Vous pouvez éventuellement réagir aussi auprès d’Yves Daudigny <
contact@cg02.fr >, pas forcément aussi
longuement, pas forcément aussi sévèrement… 😉
A l’ATTENTION DE MONSIEUR YVES DAUDIGNY, Président du Conseil Général de
l’Aisne
Monsieur le Président,
Après avoir distribué un cédérom d’apprentissage de l’anglais dans chaque
foyer de l’Aisne pour un coût de 80 000 euros, puis lancé une campagne
publicitaire axée sur une communication en anglais avec 400 affiches collées
dans les couloirs du métro parisien avec des messages suivants : "Rock Aisne
Roll", "Peace Aisne Love", "Aisne it’s open !", le Conseil général dont vous
êtes président affiche son site <
www.cg02.fr/ > sous le titre "L’Aisne it’s open".
Je dirais plutôt que "L’Aisne est en peine"…
Si ce n’est pas une manifestation de haine (ou de l’Aisne) contre le
français, c’est en tous cas une expression évidente de mépris à son égard et un
chef d’oeuvre de débilité.
Quel mépris aussi envers les habitants de notre pays qui ne sont tous tombés
aussi bas dans la "Servitude volontaire", dans l’à-plat-ventrisme ! Quel mépris
envers les habitants de 23 des 25 pays de l’Union européenne pour lesquels
l’anglais n’est pas la langue parentale ! Quelle absence d’originalité et
d’imagination !
C’est vraiment halloweenesque ! Bon nombre de gens ont suivi le troupeau
quand certains, à des fins mercantiles, ont tenté de faire entrer Halloween dans
nos traditions. Heureusement, le déclin d’Halloween, véhiculé par l’anglais, a
quelque chose de rassurant : il démontre que tous les Français n’ont pas sombré
définitivement dans l’idiotie malgré le bourrage de crâne intensif qu’eux-mêmes
et surtout leurs enfants ont subi.
Le tout récent Rapport Grin sur "L’enseignement des langues étrangères
comme politique publique" nous éclaire pourtant sur les effets pervers du
"tout-à-l’anglais" (voir extraits en fin de message). Or, vous êtes tout fier
d’afficher sur votre site que cette prétendue aide à l’apprentissage de
l’anglais dans l’Aisne bénéficie à plus de 35 000 élèves chaque année !
Trente-cinq mille élèves de votre département sont ainsi poussés à apprendre une
langue sans avoir la moindre idée des conséquences politiques, économiques,
sociales et culturelles de ce qui n’est pas un choix, mais un conditionnement. A
la façon de Patrick Le Lay, PDG de TF1, vous préparez un espace de
cerveau de vos administrés à une plus grande réceptivité des messages
mercantiles.
Rares sont les gens qui acceptent de "travailler pour le roi de Prusse". Avec
vous, sans s’en douter, les citoyens de l’Aisne paient un impôt linguistique à
la reine d’Angleterre. Ce n’est pas sans raison que, dès 1978, le quotidien ~International
Herald Tribune~ pouvait titrer triomphalement un article : ~English is a
Profitable Export !~. Le pays qui est le berceau de l’anglais est non seulement
dispensé de ce surcroît deffort qu’est l’enseignement des langues étrangères,
mais il engrange des profits colossaux qui ont pu faire dire à un directeur du
British Council : "Le véritable or noir de la Grande-Bretagne n’est pas le
pétrole de la Mer du Nord, mais la langue anglaise" (Rapport annuel
1987-1988). Il y a longtemps que le gouvernement et le milieux d’affaires
britanniques préparaient leur piège linguistique. Sans parler de l’Anglo-American
Conference Report (1961), on pouvait lire dans un rapport du British Council
(1968-69, page 12) : "Il y a un élément de commercialité dissimulé dans
chaque professeur, livre, revue, film, programme télévisé, de langue anglaise
envoyés au delà des mers. Si alors nous sommes en train de tirer un avantage
politique, commercial et culturel de l’usage mondial de l’anglais, que
faisons-nous pour maintenir cette position ?"
