Même le chien qui doit passer à l’anglais s’il veut son nonosse ou des câlins !
Quand je suis tombé sur ce dépliant de la commission scolaire de Laval et que j’ai pris la peine de le lire attentivement, eh bien, les deux bras m’en sont tombés, puis la moutarde m’est montée au nez. Examinons ce qui a bien pu me mettre dans cet état…
Destiné aux parents d’élèves des écoles primaires lavalloises, le dépliant s’intitule « Suggestions et ressources pour stimuler l’apprentissage de l’anglais langue seconde à la maison ». À première vue, il n’y a rien de mal à proposer des outils pour aider nos enfants à mieux maîtriser une matière scolaire, comme à bien apprendre leurs leçons et faire leurs devoirs. Dans ce dépliant, réalisé par Christine Baida, on invite donc les parents à encourager les efforts de leur progéniture dans l’apprentissage de l’anglais langue seconde « en l’aidant à se créer un petit environnement linguistique à la maison ».
L’idée semble louable en soi, mais quand on la scrute de plus près, on se rend bien compte que l’entreprise est pour le moins ambitieuse, voire envahissante. Le « petit environnement » proposé ressemble davantage à un envahissement, voire à une invasion de l’anglais dans le cocon familial. En effet, on demande aux parents de promouvoir à la maison un environnement culturel anglais. On invite à lire aux enfants, avant le coucher – même quand l’anglais des parents est laborieux – des livres en anglais; on les invite à les abonner à des journaux et des magazines en anglais, à se procurer dans les librairies et les bibliothèques des livres en anglais, etc. Voilà pour la lecture, mais on ne s’en tient pas qu’à ça, oh que non ! On opte pour l’écoute de la radio et de la télé en anglais. On énumère un grand nombre de chaînes généralistes et spécialisées anglophones et un éventail d’émissions pour les jeunes que celles-ci diffusent jusqu’à plus soif. À côté de cela, il faut bien l’avouer, la télé francophone ne fait pas le poids. Mais le dépliant ne s’en tient pas qu’aux émissions spécifiques pour la jeunesse. Il suggère aussi que toute la famille se mette à l’anglais, par exemple, en regardant le match de hockey du samedi soir en anglais plutôt qu’en français… comme le fait toute bonne famille canadienne qui se respecte d’un océan à l’autre.
Le dépliant suggère aussi l’écoute de chansons en anglais; que les balades en voiture deviennent l’occasion pour la famille de chanter tous en chœur en anglais. Parmi les sites Internet suggérés, on insiste sur le site « Enfants Québec » (soutenu financièrement par le gouvernement du Canada par l’entremise de Patrimoine Canada). Sur ce site, on informe les parents que le plus tôt sera le mieux pour apprendre l’anglais, précisant entre autres que les services de garde du Québec n’ont aucune contrainte linguistique à respecter. Les parents ont donc le champ libre pour inscrire leurs enfants dans des milieux bilingues ou même unilingues anglais. N’est-ce pas formidable ?
Mais l’auteure du dépliant, qui est aussi membre de la direction de l’organisme SPEAQ (Société pour le perfectionnement de l’enseignement de l’anglais langue seconde au Québec) a plein d’idées dans son sac pour favoriser son « petit environnement » propice à apprendre l’anglais… pour ne pas dire propice à passer tout court à l’anglais en disant « Bye bye le français » ! Donc, voici en vrac quelques-unes des suggestions lumineuses du dépliant : en auto, on syntonise un poste anglais; au marché d’alimentation, on lit les étiquettes des produits en anglais seulement; au restaurant, on demande à la serveuse un menu en anglais; on inscrit ses enfants à un camp de vacances en anglais; on pratique une activité ou un loisir en anglais; au moins une fois par semaine, le repas familial doit se décliner uniquement en anglais; les jeux de société doivent se dérouler en anglais; et on suggère d’adopter un animal de compagnie en faisant croire aux enfants que celui-ci ne comprend que l’anglais. Beau programme que tout cela, où une grande partie de la vie familiale se déroule en anglais de préférence au français, y compris le chien qui devra passer à l’anglais s’il veut son nonosse ou des câlins !
Tous les parents ont à cœur que leurs enfants réussissent à l’école, que ce soit en mathématiques ou en quelconque matière, mais a-t-on besoin de beurrer à ce point épais quand il s’agit de l’anglais ? Le français est minoritaire au Canada, si bien que sa pérennité est toujours menacée. Laval est actuellement l’une des régions qui s’anglicise de plus en plus. Elle possède deux grands complexes cinématographiques et on constate chaque année que les écrans qui présentent des films en langue anglaise ont tendance à augmenter. L’autre jour, j’étais dans une rôtisserie bien connue du boulevard Saint-Martin, et j’ai constaté que le jeune personnel francophone me s’adressait au gérant qu’en anglais. Les chansons qu’on y entendait étaient, vous l’aurez sûrement deviné, en anglais. La clientèle était pourtant pour sa part largement francophone, même si on la reçoit désormais avec l’ineffable « Hi, bonjour ! » Eh bien, fiez-vous à la commission scolaire de Laval, avant longtemps les jeunes familles exigeront des menus en anglais et parleront en anglais au cours du repas… comme cela l’anglais n’aura plus de secret pour personne et deviendra tout normalement… la langue commune ! Et certains se demandent naïvement comment il se fait que les jeunes à Star Académie et à La Voix junior sont si nombreux à pousser leur chanson en anglais plutôt qu’en français… Imaginez dans dix ans, quand toute cette belle jeunesse aura un « petit environnement » anglais à la maison… on vivra comme aux États-Unis !
Jean-Pierre Durand