Lettre ouverte
Sur le statut des anglophones de couleur au Québec / être brune et être
anglophone au Québec
Madame, Monsieur:
Il est temps de redéfinir ce que signifie dêtre un(e) Canadien(ne)
francophone.
Le vendredi 21 janvier 2005, jai démissionné de mon poste à lASEQ (Alliance
pour la Santé étudiante au Québec) présente dans diverses associations
étudiantes au Canada. Jai pris cette décision après que mon superviseur
immédiat mait annoncé que jallais être mutée de mon poste comme agent du
centre dappel du service francophone de lassociation, pour rejoindre le
service anglophone. La justification de cette mutation, dite par mon
superviseur, était que je parle français « avec un accent».
Cette situation, que je qualifie dincident majeur, sest produite à la fin
de ma deuxième semaine de travail. Les motivations qui mont poussée à donner ma
démission se fondent sur le fait que jai ressenti un sentiment profond de
discrimination. Je reste persuadée davoir été la victime dun traitement
singulier et inique.
Les discussions que jai eues avec mon superviseur immédiat concernant ma ré
affectation se sont déroulées en FRANçAIS. Il en est de même pour toutes mes
conversations avec mes collègues. Je me permets de mettre cela en évidence pour
montrer clairement que mes facultés à parler, à comprendre, et à lire le
français, ainsi bien que celle de converser en français, nont jamais été mises
en question par qui que ce soit. La raison de cette décision était que mon
expression orale en français est ponctuée par un accent perceptible, un accent
différent du leur.
Je réaffirme avec force et vigueur le fait que je suis parfaitement bilingue,
malgré la coloration de mon expression en français. Et de toute façon, celle-ci
est un accent standard, qui ne ma jamais empêchée de me faire comprendre.
Jaimerais porter à votre connaissance les faits suivants : jai été
interprète en langue française, lors des réunions dans un centre international
dapprentissage des langues. Jai enseigné le français en Californie, et
langlais à des étudiants francophones en Angleterre et à Montréal. Je suis
également en formation pour devenir thérapeute à Montréal ; pour ce faire, je
dirige et évalue des séances de thérapie en français avec des clients dune
part, et je participe à des réunions, toujours dans la langue de Molière, avec
des équipes médicales dautre part. Ces faits reflètent une pratique de la
langue française qui traduit une certaine maîtrise.
LASEQ nest pas la première organisation québécoise pour laquelle jai
travaillé, et ce nest pas la première fois que je suis témoin de situations où
un sentiment de propriété québécoise prévaut sur la représentation et le
traitement équitables des anglophones, des minorités visibles, des immigrants et
des allophones. Pour prendre lASEQ comme exemple, voici quelques points:
- Parmi une équipe denviron 35 personnes, quatre sont membres dune
minorité visible. - Tous les postes tenus par des membres de minorités visibles font partie du
service anglophone. - Deux de ces personnes ont des postes permanents et à temps plein. Lune de
ces deux personnes est francophone.
- Les deux autres membres de minorités visibles sont allophones.
- Des francophones ayant des accents français notables sont employés au
service anglophone. - Tout le personnel de direction est dorigine visiblement québécoise.
Ces points, bien quils concernent spécifiquement lASEQ, ne reflètent pas un
cas isolé parmi les organisations du Québec. Jai pris lASEQ à titre dexemple
pour illustrer lidée que de nombreuses organisations au Québec sont loin dêtre
représentatives de la clientèle quelles prétendent servir.
Suite à ma démission, jai mené quelques recherches rapides. Voici des
informations extrapolées à partir des recensements canadiens de 1996 et 2001 :
- 86% de la population francophone du Canada réside au Québec.
- Sur la totalité de la population francophone du Canada, environ 2
francophones sur 3 sont dune origine autre que « pure laine » québécoise. - La population du Québec nest pas exclue de cette extrapolation de
la population totale du Canada.
Au regard de cette simple extrapolation, il semble raisonnable de suggérer
quon aura besoin de shabituer à une lange française parlée dune façon un peu
différente de celle des Québécois. En effet, chaque Québécois sait quun
Saguenéen a un accent français dont une expression française différente dun
Montréalais, et différente dun Outaouais.
La société dans laquelle nous vivons se veut multiculturelle. Une campagne de
sensibilisation puisse être faite afin que la population québécoise prenne
conscience de la coloration de la langue française. De mon côté, je ne défends
ni le français, ni langlais. Je me reconnais dans les deux ; je suis
Canadienne. Par contre, je suis fière de mon héritage culturel, et jai vu les
conséquences dune acculturation et dune perte de lidentité culturelle de soi
pour une intégration facilitée-une intégration qui, en fait, est un fait dune
assimilation pure et simple.
Dans le contexte de leffort de distinguer la culture québécoise de la
culture colonialiste des Anglais, la protection du droit de naissance québécois
est devenue une entreprise coloniale à son tour. Un changement doit sopérer
dans linconscient collectif qui trace les contours de nos institutions et guide
nos actions dans les communautés. Au Québec, cette inconscience est unique – car
les forces francophones sont aussi coupables que les forces anglophones. A
lheure actuelle, ce nest pas le Canada que je connais, et certainement pas un
Canada que me fait briller les yeux.
Cest vrai que quelque chose doit changer, et ce nest pas laccent avec
lequel je parle.
Athéna Madan
NDLR – Adresse utile
Alliance pour la santé étudiante au Québec
http://www.aseq.com