On sait que le milieu sportif est l’un des plus perméables qui soient à la déferlante anglomaniaque. Ainsi, depuis quelques années déjà, les joueurs professionnels de football opérant en France n’ont plus d’entraîneur. Ils ne connaissent plus ce mot. Désormais, ils ont tous un "coach" et quand, au cours d’une compétition quelconque, celui-ci modifie la composition de son équipe avec succès, la presse saluera son "coaching". De même, autre exemple parmi une foule d’autres, une chaîne de télévision thématique telle qu’Eurosport, dédiée aux activités sportives comme son nom l’indique, n’emploie plus jamais le mot "direct" pour qualifier ses reportages. Elle a décidé, un beau jour, de le rayer définitivement de son vocabulaire au profit de "live", dorénavant imposé systématiquement aux téléspectateurs français.
S’agissant de la violence dans les stades, on emploie depuis longtemps déjà le terme de "hooligan", dorénavant très lié au football, pour désigner un adepte du recours à la force au cours des compétitions sportives. Selon certains, ce mot aurait été mentionné pour la première fois à Londres, à la fin du XIXème siècle, en référence à un certain Patrick Hooligan, régulièrement impliqué dans des bagarres.
Il y a du nouveau en la matière : voici venu le temps du "fight". Le mot désigne cette fois des batailles rangées, codifiées, organisées en dehors des stades et des compétitions, opposant des "supporters" d’équipes différentes qui se donnent rendez-vous pour en découdre. Il paraît que ces affrontements sont généralement filmés et diffusés ensuite sur internet où ils prolifèrent et rencontrent énormément de succès auprès des adolescents et des jeunes gens. Comme l’a dit le quotidien L’Equipe dans son numéro du 14 décembre dernier (voir un extrait en pièce jointe) : "la violence monte d’un cran" (et pas seulement dans le monde du sport, mais dans tous les plis de la société).
On remarquera que le haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur qui est interrogé dans cet article emploie le mot "fight" comme si les Français ne connaissaient que lui, comme s’il figurait aux dictionnaires de la langue française depuis des lustres. La presse écrite en fait du reste généralement de même (le mot n’est pas mis entre guillemets, ni en italique). Il y a, décidément, chez beaucoup de Français, surtout parmi "l’élite hors sol déliée de tout enracinement" (l’expression est du philosophe Alain Finkielkraut), un indéniable snobisme à recourir à l’anglais qui serait un marqueur de distinction et de promotion sociales, une sorte de délectation à emprunter des mots importés, comme s’ils étaient les seuls à pouvoir exprimer la modernité. Et nulle autorité publique ne semble se soucier un seul instant de leur forger un équivalent en français, comme si la langue de Molière était appelée à devenir une langue morte …
Jean-Pierre Busnel
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