« Dis-moi ce que tu chantes et je te dirai ce qu’on te laisse écouter à la maison, à l’école… »
Le français chanté, un délice pour la langue dans les cantines scolaires
Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce qu’on te sert à la maison ou à la cantine scolaire, ou ce que te propose le menu du resto. C’est une évidence. Qu’on le veuille ou non, ce que l’on sert à la maison ou à l’école, fait partie de l’éducation alimentaire. Ce que nous proposent les restaurateurs n’est pas de l’éducation alimentaire, c’est le pire et le meilleur de l’alimentation. Les parents et, depuis quelques années, les écoles abdiquent-ils, sous prétexte de l’offre alimentaire grandissante à l’extérieur des murs de la maison et de l’école, leur rôle de premier éducateur alimentaire ? Certes non.
De même, les parents et les écoles abdiquent-ils, sous prétexte de l’offre musicale grandissante à l’extérieur des murs de la maison et de l’école, leur rôle de premier éducateur culturel ? Certes oui. C’est ce qu’on peut conclure du triste constat pour la société québécoise du récent Forum sur la chanson québécoise : l’anglais chanté a la faveur des jeunes québécois. Dis-moi ce que tu chantes et je te dirai ce qu’on te laisse écouter à la maison, à l’école et dans les médias de communication. En effet, bien des parents et de nombreuses écoles ont abdiqué leur rôle de premier éducateur culturel.
Face à ce triste constat, l’école a l’obligation de reprendre son rôle de premier éducateur culturel et de donner aux jeunes le goût de la langue française chantée. Comme l’a démontré le conseil d’établissement (c.é.) de l’école Louise-Trichet de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), l’actuelle Charte de la langue française ne suffit plus, pas plus que la Loi sur l’instruction publique (LIP) ou même la Politique culturelle et linguistique de la CSDM.
Pour l’histoire, en décembre 2010, le c.é. de l’école Louise-Trichet adoptait deux résolutions, étayées par la Politique culturelle et linguistique de la CSDM, sur le contenu linguistique de la musique diffusée à la cantine scolaire. En substance, ces résolutions imposaient de faire passer progressivement, de la fin de l’année scolaire 2010-2011à l’année scolaire 2011-2012, le contenu linguistique à 100% anglophone de la chanson diffusée à la cantine à un « temps d’antenne » à 100 % francophone, conditionnellement au soutien de la CSDM…
Un an plus tard, en novembre 2011, la présidente de la CSDM, Mme Diane de Courcy, affirmait sa volonté, lors de la reddition publique des comptes de la commission scolaire, d’appliquer la Politique culturelle et linguistique de la CSDM, fondée sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme, sur deux Déclarations et une Convention de l’UNESCO, sur la Charte de la langue française, sur la Loi sur l’instruction publique (LIP) et cinq autres politiques et déclarations de ministères et de la CSDM. Force est d’admettre aujourd’hui que cette volonté n’était que velléité puisque la présidente ajoutait du même souffle qu’il n’y aurait pas de « police de la langue à la commission scolaire ». Et comme de fait, la résolution du c.é. de l’école Louise-Trichet appelant, en vertu de la LIP, la présidente du conseil des commissaires à faire respecter la Politique culturelle et linguistique de la CSDM est tombée dans l’oreille d’un sourd.
Malheureusement pour la société québécoise, en général, et pour la société montréalaise gagnée par une immigration allophone, en particulier, les élèves de l’école Louise-Trichet, à l’instar des élèves de plusieurs écoles secondaires de la CSDM, écoutent toujours en 2012-2013 uniquement de la musique anglophone à la cantine scolaire.
Étonnement, même si la Charte et la LIP consacrent le français comme langue des services administratifs et des services éducatifs des écoles des commissions scolaires francophones, ces deux lois cantonnent les services éducatifs à la langue d’enseignement uniquement (Charte art. 72 et LIP, art. 210). De même que les articles précédents, l’art. 22 de LIP stipule qu’ « il est du devoir de l’enseignant de prendre les mesures nécessaires pour promouvoir la qualité de la langue écrite et parlée » [dans sa classe]. Autrement dit, pour le français hors de la classe, point de salut ! Et vive l’anglais à la cantine et les spectacles estudiantins !
Lors même que les élèves confondent de plus en plus l’orthographe de la langue anglaise et de la langue française – dance, exercise, object –; lors même que les Commissions scolaires doivent appliquer le Plan d’action sur l’enseignement du français[1], et qu’elles ont dorénavant l’obligation de résultats et de « diplomation », le conseil d’établissement de l’école Louise-Trichet a non seulement démontré que l’actuelle Charte de la langue française, la LIP, le Politique culturelle et linguistique de la CSDM ne suffisent pas à la valorisation de la langue française à l’école, mais il a aussi démontré qu’il faut la même volonté politique pour faire découvrir les délices de la langue française chantée que la volonté qui a fait découvrir les délices pour la langue dans les cantines.
En conclusion, il faut, Mme la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles et ministre responsable de la Charte de la langue française, élargir la portée de la Charte de la langue française en reconnaissant de jure la transmission de la culture dans l’œuvre éducative de l’ensemble de la vie scolaire des commissions scolaires francophones du Québec et de leurs écoles.
Benoît Bergeron
Enseignant et membre du conseil d’établissement de l’école Louise-Trichet. Cette opinion est celle de l’auteur et non celle du conseil d’établissement de l’école Louise-Trichet.
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Adresses utiles :
Marie Malavoy
ministre de l’Éducation
ministre@mels.gouv.qc.ca
Diane De Courcy
Ministre responsable de la Charte de la langue française
cabinet@micc.gouv.qc.ca