Par Nicolas Dupont-Aignan, jeudi 27 septembre 2007 à 15:28 :: Réflexion
L’Assemblée Nationale vient de ratifier à main levée le fameux protocole de Londres supprimant l’obligation de traduction en Français des brevets s’appliquant dans notre pays.
Pour la première fois depuis Villers-Cotterêts sous François Ier, des textes en langues étrangères pourront faire foi dans l’enceinte de nos tribunaux ! Ce véritable coup de poignard asséné dans le dos de la langue française a été porté avec une parfaite inconscience par une petite majorité de Députés obéissant aux ordres de l’UMP et du PS.
Dans chaque parti cependant, des voix libres ont souligné la gravité et l’absurdité de cet accord. De Pascal Clément, à l’UMP, à Michel Vauzelle, au PS, en passant bien sûr par les communistes ou les gaullistes, la résistance s’est organisée. Mais le poids des deux principaux groupes l’a finalement emporté.
C’est la revanche des milieux d’affaires, après sept ans d’attente, puisque la ratification avait été bloquée par le Président Chirac grâce à la mobilisation des scientifiques, des universitaires, de l’Académie Française et de personnalités politiques de tous bords. Il était stupéfiant hier après-midi de voir à quel point les mots d’ordre des grands groupes français, qui déposent beaucoup de brevets et ne veulent plus les traduire en français par souci d’économies de bouts de chandelles, étaient entonnés en chœur, avec cynisme ou naïveté, par les apparatchiks des partis de gouvernement.
Les débats de cet après-midi ont jeté une lumière crue sur «l’ouverture sarkozienne» : une complicité totale entre la gauche néolibérale et la droite à la sauce Medef. Messieurs Jouyet et Novelli, main dans la main sur les bancs du Gouvernement. Messieurs Lequiller et Moscovici, main dans la main sur les bancs des Députés. Leur argumentation est habile, alternant menace et appel à la «modernité» : pour réussir dans la mondialisation, il faut s’y fondre, s’y soumettre, la devancer en la singeant dans ses aspects mêmes les plus injustes et les plus étrangers à nos propres valeurs, à commencer par la diversité linguistique et culturelle.
Que vaut alors l’égalité du citoyen devant la langue, c’est-à-dire devant la loi ? Plus grand-chose manifestement, puisque nos législateurs ont implicitement accepté que l’anglais devienne la principale langue des affaires dans notre pays ! «Nul n’est censé ignorer la loi», alors tous à l’anglais et au trot ! D’ailleurs, c’est ce qu’affirme donc dans son dernier livre, toute honte bue, le ministre des Affaires étrangères lui-même : «Après tout, même riche d’incomparables potentiels, la langue française n’est pas indispensable : le monde a bien vécu avant elle. Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient».
Quant à nos intérêts économiques, ils sont de même sacrifiés. En effet, ainsi que j’ai fait valoir avec Jacques Myard, Jean-Pierre Brard, Pascal Clément ou Michel Vauzelle, les économies dérisoires bientôt réalisées par quelques multinationales auront pour contrepartie un transfert de charge démultiplié sur le dos des PME qui, pour connaître l’état des brevets, devront désormais payer elles-mêmes les frais de traduction en français. A moins que l’insécurité juridique créée par ce protocole ne les dissuade purement et simplement d’innover. D’autant que les multinationales anglo-saxonnes et japonaises vont pouvoir beaucoup plus facilement saturer le marché européen de leurs dizaines de milliers de brevets, dont la raison d’être même est bien souvent, selon leur tradition, d’étouffer toute concurrence.
Fatalement, en faisant sauter le verrou de l’obligation de traduction ce protocole va accélérer le déclin du français et ridiculiser notre pays au sein de la Francophonie.
Lors de mon intervention à la tribune, je voyais les visages de bon nombre de mes collègues qui savaient que nous disions vrai mais ne s’apprêtaient pas moins à commettre l’irréparable.
Car, comme toujours dans ce genre de circonstances, les avocats du renoncement expliquent habilement aux indécis qu’il vaut mieux un mauvais compromis qu’une résistance par nature risquée. De compromis en compromis, de lâcheté en lâcheté, d’abandon en abandon, que l’on ne s’étonne plus alors de voir notre pays perdre la volonté de se battre, lui qui assiste impuissant à l’affligeante capitulation de ses élites.
Avec beaucoup de dignité, celle des convictions sincères et du refus de la soumission aux fausses fatalités, les opposants au Protocole de Londres ont exprimé, chacun avec leurs mots, un appel vibrant à la liberté de la France.
Curieux et triste spectacle hier soir d’une Assemblée Nationale au 9/10ème vide qui a soigneusement évité la tenue d’un scrutin public. Une telle procédure aurait obligé à l’individualisation des votes ce qui n’aurait sans doute pas aidé à la ratification honteuse de ce traité !
Il ne faut cependant pas céder au doute (« ce cancer de l’âme » disait de Gaulle), mais au contraire garder espoir que les Français finiront par mesurer combien ils sont été trahis et se relèveront comme ils l’ont toujours fait au cours de leur histoire. Nous devons donc tenir bon et travailler au redressement ! Même si parfois il est dur de vivre de tels moments.