Lire sur le même sujet LA PRÉFECTORALE PASSE à L’ANGLAIS!
(L’article suivant de Claude Duneton sur l’invasion anglophone en France
extrait du Figaro littéraire du 3 mars 2005 nous a été communiqué par M. Marc
Favre d’échallens.)
Le plaisir des mots de Claude Duneton
Trop gratter cuit
Je ne croyais pas si bien dire, la semaine dernière, en parlant du
«précipice» qui s’ouvre sous les pas des nations de l’Europe, où risquent de
s’engouffrer les langues nationales jusqu’à présent distinctives de chaque pays.
J’appelais donc à un débat nécessaire sur cette question épineuse du rôle des
langues, lorsqu’il m’est parvenu l’information suivante, surprenante mais vraie
: le préfet des Côtes-d’Armor met en place un réseau de fonctionnaires
anglophones, afin «d’établir des relations privilégiées avec les associations de
résidents britanniques vivant dans le département».
ça alors !… Il nous la copiera, comme on dit vulgairement. En termes moins
«privilégiés», l’administration dirigée par le préfet, M. Maccioni, se mettrait
à parler anglais pour éviter aux Britanniques qui habitent le coin l’effort
d’apprendre quelques rudiments de français ? à moins de leur offrir de jeunes
vierges ceintes de mousses marines, d’algues et de coquillages coloriés, que
l’on trouve au fond des baies solitaires, on ne saurait être plus accueillant
!… Mais alors, que devrait faire l’administration espagnole, par exemple, dans
le sud de l’Ibérie où vit, de façon permanente, une importante colonie de
Britanniques retraités, attirés là-bas par la mer et l’azur du ciel ? – offrir
que l’autorité de Gibraltar s’étende à toute l’Andalousie ?…
Car les comptes ayant été faits, sur les quelque 242 000 habitants des
Côtes-d’Armor les résidents britanniques adultes (qui ont affaire à
l’administration) représentent un peu moins de 0,5%. En admettant qu’un sur
trois de ces adultes ne sache pas un seul mot de français (on se demande alors
ce qu’il est venu faire à Guingamp ?), cela revient à mettre en place un
«réseau» spécialisé pour 0,16% de la population du département. Il faut croire
que ces 0,16% exercent une influence colossale sur la vie de la région pour que
ce soit «l’état français qui intègre leur mode de vie et de communication»,
comme le fait remarquer l’administrateur de Défense de la langue française, M.
Favre d’Echallens, qui ajoute : «La colonisation est en route avec l’assentiment
de l’état qui reconnaît de fait l’anglais en France comme langue de
communication avec l’administration française» (alors que l’on refuse tout
emploi officiel aux langues régionales). C’est moi qui souligne, car j’imagine,
en effet, la tête de certains Corses, si l’anglais obtenait le statut de langue
administrative dans l’île de Beauté !
En tout cas, il faut que ces Britanniques de Bretagne, probablement tous
milliardaires, représentent un intérêt économique vital pour la région… Ou
bien le préfet Maccioni considère les Anglais comme un peuple de crétins
incapables d’apprendre une langue voisine – une croyance qui choque beaucoup
l’amour que je porte aux gens d’outre-Manche, et nuit gravement à leur
réputation. En outre, il est permis de se demander où seront le charme et le
dépaysement, forcément coûteux, pour les naturels du Kent ou du Yorkshire, s’ils
peuvent se faire délivrer leurs cartes grises en anglais, à Saint-Brieuc ?…
Oui, les conditions linguistiques de chaque nation sont aujourd’hui à
redéfinir pour la première fois depuis… quand, au fait ? – depuis jamais.
C’est tout neuf, et la première fois que le problème se pose pour les pays de
l’Union de la légitimité de leurs langues, dite nationales. La discussion doit
s’ouvrir, il me semble, le plus tôt possible, avec un débat public le plus
ouvert, de sorte à éviter la politique du fait accompli, et que
l’anglo-américain ne se loge, à bas bruit, dans tous les recoins de notre
économie.
à bas bruit ? – ce n’est certes pas le cas en Bretagne.Je dirai même que trop
gratter cuit… Encore si ce M. Maccioni était préfet des côtes-rôties, on
pourrait penser que son jugement s’est trouvé altéré par l’excellence de
l’environnement – mais les Côtes-d’Armor n’ont pratiquement pas de vignes !
(Le 8 mars 2005)