par Mario Beaulieu
Principal auteur de la proposition du club politique Syndicalistes et
progressistes pour un Québec libre sur la langue qui a été adoptée dans
plusieurs instances du Parti Québécois en vue du Congrès de juin 2005.
à la veille du Congrès national du Parti Québécois, on entend dire que le
renforcement de la loi 101, et notamment, lapplication au niveau collégial des
critères balisant déjà, aux niveaux primaire et secondaire laccès à lécole
publique anglaise, correspondraient à un « programme de province »! En fait,
létude des législations linguistiques à travers le monde indique plutôt le
contraire. Des lois linguistiques existent partout dans le monde, soit dans plus
de 110 pays. Dans à peu près tous les pays développés, léducation publique,
sur un même territoire, est dispensée dans une seule langue.
Le système déducation joue un rôle fondamental dans la transmission dune
langue et dune culture. Cest un facteur essentiel à lintégration des nouveaux
arrivants. Avec ladoption de la Loi 101 en 1977, les nouveaux arrivants furent
tenus de fréquenter lécole française. Le Livre blanc de la Loi 101 proclamait
que « lécole anglaise, qui constitue un système dexception accordé à la
minorité actuelle du Québec, doit cesser dêtre assimilatrice. » Soulignons
que la Loi 101 porte sur laccès aux écoles publiques et non pas aux écoles
privées non-subventionnées. Ce faisant, elle ninterdit pas le libre choix
scolaire à proprement parler.
La norme internationale : léducation supérieure dans la langue officielle
Cependant, laccès au réseau collégial public anglais nest pas balisé par la
Charte de la langue française. Le Québec est à peu près le seul état développé
au monde où lon finance, sans aucune limite, des institutions déducation
supérieure dans une autre langue que celle de la majorité.
Ce laisser-faire nest pas sans conséquence lorsquon sait que 93 % des nouveaux
arrivants avaient plus de 15 ans à leur arrivée et étaient donc, en bonne
partie, en âge de fréquenter les cégeps ou les universités.
Cest important lorsquon sait quen 1996, 93 % de la population immigrée
avait plus de 15 ans à son arrivée et était donc, en bonne partie, en âge de
fréquenter les cégeps ou les universités.
On a aussi observé une augmentation élevée de la propension des étudiants
allophones à choisir le cégep anglais. Les premiers « enfants de la Loi 101 »
sont parvenus au niveau collégial en 1989. En 1990, 27,1 % des étudiants
allophones qui sont passés par lécole secondaire française choisissaient de
fréquenter le cégep anglais. Par la suite, leur choix du cégep anglais est en
forte hausse, atteignant 41,3 % en 1996 : il semble se stabiliser par la suite.
Le mouvement est à sens unique : les allophones qui ont étudié au secondaire en
anglais choisissent de façon constante, et dans la presque totalité, le cégep
anglais (99,5 % en 2003). Cela en dit long sur le peu de prestige dune
éducation postsecondaire en français au Québec.
Limpact sur la mobilité linguistique et la langue de travail
Tous les chercheurs sentendent pour dire que, parmi toutes les dispositions
de la Loi 101, ce sont les mesures scolaires qui ont eu le plus grand impact sur
la force dattraction du français, notamment sur les transferts linguistiques,
cest-à-dire ladoption par un individu comme langue dusage à la maison dune
langue autre que sa langue maternelle.
Dans le mémoire du Parti Québécois à la commission Larose, en 2001, on
constatait que : « Ce qui doit être une préoccupation majeure de la politique
linguistique du Québec, cest la prédominance toujours marquée des transferts en
faveur de la langue anglaise. Selon quils sont majoritairement favorables au
français ou à langlais, les transferts linguistiques ont une incidence directe
sur lobjectif dintégration à la majorité francophone, objectif inhérent à la
Charte de la langue française. En vertu de cet objectif, la proportion de
transferts linguistiques vers le français devrait idéalement dépasser les 90 %,
ce qui respecterait la représentativité réelle des anglophones québécois. »
Nous sommes loin du compte. Selon Statistique Canada, cette proportion était de
46 % en 2001.
