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JE VOUS VIENS DE LOIN


Discours patriotique

Je vous viens de loin



Je vous viens de loin. Je vous viens de très très loin.

Je vous viens d’une île depuis le centre de ma bouche où je déferle des
mots rouges de vie; autant de mots que Saint-Malo a déferlé de nefs portant
nos ancêtres jusqu’aux berges de l’Outaouais.

Je vous viens de l’Est, d’un ruisseau qui s’est jetée en rivière, d’une
rivière qui s’est donnée à l’océan et qui s’est rendue jusqu’au bord de ce
fleuve où je vous parle d’elle.

Je vous viens du 24 juin 1608, d’une langue royale baptisée par la sueur
et le sang d’hommes et de femmes dont les cris survivent dans ma gorge.

Je vous viens aussi d’un 24 juin 1760, d’une langue menacée, qui a été
brûlée, qui a été interdite, mutilée et je porte aujourd’hui en bouche les
marques de cette avanie auxquelles elle a survécu et les leçons apprises par
rapport au respect de la beauté de ma langue et de celle des autres.

Je vous viens d’un 24 juin 1850, je vous viens d’une langue qui, en dépit
de la menace qui planait sur elle, a su créer ses écoles et ses journaux; et
je porte aujourd’hui en bouche les mots de ceux qui avaient soif d’en
apprendre d’autres.

Mais je vous viens aussi d’un 24 juin 1968, d’une langue qui me précède,
que l’on a reconquis par l’amour de la poésie et du théâtre, et je porte
aujourd’hui en bouche les mots de ceux qui avaient soif de savoir et
d’horizons.

Je vous viens de ce 24 juin 2003, et j’ai déjà en bouche les mots que
porteront à leur tour ceux qui me suivront : une langue de diversités et de
richesses, de cultures aux multiples beautés, une langue généreuse de
promesses.

Ces mots, tous ces mots, appartiennent à ceux qui me précèdent, ceux qui
me succèdent et à ceux qui m’écoutent ou me lisent. Ces mots me servent de
scaphandre : ils me permettent de plonger dans l’abîme de l’histoire et de
remonter vers nous. Ces mots, je ne les ai qu’empruntés pour mieux vous les
remettre, pour mieux vous dire, que cette île où je vis et que je porte en
bouche s’appelle langue, qu’elle vient de très très loin, que j’y vis auprès
de mes ancêtres et que j’y mourrai bien avant d’avoir entendu la voix des
enfants à venir et qu’à elle seule, aussi petite qu’elle soit, elle peut
porter l’histoire et la vie de tout un continent, de tout un monde, de tout
un peuple, aussi vaste et éternel qu’un amour. Un amour, comme tous ceux
qu’on nous présente : insatisfaisant parce qu’incomplet, incomplet mais plus
que parfait parce qu’il ne correspond pas tout à fait à l’identité de
l’heure, parce qu’il est toujours en train de se donner naissance dans la
bouche de ceux qui la parlent.

Je porte en bouche l’amour de cette langue, grosse de ses cultures et des
Saint-Jean-Baptiste à venir, et je vous l’offre depuis l’île d’où je vous
viens et où nous sommes nés. Bonne Saint-Jean, bonne Fête nationale !

Denis Mateo
Ambassadeur
L’Outaouais en fête
édition 2003

Le 27 mai 2003

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