Le Québec pourrait difficilement avoir une identité nationale plus complète et couvrant plus de points de vue sur la question de la nature d’une identité. En plus d’être scientifiquement une nation à part entière, son existence comporte une importante dimension liée à un choix identitaire conscient et volontaire d’une grande partie de sa population et est solidifiée et concrétisée dans la vie politique. Devant de telles circonstances, la reconnaissance officielle d’une nation québécoise ne devrait surprendre personne. La véritable surprise est que cette décision ne soit pas venue plus tôt et surtout qu’elle n’aille pas plus loin. En effet, je ne crois pas être le seul à être déçu par le refus d’Ottawa de reconnaître le Québec comme une nation autrement qu’en nom. En effet, nous avons beau être extrêmement différents, nous sommes traités d’une façon identique aux autres provinces canadiennes. Je vous laisse le soin de juger de la légitimité de cette situation.
Une nation incontestable
Voilà près de deux siècles que le débat sur l’identité du Québec fait rage. Il y a quelques années, le gouvernement libéral du Québec a reconnu l’existence d’une nation québécoise. Ce que je me souviens d’avoir ressenti le jour où j’ai entendu cette nouvelle n’est rien d’autre que de l’indifférence, chez moi-même et chez presque tous les gens dans mon entourage. À mes yeux, peu importe que soit reconnu un fait déjà prouvé. C’était un peu comme si on me disait qu’avait été reconnue la forme sphérique de la planète Terre. Ici, au Québec, nous savions déjà que nous étions une nation, jusque dans le nom que nous donnions depuis des décennies à notre législature, nous savions que nous étions une nation. Ceci est prouvé sans l’ombre d’un doute en observant les différentes définitions du concept de nation. Bien que celles-ci varient grandement selon les idéologies et les écoles de pensée sociopolitique, on en conserve généralement deux principales.
La première, française, provient de la philosophie du Siècle des lumières. Selon elle, une nation représente un ensemble d’individus liés par la volonté de vivre et d’évoluer ensemble en tant que collectivité. Ce serait donc une vision active de l’identité nationale dans laquelle les membres de la nation feraient le choix de leur appartenance nationale. Cette vision très démocratique, participative et citoyenne de la nationalité est bien évidemment très fortement liée aux idées libérales des Lumières et à la Révolution française. Toutefois, une autre définition, sans être nécessairement meilleure, est plus souvent évoquée en sciences sociales, notamment dans les domaines de la politique et de la sociologie. Cette seconde vision, allemande cette fois-ci, est plus récente et plus scientifique que la première. Selon cette dernière, une nation est un peuple, habitant un territoire défini, dont les membres sont liés par une histoire, une langue et des traits culturels communs. Cette nouvelle approche est désormais passive. Selon cette définition, on ne choisit pas sa nation, on naît, vit et meurt avec la même nationalité, que cela nous plaise ou non. Cette façon d’exprimer la notion de nation est certes moins charmante que la première, surtout du point de vue citoyen et démocratique. Toutefois, il faut lui reconnaître beaucoup plus de rigueur empirique. Enfin, on ne peut parler de nation sans aborder le sujet de l’existence politique. Pour plusieurs, les termes pays et nation sont synonymes. Bien que cette vision soit trop simpliste, il est vrai que l’État-nation est la forme normale d’existence nationale de nos jours et que, même les nations reconnues, mais non indépendantes, disposent dans bien des cas d’une certaine existence politique, un peu comme le Québec ou d’autres entités telles que l’Écosse au sein du Royaume-Uni.
Faisons toutefois attention de ne pas quitter le vif de notre sujet. Comment pouvons-nous qualifier, étant donné les divergences théoriques, la nature nationale du Québec? À mon avis, l’identité québécoise et son existence nationale peuvent être transposées dans chacune des deux principales définitions d’une nation, tout en demeurant une réalité politique. Commençons avec la qualification française et plutôt philosophique de la notion nationale. Rappelons-le, cette vision perçoit la nation comme résultant d’un désir collectif de vivre ensemble, d’un choix d’appartenance. D’habitude, je n’aime pas beaucoup cette façon de voir les choses. Même si je désirais de tout mon cœur devenir un Finlandais, même si j’ai beaucoup d’admiration pour cette nation, je n’en serai jamais un. Toutefois, pour ce qui est du Québec, les choses sont quelque peu différentes. Depuis quatre siècles, il s’agit d’une terre d’accueil pour des arrivants de plusieurs origines différentes. Aux premiers occupants algonquins et iroquoïens sont venus tout d’abord s’intégrer des Français qui furent suivis par d’autres. Bien que le peuple canadien-français soit demeuré majoritaire, toutes ces communautés sont venues s’ajouter en laissant leur marque. Or, tous ces gens ont fait le choix actif de s’intégrer et d’adopter le Québec comme identité nationale. La multitude de peuples à s’être établis au Québec fait aujourd’hui partie intégrante du caractère identitaire du Québec. Le meilleur exemple moderne est la communauté haïtienne. Les Haïtiens demeurant aujourd’hui au Québec se considèrent en grande partie comme Québécois, ceux-ci s’identifiant à notre peuple et à nos valeurs et, bien sûr, partageant notre langue. Il y a donc, dans l’identité québécoise et à mon avis, dans l’identité de toutes les nations coloniales, un élément très fort de désir commun d’exister ensemble. Il est donc possible, au moins en partie, de qualifier la nation québécoise à l’aide de la vision française.