Les principaux progrès de la force dattraction de la langue française se
retrouvent chez les jeunes immigrants allophones, qui vont à lécole française à
plus de 80 %. Cependant, la proportion desdits « enfants de la Loi 101 »
qui effectuent des transferts linguistiques demeure restreinte. En 2001,
seulement 9 % des allophones arrivés entre lâge de 1 an et 14 ans ont effectué
des transferts vers le français.
Les travaux de Charles Castonguay indiquent que lélan des transferts
linguistiques vers le français insufflé aux jeunes allophones par lécole
française sépuise presque totalement à partir de lâge du collégial.
Les cégeps jouent un rôle beaucoup plus large que la simple transmission
dune langue. Ils jouent un rôle important dans lintégration des valeurs et de
la culture publique commune au Québec. Les programmes détudes préuniversitaires
y côtoient les programmes détudes techniques. En outre, lenseignement
collégial est une voie majeure dintégration à lemploi.
Lapplication de la loi 101 au cégep pourrait renforcer lusage du français
comme langue de travail. Selon les données du recensement de 2001, moins de la
moitié des allophones travaillent le plus souvent en français. En analysant ces
données, le professeur Charles Castonguay de lUniversité dOttawa en conclut
que : « Le rayonnement de langlais comme langue principale de travail à
Montréal domine largement celui du français. »
Une raison essentielle pour faire la souveraineté
Certains opinent que la reprise du débat linguistique pourrait nuire à
lavènement de la souveraineté. En fait, la nécessité détablir le français
comme langue commune au Québec a toujours été un des plus puissants déterminant
de lappui à la souveraineté chez les Québécois de toutes origines. Assurer la
survie et lépanouissement de la langue et de la culture nationales est au
fondement de la lutte universelle pour lauto-détermination des peuples et pour
la diversité culturelle dans le contexte de la mondialisation.
Ce nest certainement pas en jouant à lautruche et en créant une fausse
impression de sécurité que les souverainistes vont démontrer la nécessité sinon
lurgence de leur projet. à la veille du dernier congrès du Parti Québécois un
sondage démontrait que largument linguistique pourrait avoir un impact
significatif, voire décisif, dans un éventuel débat référendaire si les
souverainistes pouvaient démontrer à un nombre plus important délecteurs que la
survie du français passe par laccession du Québec à la souveraineté (Jean-Marc
Léger et Richard Nadeau, Le Devoir, 27 avril 2000). Il sagit du levier qui
manque pour dépasser définitivement le cap de 50 %.
Depuis son établissement, la Charte de la langue française a subi plus de
deux cents amendements, dont ceux instaurés par la loi 86. Ces modifications ont
favorisé la bilinguisation des institutions publiques dans tous les champs
dactivité. à chaque recul, le Québec est ramené un peu plus vers le statut
dune simple province bilingue.
Le français sera menacé tant que le Québec, seul état de langue française en
Amérique, naura pas la pleine maîtrise de sa politique linguistique. Le peuple
québécois aura alors les moyens dinstaurer une véritable politique linguistique
de pays. Et il cessera une fois pour toutes davoir à lutter pour préserver son
identité, pour se tourner vers lavenir et souvrir sur le monde.
Les souverainistes ne doivent pas se cantonner dans lattentisme et
cautionner un rapetissement provincialiste de laspiration nationale de faire du
français la langue commune. Comme le disait si bien Pierre Bourgault, « Nous ne
voulons pas être une province pas comme les autres, nous voulons être un
pays comme les autres ».
Info : Mario Beaulieu, SPQ Libre, 514-803-4140, 514-306-9291
mario.beaulieu6@sympatico.ca
Montréal, le 27 mai 2005 Lettre dopinion