Monsieur le Président de la République,
En septembre dernier vous annoncez vouloir proclamer Villers-Cotterêts capitale de la Francophonie. En 1539 l’identité nationale recevait en ce lieu son sceau le plus précieux : la langue française.
Et en même temps vous réussissez l’exploit d’être le premier chef d’État de la France, depuis 1539, – à la consternante exception de M. Giscard d’Estaing en… Louisiane – à refuser d’utiliser notre langue nationale lors de plusieurs allocutions. À Davos vous utilisez un long moment l’anglais (« anglo-ricain » conviendrait mieux…) sans rien pour vous y contraindre – Madame Merkel s’exprima plus fièrement en allemand. Mieux, ou pire, recevant des investisseurs étrangers à Versailles vous avez le front de vous exprimer… en anglais.
Ce faisant vous encouragez le monde à tourner définitivement la page d’un temps où le français, à égalité avec l’anglais, régissait l’ONU, l’Europe, les Jeux Olympiques, notamment. À quoi bon en effet utiliser un dialecte renié par son premier ambassadeur ?
La question que vient de vous poser le député Jean-Luc Mélenchon situe bien la vertigineuse descente aux enfers du français, langue de la diplomatie (?) *
Vous revendiquez la fierté d’être Français. Votre vibrato évoque à l’envi un grand peuple, une grande nation.
Et en même temps vous tournez le dos à notre langue, sceau identitaire d’une grande nation. Le sang de notre esprit (Unamuno). Notre vraie patrie (Camus).
Garant suprême de l’application de la loi, votre conduite doit prêcher d’exemple. La loi du 4 août 1994, dite « Loi Toubon », fait obligation aux entreprises publiques – ou à toute entreprise recevant une aide ou une participation d’une collectivité publique, à commencer donc par l’État – de respecter certaines règles, comme l’utilisation du français dans toute forme de communication. Si cette communication fait l’objet de traductions, elles doivent être deux au minimum.
Et en même temps, vous – chef de l’État – laissez sans hésitation les entreprises visées, partiellement à capitaux d’État, égrener le chapelet du reniement national. Que quatre exemples suffisent à illustrer. « The Christmas fever » by Orange. « Air France is in the air » by Air France. « Committed to better energy » slogan français de Total. Finissons en beauté avec la SNCF déclinant tout de go : Happy Hour, intercités, ID-Nights, S’miles, TGV Family, Rail Team, Oui Go, Happy card. And so on.
Et, toujours dans le même temps, votre gouvernement finance illégalement des événements en contravention avec la loi. Quatre exemples encore : « Goût de France good France » parrainé, pardon sponsorisé, par les Affaires étrangères. « My french film festival » épaulé par la Culture ! « Free Flight World Masters » avec l’appui du Ministère de la Défense ! Finissons en beauté avec la participation de la DRAC Pays de Loire au « So film summer camp » de… Nantes !
Et encore dans ce même temps, la France, premier pays au monde en terme de tourisme, décline trop systématiquement une communication illégale bilingue qui, loin d’apporter au prestige de notre langue donc de nos valeurs, contribue à leur désuétude.
La communication nationale doit légalement se faire en français. Cela tombe à pic, vous-même ne cessez de protester de votre attachement à notre langue. Jusqu’à envisager, au Burkina Fasso, d’en faire à terme la première langue du monde.
Tomber, ou couler à pic ? En même temps, invitant les industriels du monde à s’installer en France… vous optez pour « Choose France Internaltional business summit » comme dénomination du raout. Vous prenez des initiatives tricolores… elle se nommeront « Pionniers French Impact », ou encore « make our planet great again », » One Planet Summit » …
Votre gouvernement finance des organismes tels le CILF et diverses commissions de terminologie censées proposer des déclinaisons françaises pour les nouveaux concepts
Et en même temps vous multipliez les barbarismes – tels « start-up nation » , « task force » « bottom up », « top down », farouchement secondé par la plupart des membres du gouvernement.
Ce gouvernement finance largement la Francophonie .
Et en même temps votre participation à l’anglo-ricanisation de la planète vous mérite le courroux des nations non-françaises. Ainsi, la « société Jean-Baptiste » de Montréal liste-t-elle dans un récent courrier à votre intention les « mauvaises habitudes » d’un pouvoir français se donnant à l’anglais **. » Surtout, ces mauvaises habitudes en viennent à causer des dommages collatéraux chez nous, au Québec Banalisent la progression de l’anglais dans tous les domaines, et favorisent ce que j’appelle la « coolonisation » des plus jeunes générations ». Nous vous épargnerons les amers reproches adressés à la France du reniement par le très respecté Abdou Diouf. Vous eut-il pratiqué, les reproches eussent encore gagné en virulence.
