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LE CONTINENT EUROPÉEN

L’anglais : menace ou chance pour le continent européen ?
Robert Phillipson
Ecole de commerce de Copenhague (Copenhagen Business School)
Traduction : Denis GRIESMAR

L’internationalisation et l’orientation de plus en plus pratique de
l’enseignement supérieur en Europe signifient que l’on demande de plus en plus
aux universités danoises, comme celle où j’enseigne, de fonctionner comme des
entreprises, de s’adapter et de se vendre sur un marché compétitif. L’un des
symptômes de cette tendance est l’emploi de plus en plus fréquent de l’anglais.
Ce tropisme de communication dans le monde universitaire correspond à des
évolutions comparables dans les domaines du commerce, de la politique, des
médias, et de la « culture jeune », du fait de l’impact des processus
entrecroisés d’américanisation, de globalisation et d’européanisation.
L’expansion de l’anglais est au centre de ces processus, et influe sur les
langues et les identités linguistiques à l’échelle locale, nationale et
internationale. Je voudrais examiner certaines des implications de cet état de
fait en rapportant certains aspects historiques de l’unification de l’Europe et
de l’américanisation, certains des paradoxes intrinsèques de la politique
linguistique en Europe, qui rendent compte de la négligence relative dans
laquelle elle est tenue, et enfin poser la question de savoir si l’expansion de
l’anglais constitue une menace pour les autres langues, et s’il est nécessaire
de prendre dans ce domaine des mesures plus actives afin de renforcer la
diversité linguistique.

En principe, l’Union Européenne est fermement attachée au maintien de la
diversité linguistique et culturelle sur le continent. Ce principe est inscrit
dans les traités et dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE (2000):
« L’Union s’engage à respecter la diversité culturelle, religieuse et
linguistique  » (Article 22). En théorie, les onze langues ont le même rang de
langue officielle et de travail dans les institutions supranationales de l’UE,
mais la réalité est plus complexe, pour des raisons qui seront exposées
brièvement. La gestion du multilinguisme est très délicate, et l’élargissement
imminent de l’UE et l’arrivée de nouveaux Etats, et de nouvelles langues, rendra
les choses encore plus embrouillées. De même que le processus d’intégration
politique efface les limites entre la souveraineté nationale et les politiques
supranationales partagées, les langues ne respectent pas les frontières
nationales, et leur utilisation au niveau supranational reflète une hiérarchie
entre elles, au niveau tant national qu’international.

L’une des forces motrices qui motivait un rapprochement entre les économies des
divers Etats européens visait à établir des formes d’interdépendance rendant
impossible une agression militaire. On pensait y parvenir en réglant les
différents territoriaux entre la France et l’Allemagne et en veillant à ce que
le processus de réindustrialisation après les destructions de la guerre de
1939-45 réponde aux besoins et aux suspicions mutuelles de ces pays et de ceux
qui avaient été occupés par les nazis. Les investissements extérieurs à l’Europe
étaient essentiels pour cela, et ils ne pouvaient venir que d’une seule source,
à savoir les Etats-Unis. Le Plan Marshall était un élément d’une stratégie qui
visait à installer l’Amérique comme force prééminente à l’échelle mondiale,
grâce aux accords de Bretton Woods sur le commerce, la Banque mondiale et le
Fonds Monétaire International, les Nations Unies et l’OTAN. Le rétablissement
économique de l’Europe occidentale était considéré comme un rempart essentiel
contre le bloc communiste.

Les objectifs américains ont toujours été explicites et constants depuis la
Seconde Guerre mondiale. En 1948, le grand spécialiste de géopolitique du
Département d’Etat, George Kennan, écrivait : « Nous possédons 50% de la richesse
mondiale, mais ne comptons que 6,3% de sa population. Dans un telle situation,
notre véritable tâche dans la période qui s’ouvre sera de mettre au point un
schéma de relations internationales qui nous permette de maintenir cette
position de disparité. Il nous faudra pour cela jeter par-dessus bord toute idée
de sentimentalité. il nous faut cesser de parler de droits de l’homme,
d’élévation du niveau de vie et de démocratisation ». Le président Bush II
s’inscrit visiblement dans ce cadre, explicitement formulé par Condoleezza Rice,
sa conseillère pour les Affaires étrangères : « Le reste du monde trouvera
avantage à ce que les Etats-Unis défendent leurs propres intérêts, car les
valeurs américaines sont universelles « .

Par conséquent, la formation des premières institutions de l’UE résultait d’un
ensemble de raisons propres, les unes aux Américains, et les autres aux
Européens. Des deux côtés de l’Atlantique, on trouvait dans les années 1940 des
partisans des « Etats-Unis d’Europe », idée que des visionnaires pacifistes tels
que Victor Hugo avaient défendue un siècle plus tôt. Ernest Renan, célèbre pour
avoir affirmé qu’une nation est un référendum quotidien, écrivait en
1882:. »Aucun Etat, aucune nation n’est éternel. Tôt ou tard, tout sera remplacé
par autre chose, peut-être une confédération européenne.’ Les Etats-Unis
insistaient pour demander que le plan Marshall ne soit mis en place qu’à la
condition d’une coordination et d’une intégration des économies des divers pays
européens. La pression américaine fut donc décisive pour expliquer la forme que
prit la collaboration qui s’établit entre les Etats d’Europe à partir de la fin
des années 1940, la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier
(1952), et la Communauté Economique Européenne (1958). La première
ébauche d’une Communauté Politique Européenne, avec un Conseil Exécutif, une
Cour de Justice et un Parlement, apparut en 1953.