Toutefois, la vision allemande exprime également des éléments primordiaux à l’existence d’une nation québécoise. Selon cette école de pensée, une nation existe parce qu’un peuple, habitant un territoire défini, partage une histoire, une culture et une langue commune. Bien que cette opinion puisse être nuancée, il est incontestable qu’une nation ne peut exister sans ces quatre éléments. Pour ce qui est de notre cas, en tant que peuple, les Québécois habitent un territoire défini, limité par une frontière politique et reconnu dans une constitution. Du point de vue de l’Histoire, nous avons dernière nous un passé colonial, une conquête, des révoltes, des années d’oppression et une période de changements sociaux accélérés que nous avons traversé collectivement en tant que peuple et qui nous unit. En matière de culture, le Québec a ses propres valeurs, plus sociales et libérales que n’importe où ailleurs en Amérique du Nord, des arts caractéristiques, un folklore extrêmement fort et des particularités telles que notre attachement sentimental au territoire naturel québécois. Enfin, bien entendu, rien ne nous caractérise ni ne nous qualifie plus que notre langue. Tout d’abord, nous sommes la grande nation francophone d’Amérique du Nord, ce qui nous rend différents de tout le continent. De plus, notre français est lui-même un facteur identitaire, nous différenciant des autres francophones. Nous parlons une langue plus ancienne avec une forte influence de notre histoire et des expressions unique au Québec. Vue de cette façon, la québécitude peut être perçue comme quelque chose d’inné, voire d’imposé, mais il est vrai que nul Québécois ne peut nier son identité, aussi désireux qu’il puisse être de le faire. Pour cette raison, on peut dire que du point de vue académique et théorique, le Québec est une nation à part entière. Par conséquent, l’existence nationale du Québec prend deux formes différentes. L’une, acquise, vient de l’acceptation, à travers les générations, de l’identité québécoise par les nouveaux venus et l’autre, innée, provient du caractère identitaire imprégné en chacun de nous, et ce, que nous le voulions ou non. Par contre, c’est du point de vue politique que se manifestent concrètement ces considérations théoriques.
En effet, sans être un véritable État-nation, le Québec dispose tout de même d’une très forte existence politique qui vient concrétiser notre existence nationale. Nous disposons d’une province au sein d’une fédération, ce qui, sans être autant que ce à quoi ont droit la plupart des nations du monde, nous confère tout de même une certaine autonomie. Bien que l’existence politique ne soit pas à mon avis un critère pour qualifier en tant que telle une nation, l’histoire politique du Québec ne fait que témoigner de notre particularisme. Depuis la conquête, nous avons notre propre territoire de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent, notre principal foyer de peuplement. Nous avons toujours ressenti un antagonisme politique très fort devant la puissance conquérante et, depuis la Confédération, même les gouvernements fédéralistes défendent farouchement les compétences du Québec devant les ingérences et, à plusieurs reprises, ont tenté de les étendre. Sans vouloir analyser en profondeur cette question, le contexte politique québécois ne laisse en aucun cas douter de la particularité nationale québécoise. Pour cette raison, le critère politique souvent associé au terme « nation » peut lui aussi être incorporé à la situation québécoise, ce qui, en fin de compte, donne au Québec une nature nationale extrêmement riche.
En conclusion, le Québec pourrait difficilement avoir une identité nationale plus complète et couvrant plus de points de vue sur la question de la nature d’une identité. En plus d’être scientifiquement une nation à part entière, son existence comporte une importante dimension liée à un choix identitaire conscient et volontaire d’une grande partie de sa population et est solidifiée et concrétisée dans la vie politique. Devant de telles circonstances, la reconnaissance officielle d’une nation québécoise ne devrait surprendre personne. La véritable surprise est que cette décision ne soit pas venue plus tôt et surtout qu’elle n’aille pas plus loin. En effet, je ne crois pas être le seul à être déçu par le refus d’Ottawa de reconnaître le Québec comme une nation autrement qu’en nom. En effet, nous avons beau être extrêmement différents, nous sommes traités d’une façon identique aux autres provinces canadiennes. Je vous laisse le soin de juger de la légitimité de cette situation.
Félix Laverdière-Pilon
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