Robert Laplante
Cest le supplice de la goutte deau. Et ça dure depuis 1977. Autant dire
depuis toujours. Cest une affaire dobscénité. Le Canada ne la jamais
acceptée, la loi 101. Et son refus a été tellement viscéral quil en a
bouleversé son ordre constitutionnel, quil a adopté sa Charte pour lui faire
obstacle et la dénaturer. Et pour le faire à la canadian. Cest-à-dire par un
habile et sournois mélange de censure, doblitération et de juste ce quil faut
de répression pour que le tout soit encore présentable dans une justice
travestie. Ainsi donc, la loi na-t-elle pas été désavouée mais bien plutôt
amputée de lessentiel, la clause Québec. La Charte canadienne a été conçue et
utilisées pour transformer une loi fondatrice en instrument de consécration de
notre statut de minorité.
Et puis, de bataille rangée en jugement mitigé, ce quil en est resté a-t-il
été rogné lentement. Toujours selon la même méthode hypocrite qui vise à donner
à une Cour un mandat politique : celui dinterpréter une constitution illégitime
et de sen servir pour éroder, sans trop quil ny paraisse, ce qui peut rester
de matériau daffirmation du fait national dans la promotion du français. Cela
vient de se poursuivre cette semaine. Le Canada continue et se continue sur les
choix que Trudeau a radicalisés dans un coup déclat dramatique dans lequel les
Canadians ont reconnu un geste fondateur.
La négation de notre peuple reste au coeur de sa raison détat.
Il ne sétait pas mépris ce Trudeau. Il avait bien vu que la loi 101
constituait un geste de rupture. Cétait un saut qualitatif. Une mutation. Une
minorité qui tout à coup se comporte non pas seulement en majorité mais en
entité nationale, cela navait plus rien à voir avec une politique linguistique.
Il ny a toujours eu quune nation au Canada et il était temps de prendre les
grands moyens pour que cela soit réaffirmé une fois pour toutes. Notre présence
ne sera tolérée dans ce pays quen tant que minoritaire. Et encore, ne le
sera-t-elle quaux conditions quon nous fixera. Cest ce que vient de faire,
une fois de plus, la Cour suprême. Elle décide de ce qui est acceptable ou pas.
Elle dicte au gouvernement du Québec à quelles conditions il peut avoir des
exigences à légard des immigrants. Le message est clair: le Canada est lultime
interprète de ce que peut faire lAssemblée nationale du Québec et de la façon
dont sapplique ses lois. «La loi 101 passe lexamen» titre Le Devoir ( 1
avril). La Cour a donc jugé cette loi acceptable en regard des règles qui ont
été conçues et mises en place pour la rendre inoffensive, pour ne lui
reconnaître de portée que dans la logique de minorisation où létat canadian
entend nous tenir.
Il pouvait bien soupirer de soulagement, le Benoît Pelletier de la
soumission. Se réjouir de ce quOttawa exige quelque chose de lui, pour, en
retour, lui faire insigne honneur de le considérer comme un bon serviteur de
lordre constitutionnel conçu pour saper la loi et les intentions qui la
fondent. Ils sont contents, les libéraux, de se faire parler de
constitutionnalité de la loi 101 quils ont pourtant combattue avec acharnement
lors de son adoption. Ils en niaient la signification nationale. Maintenant
quelle en a été extirpée, ils nont aucun malaise à la voir comme une
manifestation de lévolution canadian et à proclamer leur attachement à ce grand
symbole québécois.
Car il faut bien reconnaître que cette loi na plus rien à voir avec ce
quelle était à lorigine. Il nen reste que des lambeaux que le Canada peut
désormais se permettre deffilocher lentement. Le tout se fait sous un juridisme
excessif qui donne un vernis de légitimité à lentreprise. qui a pour but den
extirper tout ce qui peut répondre dune authentique logique nationale. Pour le
Canada, elle nest et ne peut être quune loi daménagement du statut de
minoritaire reposant, au surplus, sur une équivalence hypocrite et fausse, de la
précarité de deux minorités, invention chimérique pour travestir la négation de
notre réalité nationale. Les concessions faites sur laccessoire ne servent plus
alors quà renforcer lidée que la loi est respectée. Elles nont pas manqué les
voix soumises pour nous dire que ce jugement permettait de préserver léquilibre
actuel. Un équilibre où, faut-il le rappeler, la fréquentation à lécole
anglaise augmente dannée en année. De si peu, diront les pseudo-pragmatiques
faisant semblant d’ignorer les sabliers et larithmétique.
Le grand geste de rupture qui a donné au Québec un extraordinaire avant-goût
de ce que cela peut être que de se gouverner soi-même pour ses propres intérêts
nationaux, ce grand geste nest plus quun symbole creux. Un symbole dangereux
même, puisque la préservation de ce quil reste de cette loi dénaturée sert
désormais de paravent pour le consentement actif à notre propre minorisation. La
loi 101 est devenue une loi canadian, elle a été retournée contre elle-même,
contre ses intentions premières.
La Cour suprême est venue redire que rien de ce qui est fait dans le cadre
provincial ne peut être pérennisé. Le Québec se fait moudre lentement. Et son
destin minoritaire est tout tracé: la lutte perdue davance pour protéger les
acquis, la consolation de se reconnaître des victoires à chaque fois que les
pertes sont moindres que ce que lagression laissait craindre, la résignation de
se voir sans cesse refaire le plaidoyer pour obtenir un sursis. Bref, la
survivance dans une précarité vécue comme essentiellement déterminée par la
magnanimité du Canada.
Le grand geste de rupture initial ne pouvait conserver sa portée et sa force
mobilisatrice que dans linsoumission. Jamais un gouvernement souverainiste
naurait dû consentir à la clause Canada. Au lieu que de se soumettre au premier
jugement de ce tribunal étranger, il fallait plutôt faire une autre loi et
ouvrir une véritable guerre constitutionnelle. Il aurait fallu opposer la
légitimité québécoise à lillégitimité canadian. Cest-à-dire sinscrire dans le
conflit en refusant de se mouler dans la gestion provinciale. Mais ils nont pas
manqué les conciliants qui ont fini par ramper jusquau Centaur pour sexcuser
davoir à vivre avec des gestes que deux-mêmes ils nauraient pas poser.
Il est inutile de dénoncer un ordre constitutionnel sans passer aux actes. Le
Québec na jamais consenti officiellement à la manoeuvre constitutionnelle de
1982, mais il a fait pire. Il sest comporté comme si son refus navait pas de
conséquence. Ses adversaires continuent den profiter.
L’Action NATIONALE
(Le 4 avril 2005)