C’est à cette époque que fut institué le principe de parité pour les langues des
Etats participants, initialement au nombre de quatre, et aujourd’hui de onze. Le
poids relatif du français dans les affaires de l’UE s’explique par son emploi
ancien dans les relations internationales, par la localisation des institutions
de l’UE dans des villes où cette langue était largement utilisée, que ce soit
Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg, et par le fait que les hommes politiques
francophones partageaient avec les Allemands le rôle principal dans la mise en
place de la nouvelle Europe.

Les sentiments des Britanniques étaient mêlés quant à la perspective d’une
adhésion à l’UE, à cause des liens qu’ils conservaient avec leur empire, et de
la confiance qu’ils avaient dans la permanence de leur relation spéciale avec
les Etats-Unis. De Gaulle bloqua l’entrée du Royaume-Uni dans les années 1960
parce qu’il considérait qu’il jouerait le rôle d’un cheval de Troie pour les
intérêts américains. Lorsque le président Pompidou donna son accord à cette
adhésion en 1972, on dit qu’il insista pour qu’elle ne change rien à la
prééminence du français comme langue des institutions européennes. Bien que,
théoriquement, la parité ait été assurée entre les langues officielles de la
CEE, le français était le primus inter pares. L’inquiétude de Pompidou
quant au risque de voir le français éclipsé par l’anglais était pleinement
justifiée, car l’anglais s’installe bel et bien dans les meubles des grandes
institutions de la Communauté..

Depuis 1945, la promotion de la langue anglaise est au centre de la stratégie
mondiale de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis , et le British Council joue un
rôle clé pour maintenir les positions de la langue de l’ancien colonisateur dans
les Etats issus de son empire, ainsi que dans le monde post-communiste, où l’on
prêchait la globalisation par l’intercession de la trinité de l’économie de
marché, des droits de l’homme et de l’anglais. Ainsi que l’explique le Rapport
annuel du British Council pour 1960-61 :
Enseigner l’anglais au monde peut être presque considéré comme une extension de
la tâche qui s’imposait à l’Amérique lorsqu’il s’agissait d’imposer l’anglais
comme langue nationale commune à sa propre population d’immigrants.
Les conséquences de la politique linguistique des Etats-Unis vis-à-vis des
langues des immigrants et des Amérindiens ont été terribles. Il est également
important de rappeler que les politiques nationales déterminent également les
stratégies américaines à l’échelle mondiale, et que l’anglais est crucial pour
les unes comme les autres. Naturellement, ceci est également vrai du Royaume-Uni
depuis plusieurs siècles.

A entendre certains responsables américains de haut niveau, le monde peut tout
simplement se passer de l’ensemble des langues autres que l’anglais. En 1997,
l’ambassadeur américain au Danemark, qui était issu directement du monde de
l’entreprise – ceci expliquant cela – fut suffisamment brutal pour dire, assez
fort pour que ma femme l’entende, lors d’un déjeuner à l’université de Roskilde:
« Le plus grave problème de l’Union Européenne est qu’elle a tant de langues
différentes, ce qui empêche toute réelle intégration et tout développement de
l’Union. » Un rapport de la CIA datant de 1997 note que les cinq années à venir
seront décisives pour imposer l’anglais comme unique langue internationale. Or
l’idée même qu’il puisse y avoir une seule langue internationale est évidemment
un non-sens. Il y a littéralement des centaines de linguas francas
internationales utilisées, mais beaucoup de personnes croient au mythe de
l’usage mondial de l’anglais, en particulier ceux qui profitent de leur bonne
connaissance de cette langue, y compris les ténors universitaires de la
globalisation linguistique.

L’ouvrage de George Monbiot, Captive state: The corporate take-over of
Britain
[L’Etat captif : la mainmise des grandes entreprises sur la
Grande-Bretagne] (Macmillan, 2000), illustre les nombreuses voies par lesquelles
le pouvoir économique détermine la politique du gouvernement comme des autorités
locales dans d’innombrables domaines, y compris l’agriculture, l’énergie,
l’environnement, l’urbanisme, le système de santé, la recherche universitaire et
l’enseignement général. La consolidation d’un marché commun de l’UE et d’une
union monétaire a réalisé les voux du monde de l’entreprise, coordonnés par la
Table Ronde des Industriels Européens, association de présidents et directeurs
généraux de 46 des plus grandes sociétés européennes (op.cit., 320). Ce groupe
de pression s’emploie également de façon directe à fixer les termes de
l’élargissement de l’UE aux pays de l’Europe centrale et orientale (ibid., 324).
Dans les négociations d’admission, tous les documents des Etats candidats
doivent être fournis exclusivement en anglais.

Le Dialogue Transatlantique des Affaires réunit des entreprises américaines et
européennes, et s’articule avec les réseaux du G8 et des différents chefs
d’Etat. On observe de plus en plus la mise en place d’une structure regroupant
pouvoirs publics et grandes entreprises. Il est prévu d’instaurer un marché
unique réunissant l’Europe et l’Amérique du nord, un Partenariat Economique
Transatlantique, conçu pour élaborer « un réseau mondial d’accords bilatéraux
comportant des procédures de conformité identiques  » (cit. ibid., 329). Monbiot
a résumé ces évolutions deux ans avant le Sommet de la Terre de Johannesburg, et
depuis lors rien n’a changé qui puisse démentir son analyse (ibid., 329-330) :

Avant longtemps .il ne restera plus qu’une minorité de nations à ne pas rentrer
dans un marché mondial unique, à législation harmonisée, et elles se trouveront
rapidement obligées de suivre le mouvement. Lorsqu’un nouvel accord mondial aura
été négocié, il sera hors sujet, car le travail de l’OMC aura déjà été fait.
Nulle part sur terre ne pourront survivre de législations contraignantes en
matière de protection de l’environnement ou de droits de l’homme. Si ces projets
de nouvel ordre mondial se réalisent, les élus du peuple seront réduits à l’état
d’agents d’un gouvernement global construit, coordonné et régi par les
dirigeants des grandes entreprises.