En 1971-72, avant l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, le
1er janvier 1973, le British Council a bénéficié de 16% de crédits
supplémentaires du gouvernement britannique. Voila qui s’appelle avoir de la
suite dans les idées !
Et vous croyez avoir inventé le fil à couper le beurre !
Pour un nombre croissant de postes de haute responsabilité, ce sont des
natifs anglophones qui sont exigés et non des gens pour qui l’anglais est une
langue étrangère, aussi compétents qu’ils soient dans leur spécialité et même
aussi élevé que soit leur niveau d’anglais : <
http://lingvo.org/fr/2/15
>.
Le philosophe Michel Serres, membre de l’Académie française mais qui n’en
estime pas moins l’anglais, et qui a longuement enseigné l’histoire des sciences
à l’université de Stanford, aux états-Unis, a dit à plusieurs reprises qu’il y a
plus de mots en anglais aujourd’hui sur les murs de Paris qu’il n’y en avait en
allemand sous l’Occupation nazie. Vous participez vous-même à ce
conditionnement, à cette pollution des esprits et de la culture.
Si un jour il devait exister un championnat de l’à-plat-ventrisme, vous
pouvez d’ores et déjà vous mettre sur les rangs et vous considérer comme un
gagnant potentiel. Mais il se peut que des chances se présentent à vous au
concours de la "Carpette anglaise", ce prix d’indignité civique décerné
chaque année, justement au mois de novembre, par l’Académie de la Carpette
anglaise. J’espère qu’elle aura une pensée pour vous. Je fais de mon mieux pour
que vous ne soyez pas oublié.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations
distinguées.
Henri Masson
Coauteur, avec René Centassi,
ancien rédacteur en chef de l’AFP,
de "L’homme qui a défié Babel",
paru simultanément en seconde édition
avec la traduction en espéranto chez L’Harmattan, Paris, 2001.
Publié en coréen (octobre 2005), à paraître en espagnol, en lituanien (début
2006). Propositions de traduction en chinois et en tchèque.
Existe sur cassette pour les déficients visuels.
Rapport GRIN sur "L’enseignement des langues étrangères comme politique
publique".
Document de 127 pages pouvant être téléchargé sur :
<
http://cisad.adc.education.fr/hcee/documents/rapport_Grin.pdf >
Extrait (p. 65-66) :
Lhégémonie linguistique (…) en faveur de langlais serait une fort
mauvaise affaire pour la France ainsi que pour tous les états non-anglophones de
lUnion européenne, voire au-delà des frontières de lUnion. Pourquoi ? Parce
que cette formule donne lieu à une redistribution des plus inéquitable, à
travers cinq canaux qui sont les suivants :
1) une position de quasi-monopole sur les marchés de la traduction et de
linterprétation vers langlais, de la rédaction de textes en anglais, de la
production de matériel pédagogique pour lenseignement de langlais et de
lenseignement de cette langue ;
2) léconomie de temps et dargent dans la communication internationale, les
locuteurs non-natifs faisant tous leffort de sexprimer en anglais et acceptant
des messages émis dans cette langue ;
3) léconomie de temps et dargent pour les anglophones, grâce au fait quils ne
font plus guère leffort dapprendre dautres langues ;
4) le rendement de linvestissement, dans dautres formes de capital humain, des
ressources que les anglophones nont plus besoin dinvestir dans lapprentissage
des langues étrangères ;
5) la position dominante des anglophones dans toute situation de négociation, de
concurrence ou de conflit se déroulant en anglais.
Lexistence même de ces effets distributifs est peu connue ; il faut dire que
les travaux qui les signalent (certains effets sont déjà mentionnés, en
français, depuis longtemps déjà ; voir par ex. Carr, 1985) sont restés
relativement confidentiels. à ce jour, ils nont pas fait lobjet dévaluation
détaillée (Grin, 2004a) ; mais les estimations préalables effectuées dans le
chapitre 6 indiquent que ces montants se chiffrent en milliards dEuros
annuellement. Dans tout autre domaine de la politique publique, de tels
transferts seraient immédiatement dénoncés comme inacceptables.
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(Le 1er novembre 2005)