Le cliché ci-contre a été pris dans la commune de Combourg, à 39 kms au nord de Rennes, où l’illustre François-René de Chateaubriand (1768-1848) passa une bonne partie de sa jeunesse (c’est pourquoi on la qualifie couramment de "berceau du romantisme"). Il montre, disposé sur le trottoir devant une petite boutique, un panneau d’affichage commercial qui se veut bilingue afin d’attirer les anglophones de passage amateurs de "new producs" (sic). Le bilinguisme, que les pouvoirs publics français appellent de tous leurs voeux – état réputé idéal dans lequel chacun s’exprimerait et penserait, sans difficulté, dans deux langues avec un niveau de précision identique dans chacune d’entre elle – n’est rien d’autre qu’une parfaite utopie (politique). Une marche forcée en ce sens ne pourrait-elle pas plutôt contribuer à généraliser, pour le plus grand nombre, comme on le voit avec cet exemple, une sorte de "bi-illettrisme", aussi bien en français qu’en anglais ?
L’anglicisation de l’espace urbain en Bretagne est particulièrement rapide et impressionnant. Deux raisons à cela : les touristes anglais y sont nombreux, mais aussi, et le phénomène est plus nouveau, beaucoup d’Anglais, notamment des retraités, ont choisi de s’y établir parce qu’ils apprécient particulièrement cette terre de France où ils sont parfaitement intégrés. C’est ainsi que le pays de Ploërmel, dans le département du Morbihan, était récemment présenté par la presse régionale comme le "haut lieu de l’implantation anglaise en Bretagne" (pour mémoire, rappelons que la bonne cité de Ploërmel fut "occupée" quelques années par les Anglais durant la seconde moitié du XIVème siècle, lors de la "Guerre de Succession de Bretagne"). Mais voilà que le phénomène est, paraît-il, en train de s’inverser. La cause, économique, du reflux observé étant la forte dépréciation, surtout au quatrième trimestre de 2008, de la livre sterling par rapport à l’euro qui a fortement amputé le pouvoir d’achat des Anglais résidant en France, surtout celui des pensionnés (le 20/10/2008 le taux de change était de 1,30 euro pour une livre sterling et seulement de 1,02 le 29/12/08, deux mois plus tard; il est d’environ 1,13 en ce moment).
A propos de multilinguisme, le porte-parole de M. Leonard Orban, commissaire européen en charge du multilinguisme précisément, a déclaré tout récemment ceci (extrait du quotidien Ouest-France en date du 21/02/09) : "L’Irlande et le Royaume-Uni ont beaucoup négligé l’apprentissage des langues. Le taux de personnes qui affirment parler une seconde langue y est très bas. Quant aux Etats-Unis, c’est devenu un désert linguistique." La prétention à l’hégémonie linguistique des pays anglophones ne fait donc que se renforcer au fil du temps. Comme l’avait fort bien dit le professeur Bernard Lecherbonnier dans son très remarquable "Pourquoi veulent-ils tuer le français ?" (chez Albin Michel, 2005) : "Ce principe de l’égalité et de la réciprocité est rejeté par nos partenaires anglo-saxons qui s’arc-boutent sur leur propre unilinguisme : c’est, reconnaissent-ils franchement, pour contraindre le restant du monde à parler anglais qu’ils se refusent eux-mêmes à enseigner et à apprendre les langues du monde." L’instauration d’un bilinguisme franco-anglais en France ne ferait évidemment que servir cette stratégie de conquête au détriment de la langue française. Au nom de l’"ouverture au monde" et de sa marchandisation, pour essayer de donner le change de la modernité, une telle politique, faisant, bien légèrement, litière de ce principe de réciprocité pourtant fondamental dans les relations internationales, porte surtout la marque de la résignation, de l’abandon, de l’abdication.
Jean-Pierre Busnel