En dépit de cette puissante tendance, dans laquelle l’anglais jour un rôle
essentiel, le principe du multilinguisme dans l’Union Européenne a été réaffirmé
dans d’innombrables déclarations. Les décisions émanant de Bruxelles, entérinées
par les quinze Etats membres (et 70 à 80% de la législation nationale revient à
appliquer des décisions prises à Bruxelles) sont publiées dans les onze langues.
Il existe des services complets d’interprétation et de traduction dans les
institutions de l’UE, afin de garantir que les locuteurs de chacune des langues
officielles ont également voix au chapitre. La gamme des compétences attribuées
à l’UE s’accroît sans cesse, jusque dans le domaine de la culture. En théorie,
l’éducation en est exclue, mais elle joue un rôle croissant dans les programmes
de travail, allant du financement d’études et de recherches à la réforme et à
l’harmonisation de l’enseignement supérieur. Ceci soulève la question de savoir
dans quelle mesure la politique linguistique relève toujours exclusivement des
Etats, ou peut être aujourd’hui considérée comme une question qui intéresse
l’Union en tant que telle. Les Etats membres peuvent-ils faire ce qui leur
plaît, à condition de respecter au moins dans la forme les droits linguistiques
figurant dans les conventions, chartes et traités de l’UE ?

Ce genre de questions, ainsi que la gestion interne du multilinguisme dans les
institutions de l’UE, ont fait l’objet d’un nombre étonnamment faible de travaux
universitaires. Une thèse de doctorat récente en droit international soutenue
aux Etats-Unis conclut que les mesures de protection de la langue française (la
Loi Toubon) sont contraires au traité de Maëstricht et aux principes d’un marché
commun dans lequel les marchandises, les services, le travail et le capital
circulent librement. Par conséquent, il est à prévoir que les avocats d’affaires
risquent bientôt d’attaquer les lois linguistiques nationales, précisément sur
cette base. L’auteur américain de la thèse propose une solution à toute cette
diversité linguistique :

Il vaut la peine de se demander si l’UE doit répondre à la demande d’uniformité
en matière de langue des affaires, et se protéger plus efficacement contre
d’éventuelles salves de législation linguistique de la part des Etats membres.
L’une des mesures que l’UE pourrait prendre serait d’édicter une langue commune
pour le marché européen.

Les raisons fournies par l’auteur sont naturellement prévisibles : rapidité
d’accès à l’information, efficacité, économies de traduction, élimination des «
obstacles techniques nationaux », tous arguments qui valent du point de vue du
producteur davantage que du consommateur. La thèse demande qu’il soit mis fin au
« protectionnisme culturel des nations », invoque le rôle important que joue
l’anglais sur le marché mondial, le fait qu’il est la langue étrangère la plus
apprise (ce qui est vrai), sa position de « commun dénominateur linguistique »
de tous les pays d’Europe (ce qui est une absurdité), et « l’avance des
Etats-Unis dans les domaines technologiques et scientifiques » (que nous sommes
supposés en Europe accepter avec reconnaissance). L’UE doit agir de manière à
empêcher « une nation de s’opposer aux principes fondamentaux de l’organe
supranational de gouvernement  » (commentaire qui révèle une incompréhension de
la manière dont les décisions sont prises dans l’UE). La conclusion est que
l’adoption d’une langue unique servirait « à unifier, plutôt qu’à diviser, les
Etats membres ». (op.cit., 202). C’est ainsi que l’on cherche à vendre, de façon
plus ou moins subtile, l’objectif de globalisation monolingue, et donc
d’américanisation, sous couvert d’européanisation.

En réalité, il est fort possible que les gouvernements européens n’aient aucune
envie de suivre cet avis. Plusieurs d’entre eux ont promulgué des lois pour
résister à l’offensive de l’anglais, ou envisagent de le faire. Cependant, le
Vanderbilt Journal of Transnational Law est vraisemblablement lu par
des avocats d’affaires américains, qui pourraient envisager de vérifier la
validité de ce principe devant un tribunal, et la décision que pourrait prendre
la Cour Européenne de Justice à l’issue d’un procès est imprévisible. Mais il
semble bien que la Commission veuille leur en épargner le coût et la peine.

En juillet 2002, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure au
Gouvernement français, exposant que l’exigence nationale d’étiquetage des
produits alimentaires en français (conformément à la loi française) est
contraire aux textes européens. Il n’existe à l’heure actuelle que peu de
contentieux dans ce domaine, et les décisions prises sont loin d’être dépourvues
d’ambiguïté , de même que, à vrai dire, la directive du Conseil sur
l’harmonisation de la législation des Etats membres en matière d’étiquetage et
d’emballage des produits alimentaires. La jurisprudence européenne semble être
que la loi nationale ne peut exiger le recours à une langue particulière si le
message peut être exprimé par d’autres moyens, qui peuvent être une autre langue
qui soit facilement compréhensible par le consommateur, celle-ci pouvant être
complétée par des pictogrammes. L’intervention de la Commission suggère qu’il
est possible que la transition d’un marché unique à une langue commerciale
unique ait commencé.

