par Gabriel Ste-Marie
Douze personnages viennent de cosigner ce quils nomment un manifeste pour un
Québec lucide. Selon ces apôtres du capitalisme sauvage, le Québec se dirige
tout droit vers la banqueroute. « Dici quelques années tout au plus, nos
rêves seront brutalement interrompus par des coups sur la porte : les huissiers
! » En posant un faux constat alarmiste, le groupe nous supplie de liquider
toute loi qui protège lenvironnement et les travailleurs. Pour la simple survie
du Québec, la classe moyenne et les pauvres doivent être taxés davantage, et les
plus fortunés et les entreprises doivent être moins imposés.
Les lucides souhaitent voir nos tarifs délectricité augmenter. Il sagit là
dune proposition systématiquement reprise dans nos médias et fondée sur
plusieurs mensonges.
Ils nous disent que le prix de notre électricité ne reflète pas sa juste
valeur. Le secteur résidentiel a payé une moyenne de 6,4 ¢ par kilowattheure en
2004 alors quil en a coûté 1,9 ¢ à Hydro-Québec pour les produire. Cet écart
explique limpressionnant bénéfice de la société détat de 2,44 milliards $ lan
dernier. Nos tarifs couvrent plus de trois fois le coût de production de notre
électricité. Il serait insensé de les augmenter.
En faisant miroiter lexemple de lAlberta et de son pétrole, le groupe nous
promet la richesse si on augmente ces tarifs. Cest totalement faux. Si cette
province sest enrichie, cest parce quelle exporte son or noir. Il faut
comprendre que nous exportons seulement 8,22 % de notre électricité,
principalement dans le nord-est des états-Unis et chez nos provinces voisines.
Nous ne pouvons choisir daugmenter ces tarifs, les prix fluctuent selon loffre
et la demande. Lan dernier, le prix moyen de nos exportations a été de 7,53 ¢
par kilowattheure.
Toute augmentation de tarifs ne peut se faire quau Québec. Ceci revient à
taxer notre consommation délectricité, et comme dit le professeur Lauzon, «
Il ny a pas de formule dimposition plus régressive que de taxer et de tarifier
les services publics comme lélectricité, léducation et le transport en commun
». Augmenter les tarifs ne crée aucune richesse. Il sagit dun transfert
dargent vers le gouvernement. Comme les taxes à la consommation, par exemple la
TPS et la TVQ, cette méthode avantage les plus fortunés et désavantage les plus
pauvres.
Un autre mythe sur la tarification de lélectricité est quun prix plus élevé
diminuerait le gaspillage. Aucune étude na réussi à démontrer ce raisonnement
qui ne sapplique pas dans ce cas-ci. Option Consommateur a montré que 87% de
notre consommation délectricité ne peut être diminuée et que la sensibilisation
est beaucoup plus efficace que les augmentations de tarifs.
Les lucides se réfèrent à Alban DAmours, le président du Mouvement
Desjardins, pour proposer que cette hausse serve à diminuer notre dette. Ces
individus issus de milieux aisés font preuve dune incroyable lâcheté pour
demander que la dette soit remboursée au moyen dune taxe régressive.
Dans le même esprit, les douze capitalistes demandent une forte augmentation
des droits de scolarité au cégep et à luniversité. Dans leur monde idéal,
léducation supérieure serait réservée aux plus fortunés. Une récente étude de
Statistique Canada démontre que suite aux augmentations spectaculaires des frais
de scolarité en Ontario, par exemple les frais en médecine ont quadruplé, les
nouveaux étudiants ontariens proviennent de milieux socioéconomiques plus
fortunés. Toujours selon létude, « Dans les provinces comme le Québec et la
Colombie-Britannique, où les frais de scolarité ont été gelés pendant cette
période, on na pas observé de variation des tendances en matière dinscr1ptions
selon les antécédents socioéconomiques. »
Choisir de taxer léducation supérieure revient à discriminer les individus à
partir de leur rang social. Cest incompatible avec une société qui cherche à
offrir des chances égales à tous pour réussir. Cest pourquoi la moitié des pays
de lUnion Européenne, comme lIrlande, nexigent aucun droit de scolarité, et
la majorité des autres, comme la France, exigent des frais symboliques. Plutôt
que se comparer aux états-Unis, nos lucides devraient se tourner vers lEurope,
où davantage de pays ont compris que la loi de la jungle nest pas la clé du
bien-être.
Toujours dans le secteur de léducation post-secondaire, ces intellectuels
proposent un régime de remboursement des prêts étudiants proportionnel au
revenu. Ainsi, les diplômés ayant eu recours aux prêts et gagnant un gros
salaire rembourseraient une portion des prêts de ceux qui font moins dargent.
Ce concept a été développé par le père du néolibéralisme, Milton Friedman.
Lapplication de cette méthode en Australie a mené à des coûts dadministration
démesurés, rendant le concept caduque.
Dans la même logique que les tarifications des services publics, les douze
lucides souhaitent « une réforme majeure de la taxation » pour le Québec.
Le groupe veut diminuer limpôt sur le revenu et augmenter la taxe à la
consommation. En faisant abstraction des fraudes, évasions fiscales et autres
passes-passes comptables, le taux dimposition sur le revenu augmente avec la
richesse. Avec la taxe à la consommation, le taux est toujours le même, peu
importe le revenu. Leur réforme vise uniquement à faire payer davantage la
classe moyenne et les moins fortunés, tout en désengageant les plus aisés,
dautant plus que la taxe à la consommation ne touche aucunement les placements
ou la spéculation boursière.
Ce genre de politique est vicieux, surtout pour les 40% des contribuables qui
ne paient pas dimpôt parce quils sont trop pauvres. Le groupe lucide voudrait
voir le gouvernement abandonner son objectif premier, soit redistribuer la
richesse.
Pour justifier leur proposition, les douze capitalistes affirment que les
pays socio-démocrates ont davantage recours à la taxe sur la consommation que
nous. Cest vrai, mais ils ont aussi davantage recours à limpôt sur le revenu
que nous. Par exemple, limpôt sur le revenu de la Suède représente 18,3 % de
son Produit intérieur brut (PIB), alors que cest moins de 15,6 % au Canada. Sa
taxe à la consommation représente 13,2 % de son PIB, contre 8,7% au Canada.
Les idôlatreurs de la loi du plus fort demandent aux travailleurs de laisser
tomber leurs acquis sociaux. « La concurrence mondiale étant ce quelle est,
il serait suicidaire de refuser de se défaire des rigidités qui minent notre
compétitivité. » à les écouter, il faudrait abaisser nos standards aux
conditions des travailleurs de lInde ou de la Chine. évidemment, ils sexcluent
du groupe! Enfin, nos lucides demandent quon démantèle létat et quon le
laisse au privé, entre autre via les partenariats publics-privés.
Les signataires du manifeste affirment que le vieillissement de la population
diminuera notre productivité. Or, Gaétan Breton et Amir Khadir ont justement
démontré dans lautjournal du mois de septembre que la productivité
nest plus liée au nombre de travailleurs. Les lucides clament quil faut
rembourser la dette, même si les agences de cotations internationales
ultra-capitalistes comme Standard and Poors et Moodys ny voient aucun
intérêt. De plus, le groupe sinquiète de la concurrence asiatique et veut quon
faut abaisse nos conditions sociales pour les concurrencer.
Ceux qui sautoproclament lucides martèlent sans cesse les mots
responsabilité et liberté, tel un slogan. En fait, ils exigent la responsabilité
des travailleurs, alors quils souhaitent la liberté pour les entreprises de
faire ce quelles veulent.