmes d’un établissement. C’est ce qui explique, par exemple, que les grands panneaux "plantés" partout dans le paysage urbain affichent chez nous en français, et en français seulement.
Or ces publicités nouvelle manière transgressent impunément les lois en bilinguisant systématiquement chaque message. Voilà derechef une façon de banaliser notre langue dans notre propre demeure, et de la fragiliser d’autant. C’est rigoureusement inacceptable. Le message de ces publicitaires (pas subliminaire pour deux sous tellement l’arrogance et le mépris sans retenue constituent la règle) se révèle dès lors très clair: Québécois, vous vivez dans une société bilingue! Faites vos jeux! Faites votre choix! As you wish. Et surtout, en corollaire, que les citoyens préoccupés de leur langue abaissent les yeux avec humilité…
Or, nonobstant que la chose ait été dite et redite mille fois depuis des décennies, dans le contexte de l’extrême minoritarisation du français en Amérique (permettez ce néologisme plus neutre, moins dénonciateur, que minorisation), pareille attitude n’a rien, mais vraiment rien à voir avec l’«ouverture-à-l’autre». Il s’agit toujours en effet de miner/laminer la langue française, de l’affaiblir, de la "désofficialiser", de l’investir au sens militaire du vocable pour enfin, à terme, la neutraliser. Le français non plus langue officielle et véhiculaire du Québec, mais bien ‘une’ langue parmi d’autres.
Pendant ce temps, dans le reste du Canada et dans toute l’Amérique du Nord, l’ouverture-à-l’autre n’est autre chose que …l’accueil exclusif à Myself. Le régime de la culpabilisation permanente, c’est valable mais valable uniquement, dira le «master maître» pour contrer les ridicules velléités de dignité d’une collectivité minoritaire. C’est ainsi par exemple (dérisoire illustration entre cent et une mais ô combien révélatrice de tout le travail de sape continu et généralisé à tous les niveaux de la vie sociale) que les mêmes circulaires commerciales largement bilingues partout en Québec sont outrageusement unilingues anglaises en Canada en dépit notamment que deux établissements d’une même bannière, disons Loblaw’s pour l’occasion, soient situés à dix minutes l’un de l’autre de part et d’autre d’un «pont bridge» entre les rives ontarienne et québécoise de l’Outaouais (incidemment, le pluriel de la toponymie officielle, Rivière des Outaouais, est peut-être plus bavard que toutes les groceries comparées)*. Bref, accepter ces panneaux-gyrophares-roulants-bilingues sur nos routes, c’est une fois de plus nous tirer dans la bouche à grandes détonations de bêtise suicidaire.
Aussi je demande formellement à la Commission de Protection de la Langue française du Québec (CPLF), à qui j’achemine la présente en copie conforme, de mettre fin à ces manoeuvres de mise en marché qui méprisent tout en un, ouvertement et au grand jour, et notre régime de droit et la nation québécoise tout entière.
Jean-Luc Gouin
Sec.ours@vif.com
Québec, ce 27 nov.’00
* Le texte de Nicolas Sylvestre aidera ici le lecteur à saisir le détail de la chose.
c.c. : Info@CPLF.gouv.Qc.ca et Media@Montreal.radio-canada.ca