Cette initiative de la Commission est considérée par de nombreux Français comme
montrant un peu trop le bout d’une certaine oreille. Selon l’Alliance pour la
Souveraineté de la France, dans un communiqué de presse intitulé « l’Europe
s’attaque à la ménagère éclairée », la Commission cherche « à imposer
l’anglo-américain » en tout et partout . « la construction européenne [est
réellement] une entreprise de destruction de l’Europe au profit de l’Amérique
mercantile « . Une association intitulée « Défense de la
langue française » a organisé une manifestation publique en janvier 2003, bien
que le gouvernement français ait corrigé la réglementation pour se conformer aux
exigences du droit européen.
Il a résolu le problème en publiant un
nouveau décret ministériel maintenant l’obligation d’étiquetage des produits en
français, mais stipulant que d’autres langues peuvent également être utilisées .
L’affaire ne s’arrêtera pas là. Cet exemple de différend entre la Commission et
un gouvernement national résume l’inadaptation du traitement réservé aux
politiques linguistiques.

Un second exemple qui fit la première page des journaux fut la proposition de
modifier l’une des procédures internes de traduction dans la Commission de
Bruxelles, dans le cadre d’un programme d’économies. Le gouvernement français
eut connaissance de ce plan, à la suite de quoi une lettre commune fut envoyée
par les ministres des Affaires étrangères de France et d’Allemagne, Hubert
Védrine et Joschka Fischer, à Romano Prodi, Président de la Commission, le 2
juillet 2001. Cette lettre accusait la Commission d’essayer d’introduire le
« monolinguisme » dans les institutions de l’UE, ce qui, en clair, équivalait à
instituer l’anglais comme unique langue de travail interne, et cela représentait
une dérive inacceptable par rapport au système habituel. La réplique de Prodi,
transmise en français et en allemand, assurait que le multilinguisme était d’une
importance cardinale pour l’UE, que rien n’avait été décidé, mais qu’il fallait
tenir compte de l’efficacité et des économies à faire dans les services
linguistiques. L’élargissement imminent de l’UE rendait ces mesures encore plus
importantes.

A ce stade, la presse avait détecté un « complot pour imposer l’anglais à l’UE  »
(Irish Times), « Fischer et Védrine s’opposent à l’invasion de l’anglais
 » (Frankfurter Allgemeine Zeitung), « Les projets linguistiques de
Kinnock hérissent les Français » (The Independent), etc. Nombre
d’articles de presse contiennent des inexactitudes quant au système actuel et à
son coût, et se lancent dans des interprétations fantaisistes et nationalistes.
L’échange de lettres et les articles de presse révèlent de la façon la plus
claire qu’un nerf existentiel avait été touché. Ces deux différends sont de
parfaits exemples de la constante tension entre les intérêts nationaux et
supranationaux, et de l’absence de procédures et principes adéquats pour
résoudre les problèmes.

Je crains que cela ne soit généralement le cas au niveau supranational, et
souvent national, même dans des pays qui font un effort de réflexion sur la
politique linguistique, comme la France. Les efforts des Français ont eu une
influence sur l’appui apporté à la diversité linguistique dans les proclamations
de l’UE, mais on note un plaidoyer spécial pour le français, plutôt que pour les
droits de toutes les langues en question .

Nombre de facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer que la politique
linguistique ne soit pas abordée de manière plus calme et plus compétente.

  • Il existe des différences majeures entre les idéologies
    sous-jacentes à la formation des Etats, et dans le rôle qu’y joue la langue
    (la tradition romantique nationale, le droit du sang, Herder, comme en
    Allemagne, et la tradition républicaine, le droit du sol, la citoyenneté,
    comme en France). Les questions de langue ne sont donc pas comprises de la
    même manière dans les différents pays, y compris pour des notions de base
    comme celles de langue et de dialecte, ceci empêchant toute compréhension
    partagée des problèmes de politique linguistique.

  • Les niveaux de conscience des problèmes de politique
    linguistique varient largement d’un pays à l’autre de l’UE et à l’intérieur de
    chacun d’entre eux. Ils tendent à être assez élevés, par exemple, en Finlande
    et en Grèce, mais souvent avec un point de vue très sélectif, et faibles au
    Danemark et en Angleterre.

  • L’infrastructure laisse à désirer dans les universités et
    instituts de recherche en Europe en matière d’analyse de la politique
    linguistique, du multilinguisme, et des droits linguistiques, ce qui reflète
    un manque d’investissement dans ce domaine.

  • Les attributions en matière de politique linguistique dans
    chaque pays tendent à être partagées entre les ministères des Affaires
    étrangères, de l’Education, de la Culture, de la Recherche et du Commerce. Les
    uns comme les autres sont généralement peu compétents en matière de politique
    linguistique, et la coordination entre eux est inadéquate ou inexistante. Dans
    les pays de structure fédérale, la responsabilité est encore plus diffuse.

  • Comme l’anglais est utilisé de façon intensive par des
    locuteurs, natifs ou non, de différentes parties du monde, il n’existe pas de
    corrélation simple entre son emploi et les intérêts d’un Etat particulier. Il
    reste que l’anglais est lié au système économique dominant, et qu’il a une
    position très solide comme langue étrangère la plus répandue à l’école (de
    façon beaucoup plus accentuée en Europe du nord que dans la partie méridionale
    du continent), et dans les réseaux de communication à l’échelle mondiale.

