À l’occasion du premier Forum mondial de la langue française, initiative de l’Organisation internationale de la francophonie, notre capitale nationale, Québec, accueillera, du 2 au 6 juillet 2012, des amoureuses et des amoureux de la langue française. Depuis des mois, des personnes consciencieuses préparent conférences, ateliers, tables rondes où des représentantes et des représentants de plus d’une centaine de pays réfléchiront, discuteront et échangeront sur les enjeux relatifs à la place et à l’avenir de la langue française au sein de la Francophonie et dans le monde. Les études les plus savantes, les idées les plus novatrices, les outils les plus à jour seront proposés pour assurer la pérennité du français en ce XXIe siècle. Ce grand rassemblement sera aussi festif, car il permettra l’éclatement artistique et culturel dans un français de tous les horizons, de tous les accents. Parce que le français m’habite, parce que je suis de la Francophonie, parce que ma vie professionnelle, à l’instar de celle de mes collègues de toutes les régions du Québec, a été consacrée à la promotion et à la valorisation du français au Québec, aujourd’hui, je me donne le droit de rêver à l’avenir du français et de partager ce rêve avec celles et ceux qui le voudront bien.
Mon rêve, il a pris naissance dans les formes d’une porteuse d’eau en bronze qui a voyagé du Burkina Faso jusqu’à moi, dans le sac à dos d’une amie. Une nuit, dans un demi-sommeil, j’ai cru entrevoir que la porteuse d’eau et moi avions un point en commun, soit celui d’être des porteuses, elle, une porteuse d’eau, moi, une porteuse de mots. Au matin, une fois dissipées les brumes de la nuit, j’ai compris toutefois que le jeu de mots devait s’arrêter là, car l’eau étant source de vie, la porteuse de mots que je suis devait s’incliner devant ces femmes porteuses d’eau, porteuses de vie, que ce soit au Burkina Faso ou partout ailleurs dans le monde. Mon amie, à qui j’ai fait part de mon malaise, trouva toutefois la bonne formule, non seulement pour moi, mais pour toutes les femmes porteuses d’eau, porteuses de mots, d’ici et d’ailleurs, car selon elle : « Bien que la porteuse d’eau donne la vie, la porteuse de mots permet de donner du sens à cette vie. »
J’ai donc pensé à toutes ces femmes qui nous ont précédés au Québec et ailleurs et qui ont porté le français comme un flambeau qu’on transmet de génération en génération pour nommer nos rêves, nos sentiments, mais aussi aux femmes et aux hommes qui ayant le français comme langue l’ont utilisé pour nommer nos métiers, nos machines dans nos usines et sur nos chantiers. À l’ère des technologies de l’information et de la mondialisation, les échanges linguistiques entre les francophones seront plus nombreux, ce qui ne signifie pas pour autant que ces mêmes francophones ne continueront pas à utiliser des mots qui leur soient propres, puisqu’ils sont enracinés dans un contexte géopolitique et culturel unique. Toutefois, il faudra construire des ponts avec des enfants, des femmes, des hommes d’ici ou d’ailleurs pour aimer, vivre, travailler et chanter en français.
Pour construire ces ponts, notre langue, le français, devient un trait d’union, un tremplin parce que lorsque nous parlons en français, lorsque nous travaillons en français, lorsque nous chantons en français, lorsque nous protégeons nos parcs naturels en français, lorsque nous cultivons nos terres en français, nous sommes 220 millions de francophones à bâtir un monde où le français devient une richesse naturelle. Maintenant, il nous appartient à chacune et à chacun, où que nous soyons sur la planète, de livrer cette richesse à nos enfants et petits-enfants pour qu’à leur tour ils découvrent le poids et le pouvoir des mots en français. Cependant, toutes les meilleures volontés du monde ne sauront remplacer la volonté politique des gouvernements de la Francophonie à faire du français une langue à portée nationale et internationale, et ce, sans compromis et sans complaisance, dans un contexte de diversité linguistique où le « tout anglais » n’a pas sa place.
Dans cette perspective, le Québec, à n’en point douter, doit renforcer la Charte de la langue française, qui aura 35 ans cet été, pour que le français occupe tous les espaces, de la scène aux chantiers de construction, de la garderie aux écoles supérieures. Tous les enfants du Québec, toutes origines confondues, doivent avoir accès aux meilleures conditions possibles d’apprentissage du français afin de développer une maîtrise de celui-ci avant de se tourner vers d’autres horizons linguistiques. Pour cette raison, nombre de personnes et d’organismes disent « non » à l’anglais intensif en sixième année du primaire, programme que veut imposer le gouvernement du Québec et dont le bien-fondé n’a jamais été prouvé dans une société où l’anglais est omniprésent et épouse des formes toujours plus attrayantes auprès des jeunes.
Au cours du printemps érable québécois, mon rêve n’aura pas été vain, en effet, qui d’entre nous n’a pas été fier d’entendre les Léo, Martine et Gabriel, nos leaders étudiants, prendre la parole avec brio et s’exprimer dans une langue à saveur planétaire. Claude Léveillée chantait : Mon pays quand il te parle, tu n’entends rien tellement c’est loin, loin, loin… Aujourd’hui, il nous appartient de parler plus fort, plus loin parce que cette façon de parler notre langue ne signifie aucunement un repli sur soi, mais plutôt un arrimage moderne à la Francophonie en communiquant avec celle-ci à partir de notions clairement définies, dans un dictionnaire de chez nous, qui respectent l’histoire, la géographie, la vie sociale, culturelle et politique du Québec. La fierté n’a pas de prix, n’a pas de frontières, alors pourquoi priver les générations futures d’ici et d’ailleurs de la fierté de parler et de vivre en français!
Monique Bisson,
ex-professionnelle à l’Office québécois de la langue française, Gatineau