La RATP procède à une campagne de recrutement destinée à ceux qui « aiment la ville » (voir ci-contre). La communication utilisée n’a, bien entendu, pas pu résister à la tentation anglomaniaque, d’autant moins que le message est évidemment surtout destiné aux jeunes gens. D’une manière générale, on sait du reste qu’en manière d’anglomanie RATP et SNCF c’est, en somme, bonnet blanc et blanc bonnet (voir, par exemple, mon courriel du 25/12 sur les annonces de sécurité mentionnées en anglais sur une ligne du RER exploitée par la SNCF). Concession, avec une manifeste répugnance, à la loi Toubon, sur l’affiche de la RATP, en bas et à gauche, on peut apercevoir, avec de très bons yeux, la traduction : « Il love my city : j’aime ma ville« . En très petits caractères, pour qu’elle soit pratiquement invisible …
En revanche, on ne peut manquer de remarquer sur cette publicité (Aujourd’hui en France du 14/02) l’évidente allusion, appuyée, au fameux slogan « I love NY » (pour New York), que l’on pourrait considérer comme usé jusqu’à la corde à force d’être plus ou moins imité dans le monde entier par de nombreuses villes en mal de notoriété, mais qui continue cependant de rencontrer un très grand succès (il s’agit en fait d’une marque déposée en 1977 par un publicitaire mandaté par l’État de New York). Chaque capitale, chaque grande ville veut désormais avoir, elle aussi, « sa » marque, celle qui saura la distinguer, lui donner le caractère « branché » que veut exprimer le très à la mode logo « I love NY ». On rivalise de jeux de mots plus ou moins percutants, affligeants ou même ridicules, évidemment anglo-saxons (ce qui ne peut manquer de souligner la richesse, la modernité, la pertinence du message, tandis qu’user d’une autre langue nationale serait un signe de médiocrité, de « passéisme« , de « crispation identitaire« , d’ignorance).
Le recours à ces logos-slogans est caractéristique des démarches entreprises par de plus en plus de grandes villes pour leur promotion (la démarche se situe généralement à l’échelon de la métropole). Les spécialistes en la matière, qui ne demandent qu’à s’exprimer en anglais, appellent cela le « city branding« , une pratique en plein développement (brand signifie marque en français). A l’heure de la mondialisation néolibérale, la compétition fait en effet rage entre les collectivités locales pour attirer les ressources rares que sont les résidents, les touristes, les capitaux, les emplois (publics et privés) et aussi les évènements sportifs, musicaux, culturels ou autres. Plongés eux aussi dans un univers concurrentiel, les élus, de France et de Navarre, aspirent désormais à gérer leurs administrations publiques comme des entreprises commerciales (qui leur servent à tous de modèle d’excellence). Le mimétisme est aujourd’hui à peu près parfait. Partout, en France surtout depuis le début des années 1980 et les premières lois de décentralisation, ont été créées, au sein des administrations publiques territoriales, des unités de « communication » dotées de substantiels budgets, souvent en croissance notable d’une année sur l’autre. Mais cela ne leur suffit pas, elles ont aussi recours (à grands frais pour les contribuables) aux cabinets de conseil et aux agences de communication pour définir leur stratégie de différenciation, pour faire connaître urbi et orbi leurs atouts et leurs projets, pour essayer d’améliorer l’image de leur ville. Il est à remarquer que le discours nouveau fréquemment utilisé par les élus locaux et par leurs services pour essayer d’attirer des investissements met désormais volontiers l’accent sur la nécessaire « relocalisation » des activités de production, alors qu’auparavant ils ne tarissaient pas d’éloges sur les bienfaits du libre-échange tandis que les délocalisations industrielles, pourtant massives depuis de nombreuses années, les laissaient apparemment de marbre.
Voici quelques exemples de slogans européens typiques de ce « city branding« . Pour la capitale de l’Espagne, le résultat des cogitations a produit « Madrid about you« . Aux Pays-Bas, on a retenu « I Amsterdam« . L’ancienne capitale des Gaules a elle aussi aussi trouvé son slogan : « ONLYLYON » (cette bizarre fantaisie, apparemment toujours en majuscules et en un seul mot, a sans doute été retenue parce que le mot « only » n’a pas seulement le mérite, incomparable aux yeux des publicitaires, d’être anglais, il est aussi une anagramme de Lyon). Paris est à la traîne, semble en panne et chercher encore le sien. Les « experts » – cela ne surprendra personne – disent que Paris a impérativement besoin d’une marque, tandis que d’autres avis font valoir que son aura planétaire suffit amplement (ce serait le point de vue de l’Office de tourisme). Le slogan que l’on voit sur l’annonce de la RATP n’est qu’une banale copie passe-partout du célèbre « I love NY » utilisée, pour la circonstance, par l’agence de communication à laquelle elle a fait appel.
Jean-Pierre Busnel