Ainsi, une politique de laissez faire comporte des risques
majeurs pour toutes les langues autres que l’anglais. Exposer la politique
linguistique aux forces du marché, tant au niveau national qu’à celui des
institutions supranationales, c’est être assuré qu’à l’arrivée on aura davantage
d’anglais et moins d’autres langues.

Quant à savoir si le progrès de l’anglais implique le naufrage des autres
langues, il faudrait pour cela explorer toute une gamme de fonctions et de
contextes du langage. Du fait que onze langues sont utilisées et se développent
parallèlement dans les institutions de l’UE, on peut soutenir qu’elles se
renforcent toutes à l’échelon international, même si ce n’est pas nécessairement
dans une mesure égale, et pas sans que la hiérarchie entre elles soit remise en
question.

Je n’entrerai pas dans la question épineuse du fonctionnement des services de
traduction ou d’interprétation, mais je dirai simplement qu’ils sont
généralement dénoncés comme étant excessivement coûteux, alors qu’en fait ils ne
représentent à l’heure actuelle que 0,8% du budget total de toutes les
institutions de l’UE, ce qui revient à 2 euros par an pour chaque citoyen
européen (montant très faible par comparaison avec les subventions à
l’agriculture). C’est là un modeste prix à payer pour le principe selon lequel
l’utilisation des langues de tous les Etats membres est une obligation, en
particulier lorsqu’il s’agit de l’élaboration et de l’approbation d’un courant
constant de documents ayant force de loi dans tous les Etats membres.

La parité des 11 langues officielles de l’UE est une question complexe, à
laquelle les comptes rendus journalistiques, généralement sous la pression de
telle ou telle crise, rendent rarement justice . Les politiques linguistiques en
Europe reflètent nombre de paradoxes et de tensions non résolus et entremêlés :

  • un héritage d’Etats-« nations », de langues et d’intérêts « nationaux« ,
    MAIS une intégration supranationale, et l’internationalisation
    de nombreux domaines, le commerce, la finance, l’éducation, la science, la
    politique et la société civile des Etats membres de l’UE ;
  • l’égalité théorique des Etats membres de l’UE et
    de leurs langues, MAIS un ordre de préséance entre les Etats et les
    langues, que l’on voit actuellement dans le passage du français à l’anglais
    comme langue de travail principale des institutions de l’UE. Les chiffres
    concernant les documents à l’état de version préliminaire reflètent une
    évolution spectaculaire depuis une vingtaine d’années, du français langue
    principale à l’anglais langue dominante ;
  • la poussée continue de l’américanisation, de
    l’homogénéisation culturelle (« McDonaldisation »), et l’hégémonie de
    l’anglais
    , MAIS la célébration de la diversité linguistique européenne,
    du multilinguisme, du métissage culturel et linguistique, et le
    soutien mesuré apporté aux droits linguistiques des minorités ;
  • la représentation des langues comme de simples outils
    techniques, pragmatiques, MAIS leur rémanence comme marqueurs d’identité
    existentiels pour les divers individus, cultures, groupes ethniques et Etats ;
  • le traitement de la politique linguistique comme une
    question de fonctionnement pratique, MAIS sa persistance comme « politiquement
    sensible
    « , façon codée pour les hommes politiques, les eurocrates et les
    diplomates d’avouer qu’ils ne savent pas comment réformer le présent régime,
    ni améliorer la communication interne et externe de l’UE, problème que
    l’élargissement rend plus complexe encore ;
  • l’Allemagne comme force démographique et
    économique dominante en Europe, MAIS l’allemand progressivement
    marginalisé dans les domaines du savoir, du commerce, de la « culture jeune »
    et sur le marché linguistique mondial, de la même manière que l’on voit se
    réduire l’influence internationale du français. L’émergence de l’anglais comme
    langue étrangère la plus répandue en Europe, à cause de son utilité
    fonctionnelle évidente, entraîne la disparition des autres langues comme
    langues étrangères, alors que peu de systèmes d’enseignement s’attaquent
    sérieusement au problème de la garantie de la diversité dans l’apprentissage
    des langues, qu’il s’agisse de langues étrangères, de langues de minorités
    régionales ou de celles de pays voisins ;
  • l’anglais est promu comme panacée linguistique,
    MAIS sur les 378 millions de citoyens des Etats membres, seuls 61 millions
    parlent l’anglais comme langue maternelle, moins de la moitié des autres
    connaissent l’anglais comme langue étrangère, et la proportion de ceux qui le
    parlent avec assurance varie grandement d’un pays à l’autre . Il est étonnant
    que les Etats investissent lourdement dans l’apprentissage d’une langue qui
    symbolise l’impérialisme culturel, et la conscience des formes et mécanismes
    de cet impérialisme culturel et linguistique est très lacunaire et souvent
    absente.