La langue de la Francophonie porte des valeurs précieuses : l’humanisme des Lumières, l’universalité de la culture, la précision de la communication. Vous savez avec quelle vigueur certaines des figures emblématiques de la Francophonie en déplorent d’autant la dérobade française.
Que dire enfin de l’opération d’embobinage baptisée « Mon idée pour le français » et ouvrant sa page Internet par l’inouïe suggestion d’une… masterclass ? Les organes de terminologie retiennent « classe d’interprétation ». Mais qui s’en soucie ?
Nous parvenons donc au triste constat suivant. Le candidat déclarant « la colonisation est un crime contre l’humanité » déroule le tapis rouge au colonialisme anglo-américain. Par tant, il participe au naufrage du pluralisme, notamment culturel.
Notre collectif vous demande d’opter pour une position claire. Ou bien, mettant vos pas dans ceux d’un passé abhorré, vous acceptez résolument de suivre le chemin « d’une collaboration loyale avec l’occupant ».
Ou bien, loin d’effacer la loi Toubon comme on vous en prête l’intention prochaine, vous la renforcez. Et surtout lui donner les moyens de s’appliquer. Ce qui n’est pas vraiment le cas.
En clair, Emmanuel Macron assume le statut de chef de l’État français, avec fierté, lucidité, fermeté.
Ou bien non.
Croyez, Monsieur le Président, à l’assurance de notre parfaite considération.
Les responsables du collectif « Langue française » :
Pour la Belgique Benoit Winckelmans Bruxelles
Pour le Canada Jean-Paul Perreault Montréal (Président du Mouvement Impératif français)
Pour la France Dr Pauline Belenotti Marseille, Louis Maisonneuve, La Ciotat (Président d’Observatoire des Libertés) et Régis Ravat Nîmes (AFRAV, Association Francophonie Avenir)
Pour la Suisse Philippe Carron et Jacques Badoux, Lausanne
LANGUE FRANÇAISE 250 chemin du Baguier 13600 La Ciotat 06 76 24 24 01
*Ainsi, d’après le recensement fait par l’organisation internationale de la francophonie, sur les 63 sites internet de l’ONU, seuls 11 sont véritablement multilingues. Dans les trois quarts des procédures de recrutement, l’anglais est la seule langue obligatoire requise et le manuel d’instruction à destination des personnes souhaitant poser leur candidature n’est disponible qu’en anglais. Par ailleurs, 90 % des documents reçus par les services de traduction de l’ONU à New York sont rédigés en langue anglaise, de même que 80 % de ceux reçus à Genève. Les documents rédigés en français ne représentent respectivement que 4 % et 10 % des documents.
https://melenchon.fr/2017/12/12/question-ecrite-place-de-langue-francaise-a-lorganisation-nations-unies/
** « En particulier, il n’y a aucune raison pour que les grandes multinationales diffusent, en France, des slogans publicitaires dans une langue étrangère à celle de la République. A fortiori, l’État devrait se montrer exemplaire en n’encourageant d’aucune façon les réflexes diglossiques vers l’anglais que l’on peut lire, voir et entendre, chaque jour qui passe, dans l’espace public français. Cette médiocrité linguistique, induite par l’omniprésence de la culture anglo-américaine, nuit au français et à la France elle-même. Elle étiole la grandeur de la République, et l’idée que l’on peut se faire d’elle.
Surtout, ces mauvaises habitudes en viennent à causer des dommages collatéraux chez nous, au Québec, car elles banalisent la progression de l’anglais dans tous les domaines, et favorisent ce que j’appelle la « coolonisation » des plus jeunes générations. Sans doute, d’aucuns n’y voient qu’un effet de mode ne présentant aucun danger notable. C’est peut-être vrai dans votre pays, qui n’est assurément pas à la veille de passer à l’anglais, mais il faut savoir que pour les « Français du Canada », le parler bilingue a toujours été l’antichambre de l’anglicisation. C’est ainsi que depuis les débuts de la mal nommée Confédération canadienne, la proportion de francophones y est passée d’environ 34% dans les années 1860, à 25,7% en 1971, à moins de 20,3% en 2016…
Il ne s’agit pas de se fermer à l’anglais… Cependant, nul besoin pour aller vers l’autre, de s’aliéner à lui. Ainsi, c’est une chose que d’apprendre l’anglais. Mais c’en est une autre que d’angliciser tout un peuple.
Cette « adresse » au Président de la République lui a été envoyée le 11 février 2018.
Elle émane d’un collectif inquiet de la déliquescence de la langue française.
Pour l’instant, les représentants de ce collectif viennent de Belgique, du Canada, de France et de Suisse.