La clarté, lorsqu’il s’agit de discuter de politique
linguistique de l’UE, est insaisissable car nombre des concepts centraux sont
embrouillés et utilisés de façon contradictoire. J’en donnerai trois exemples :

  • En théorie, les onze langues ont toutes le même statut de
    langue officielle et de travail. En pratique, on observe une tendance à
    restreindre les « langues de travail » au français et à l’anglais,
    ainsi que, pour certains domaines, à l’allemand. Cette confusion
    terminologique (qui est présente dans la lettre écrite à Romano Prodi par les
    ministres des Affaires étrangères de France et d’Allemagne mentionnée plus
    haut) est symptomatique de l’acceptation d’une hiérarchie des langues.
    Certaines langues sont plus égales que d’autres.
  • En second lieu, le terme de « lingua franca » tend à
    être utilisé comme s’il y avait égalité entre les utilisateurs de la langue en
    question, mais est-il vraisemblable que les locuteurs natifs et non natifs du
    français ou de l’anglais jouent à armes égales sur le terrain de jeu
    linguistique ? L’innocence de l’étiquette cache la dimension de pouvoir qui
    confère des privilèges à certains et en désavantage d’autres. Naturellement,
    l’utilisation de la langue maternelle ne garantit pas l’intelligibilité. Les
    personnes qui emploient régulièrement plusieurs langues ont davantage tendance
    à être sensibles, dans leur utilisation du langage, à la communication
    interculturelle que les monolingues.
  • En troisième lieu, les désignations « natif / non natif »
    considèrent certains utilisateurs de la langue comme authentiques et
    infaillibles, et stigmatisent les autres comme illégitimes. Certains travaux,
    dans le milieu des enseignants d’anglais comme langue étrangère, entreprennent
    de décrire et de réévaluer l’anglais des Européens du continent, et ce pour
    plusieurs raisons . L’anglais est utilisé efficacement par d’innombrables
    personnes dont ce n’est pas la première langue, ce qui fait que la « propriété
    » de l’anglais change, et ces utilisateurs devraient peut-être être considérés
    comme des locuteurs compétents d’une langue non-nationale ou post-nationale
    plutôt que des sujets parlant mal un anglais maternel. C’est là une idée
    intéressante, mais il est difficile de voir les implications qu’elle peut
    avoir pour la pédagogie de la langue. Les vertus supposées des locuteurs
    natifs leur assurent actuellement un avantage colossal, tout d’abord sur le
    marché du travail, et pas seulement comme professeurs de langue. La Commission
    et le Conseil de l’Europe ont été attaqués pour avoir favorisé de manière
    illégitime les personnes de langue maternelle anglaise dans les annonces de
    vacances de postes auxquels tous les citoyens de l’UE doivent avoir égal
    accès. La vérification de l’application de ce principe doit être faite par
    l’institution de l’Ombudsman, ou médiateur, de l’UE, mais ses pouvoirs sont à
    l’heure actuelle étroitement limités.

Ainsi, certains de nos concepts de base en matière de
politique linguistique sont trompeurs. Au-delà des facteurs idéologiques qui
brouillent l’analyse au niveau supranational dans ce domaine, on trouve la
réalité banale des gens qui ont du mal à se comprendre, avec ou sans
l’assistance d’interprètes. Les paradoxes non résolus subsistent. Le défi que
représente l’élaboration de politiques linguistiques visionnaires et plus
équitables attend encore d’être relevé.

Le fait qu’un grand nombre de fonctionnaires, d’experts, d’universitaires,
d’enseignants et d’ONG participent aux activités de l’UE ajoute une identité
linguistique supranationale aux identités linguistiques nationales existantes.
Ceux qui maîtrisent l’anglais et le français, à titre de première ou de seconde
langue, sont dans une position privilégiée. Il n’est pas besoin d’ajouter que
les Anglais et les Français eux-mêmes peuvent apprendre les langues étrangères.
Sur le continent européen, l’anglais est traditionnellement appris comme langue
supplémentaire et, jusque récemment, il était difficile d’imaginer que les
locuteurs de l’allemand ou du suédois courent le risque de voir leur langue
maternelle marginalisée ou atrophiée au niveau individuel ou au niveau social.
Il se pourrait que ce tableau évolue. Ceci est dû aux empiétements de l’anglais
dans de nombreux domaines.

La manchette de l’édition européenne de Business Week du 13 août 2001
posait la question : « Tout le monde doit-il parler anglais ? « . Le corps de
l’article était précédé d’un titre pavoisant « La Grande Fracture de l’anglais.
En Europe, la connaissance de la lingua franca sépare les nantis des exclus « .
Le dessin de couverture représente deux hommes d’affaires : l’un communique avec
succès, celui qui parle anglais ; l’autre reste muet, sans voix. Il s’agit ici
de projeter l’image de l’anglais comme indispensable dans le monde des affaires
à travers l’Europe. Le non dit est que la connaissance d’autres langues ne mène
nulle part. L’article expose comment un nombre de plus en plus grand de sociétés
d’Europe continentale passent à l’anglais comme langue interne de l’entreprise.
Il explique également comment l’anglais des affaires est une manne pour les
écoles de langues enseignant l’anglais. On a dit que ce secteur ne le cédait en
importance, dans l’économie britannique, qu’au pétrole de la mer du Nord..

L’anglais, comme Tyrannosaurus Rex de la communication scientifique n’est pas
une espèce éteinte. Dans certaines facultés de Norvège, les chercheurs sont
récompensés par une prime importante s’ils publient en anglais, mais ce qu’ils
écrivent dans la langue du pays ne leur donne droit qu’à peu de chose. La
tendance est à considérer une publication « internationale » comme intrinsèquement
supérieure, même dans des pays qui disposent d’une longue tradition de recherche
nationale, et ceci influe sur les critères d’emploi et le choix des sujets de
recherche. La domination de l’anglais comme langue de la science, tant dans les
publications que dans la formation post-doctorale, fait l’objet de critiques de
plus en plus sévères, et des sonnettes d’alarme résonnent en Autriche , au
Danemark, en Allemagne et ailleurs.

Deux évolutions récentes touchant les pays nordiques méritent une mention
spéciale . Le Conseil des ministres des pays nordiques a lancé une recherche en
2001 sur les éventuelles pertes de domaines que pourraient subir les langues
scandinaves, louable exercice, car on manque souvent de faits avérés témoignant
des tendances observées, bien que tout le monde semble avoir une opinion sur la
politique linguistique. Les rapports suggèrent qu’il y a un risque de voir ces
langues connaître un effritement dans certains domaines, en particulier dans les
activités scientifiques et technologiques. Le gouvernement suédois a également
créé une commission parlementaire afin d’estimer dans quelle mesure le suédois
était menacé par l’anglais, et pour élaborer un plan d’action visant à garantir
que le suédois reste une langue complète, bien apprise et employée par ses
locuteurs de première et de seconde langue, et conserve ses droits entiers comme
langue officielle et de travail de l’UE. Le plan cherche également à s’assurer
que les Suédois sont bien équipés pour leurs besoins en langues étrangères, en
particulier en anglais, et que ceux d’entre eux qui parlent une langue
minoritaire jouissent de leurs droits linguistiques. Un processus massif de
consultation nationale est actuellement en cours, et devra déboucher sur une loi
en 2004. Il semble que cet Etat-nation soit en train de passer du monolinguisme
à un spectre différencié de multilinguisme.

La différenciation fonctionnelle entre plusieurs langues n’est pas en soi
nouvelle. Christian Wilster, poète qui fut le premier à traduire l’Iliade
et l’Odyssée d’Homère du grec en danois, écrivait en 1827: « Tout
honnête homme qui tient à sa bonne éducation ne prend la plume qu’en latin,
parle français aux dames, allemand à son chien et danois à ses domestiques. »
Depuis cette époque, nous avons connu dans toute l’Europe l’apogée de
l’Etat-nation monolingue, dont la main de fer est aujourd’hui desserrée par
l’américanisation et l’européanisation. Nous sommes à l’heure actuelle les
témoins de l’érosion du monopole d’une langue nationale unificatrice et
stratificatrice dans les Etats-nations. Ceci pose nombre de questions de droit
linguistique . Il est possible que l’accès à la langue internationale dominante
soit devenue la distinction clé séparant les nantis des plus démunis dans les
pays d’Europe continentale, et cela dans un sens beaucoup plus large que ce que
voulait dire Business Week. En gros, c’est le rôle de l’anglais à
l’échelle internationale dans les Etats post-coloniaux, où cette langue ouvre
des portes aux happy few et les referme au nez de la plupart. Dans une
grande partie de l’Europe, la connaissance de l’anglais devient une condition
préalable à l’accès à l’enseignement supérieur et à l’emploi, conjointement aux
formes préférées de communication dans la langue nationale. Les Etats s’ajustent
à la globalisation, dont les conséquences sur la politique linguistique ne sont
pas toujours apparentes. On ne sait plus très bien dans quelle mesure les Etats
décident de la politique linguistique nationale, ou si l’initiative est déjà
passée aux institutions de l’UE, aux conseils d’administration des
multinationales et aux gardes-barrières anglophones dont dépend l’admission à
d’innombrables domaines.

L’UE s’est fondamentalement abstenue de toucher au problème, en-dehors de la
nécessité d’assurer le fonctionnement de ses institutions sur les plans interne
et externe dans un ensemble limité de langues. Le sommet de Copenhague en
décembre 2002 s’est surtout préoccupé d’arriver à un accord sur les conditions
d’adhésion des nouveaux Etats membres. Lors de la conférence de presse
regroupant les chefs d’Etat des pays membres et des candidats, la banderole
déployée derrière les hommes politiques proclamait « One Europe » en une seule
langue. D’où la réaction du ministre espagnol des Affaires étrangères, Ana
Palacio, qui écrivit dans El País du 16 décembre 2002: « La devise ‘One Europe’,
en anglais seulement, pose problème. Même si la question des langues n’a pas été
abordée à Copenhague, c’est là l’un des sujets en souffrance qui doivent être
débattus le plus tôt possible. La survie et la viabilité de ce projet d’Europe à
vocation mondiale sont en jeu. Dans ce cadre, l’espagnol, l’une des langues
officielles de l’ONU, parlée par plus de 400 millions de personnes dans plus de
20 pays, doit prendre la place à laquelle il a droit. »

Mais ce que doit précisément être cette « place » n’est pas clair, car la question
des langues au niveau européen n’a pas été ouvertement traitée. Le sujet est
« explosif », selon le président du groupe de députés français au Parlement
européen, Pierre Lequiller, qui s’exprimait lors d’une réunion organisée pour
examiner le 11 juin 2003 un Rapport sur la diversité linguistique au sein de
l’Union européenne
, rédigé par Michel Herbillon.

La Convention sur l’Avenir de l’Europe n’a pas traité des questions de politique
linguistique, même si les objectifs des récentes réformes de l’UE incluaient une
augmentation de la responsabilité politique et de la communication entre les
institutions de l’UE et les citoyens. La Convention choisit de ne pas répondre
aux « Propositions linguistiques pour l’avenir de l’Europe « , présentées par le
groupe Europa Diversa , qui plaide en faveur de politiques plus actives pour
renforcer la diversité linguistique, pour allouer des fonds à toutes les langues
autochtones de l’Europe, pour se conformer au principe de subsidiarité afin de
garantir que le pouvoir et l’auto-régulation des affaires linguistiques soient
aussi décentralisés que possible, et pour l’organisation d’un débat public sur
la réforme du régime des langues dans les institutions de l’UE. La Convention
choisit également de ne pas répondre au mémoire présenté par Le droit de
Comprendre – Groupement d’associations pour l’action
(Avenir de la langue
française, Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française,
Défense de la langue française, Résistance à l’agression publicitaire), et
exposant qu’

. Un domaine fondamental de la culture et de l’identité des peuples a été passé
sous silence par les autorités politiques, celui des langues.
. Ce terrain abandonné a été investi par les commissaires et les
fonctionnaires de la Commission, ou des autres institutions, pour imposer un
choix linguistique, sans souci de l’avis des citoyens et de leurs représentants.
Ce choix se porte d’une manière évidente sur l’anglais, langue unique de
l’Europe
.

Lors de la Journée Européenne des Langues, le 26 septembre 2003, le Comité
de coordination pour la démocratie linguistique en Europe
(qui regroupe un
nombre important d’ONG en France, en Allemagne et ailleurs) a lancé l’Appel
L’EUROPE SERA MULTILINGUE OU NE SERA PAS. Mis à part une certaine activité
gouvernementale au début de 2003 pour souligner la nécessité de l’usage du
français, le monde politique semble être paralysé dans le domaine de la
politique linguistique.

Cette immobilisme sur la question des langues est extrêmement inquiétant, car
l’inaction ne peut aboutir qu’à renforcer l’anglais et affaiblir les autres
langues. Dans les affaires internes des institutions européennes, des pressions
constantes s’exercent pour faire des économies dans l’administration des
services de traduction et d’interprétation. Ces pressions s’accroissent à cause
de l’arrivée imminente des langues des nouveaux Etats membres. Les diverses
fonctions et services que fournit l’UE exigent des politiques différentes. Il
n’y a rien d’odieux à ce que les salariés permanents d’une institution qui
rassemble des personnes issues de milieux différents emploient un nombre
restreint de langues. On peut demander aux eurocrates de pratiquer trois
langues, à savoir leur langue maternelle et deux autres, et ceci doit être exigé
en particulier des personnels qui ont le français ou l’anglais comme langue
maternelle. A de tels postes, on peut s’attendre à un plus haut niveau de
connaissance passive (lecture, écoute) que de connaissance active (rédaction,
expression). En revanche, il est déraisonnable de demander aux représentants des
Etats membres, aux hommes politiques nationaux, aux fonctionnaires et aux
experts d’être aussi à l’aise dans une langue étrangère que dans leur langue
maternelle. En théorie, on n’escompte pas qu’ils le soient, car l’interprétation
et la traduction servent à faciliter les interactions par-delà les barrières
linguistiques, et le font souvent avec une efficacité impressionnante, mais en
pratique l’élaboration en parallèle de textes d’une certaine complexité dans
plusieurs langues à la fois, et leur mise au point définitive en temps voulu,
posent de nombreux problèmes logistiques.

Les réformes doivent s’attaquer aux paradoxes fondamentaux de la politique
linguistique de l’UE, clarifier les critères permettant d’aboutir à une
communication multilingue équitable, et appliquer réellement une politique qui
respecte les droits humains en la matière et renforce la diversité linguistique.
Il convient donc de réunir de façon urgente toutes les parties prenantes de la
politique des langues. Beaucoup d’expérience a été accumulée sur cette question
dans le monde, bien que les responsables politiques aux échelons nationaux et
supranationaux en soient très peu informés. La plupart des ouvrages consacrés
par les spécialistes des sciences sociales à l’intégration européenne réservent
très peu de pages à la politique linguistique et trahissent une ignorance
grossière de la question. Ils ont trop souvent tendance à considérer que
l’expansion de l’anglais ne pose pas de problème. A mon avis, ces questions sont
si complexes qu’elles méritent de s’y voir consacrer des ouvrages entiers. Le
livre que j’ai intitulé English-only Europe? Language policy challenges
(Routledge, 2003) [Vers le tout anglais en Europe ? Les défis de la politique
linguistique] vise à passer de la descr1ption de la situation passée et présente
des langues en Europe à un ensemble de 45 recommandations spécifiques conçues
pour garantir un profil plus haut et un traitement plus compétent. Elles sont
regroupées en quatre catégories, qui concernent :
· l’infrastructure nationale et supranationale en matière de politique
linguistique,
· les institutions de l’UE,
· l’enseignement et l’apprentissage des langues,
· la recherche.

Il est à espérer que ces recommandations ne resteront pas à l’état de
spéculations érudites jusqu’à ce que la volonté politique surgisse de bas en
haut et de haut en bas pour s’éloigner du laissez faire et des ordres
du jour nationaux rudimentaires, et considérer les problèmes dans leur ensemble,
afin d’inscrire dans les faits la rhétorique du maintien de la diversité
européenne. Aucune langue n’est par elle-même bonne ou mauvaise. L’anglais peut
être utilisé pour garantir l’émergence d’un ordre linguistique plus équitable en
Europe.

*****************

Un article de Robert Phillipson à traduire dans d’autres langues et à
utiliser selon les opportunités. (La version anglaise existe déjà).

Artikolo de Robert Phillipson tradukenda al aliaj lingvoj kaj utiligebla
lau’bezone (la angla versio jam ekzistas).

Amike

Renato (
renato.corsetti@esperanto.org
)

**********

(Ce texte nous a été communiqué par M.Germain Pirlot,
gepir.apro@pandora.be )

(Le 27 mars 2004)

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