Le Soleil
Le Québec et le Canada, samedi 13 novembre 2004, p. A17
Sur le plan économique, le Québec pourrait devenir indépendant, affirment
deux chercheurs de Harvard
Giroux, Raymond
Ottawa – Grâce au libre-échange, l’argument économique contre le souveraineté
du Québec ne ferait pas le poids dans un nouveau référendum, soutient le
directeur du département d’économie de l’Université Harvard, Alberto Alesina.
"Le fait de participer à une vaste zone de libre-échange permet aux pays de
prospérer, à la condition évidente de demeurer très ouverts aux autres
économies, dit-il en entrevue au SOLEIL. Ce contexte enlève de la pression au
Québec, dans le cadre de l’ALENA."
"Sur un plan strictement économique, soutient M. Alesina, il ne serait pas
tellement difficile pour le Québec de devenir indépendant. Cela peut se faire à
un coût très bas pour tout le monde et je ne vois pas pourquoi il ne réussirait
pas.
"La décision est strictement politique et si le Québec veut se séparer pour
des raisons linguistiques, par exemple, l’économie ne sera pas un facteur dans
la décision, dit-il.
"Des petits pays comme le Danemark, l’Islande ou Singapour sont prospères
parce qu’ils ont une économie ouverte, ajoute le professeur. Il n’y a aucune
raison pour qu’un petit pays ne réussisse pas."
Coauteur d’un ouvrage intitulé The Size of Nations, M. Alesina dit s’être
intéressé à la question de la taille des pays dans le contexte du démantèlement
de l’Union soviétique et du développement croissant des régionalismes dans
l’Union européenne, le tout dans le cadre de la mondialisation de l’économie.
équations savantes à l’appui, M. Alesina et son collègue Enrico Spolaore ont
développé des modèles économiques (tout aussi complexes que la formule de
péréquation) qui leur permettent de conclure que des petits pays peuvent se
révéler en théorie plus efficaces que de grands états hétérogènes.
"Il y aura certainement un moment où le Québec et le Canada devront décider
s’ils veulent demeurer ensemble une fois dépassé le sommet de la courbe de
rentabilité de la vie commune", dit-il.
Les deux économistes écrivent d’ailleurs qu’il "faut s’attendre à ce que la
possibilité de l’accession du Québec à l’indépendance s’accroisse" à la suite de
son intégration économique au reste du continent.
Même s’il y a toujours des coûts assortis à la création de nouveaux pays et à
l’ajout de frontières, comme il l’écrit, M. Alesina n’y voit rien
d’insurmontable dans le cas du Québec, à la condition qu’il demeure membre de
l’ALENA.
La seul inconnue dans ses équations, admet-il, est le poids de ce que les
économistes appellent "l’effet frontière", le résultat étant la prééminence au
Canada du commerce interprovincial sur le commerce international malgré les
distances, alors que la géographie devrait normalement imposer le contraire,
soit un axe nord-sud.
Déjà cet "effet frontière" a nettement diminué depuis la signature du traité
de libre-échange avec les états-Unis, mais l’économiste n’a aucun moyen de
prévoir l’impact de la souveraineté sur ce volet du dossier, sinon pour le
qualifier de peu important. "Ce serait là le seul coût réel de l’indépendance du
Québec", dit-il.
Le reste du Canada, par ailleurs, ne souffrirait pas plus que le Québec d’une
rupture, au plan économique, si elle se fait dans la paix et la coopération.
Le départ du Québec causerait cependant un "vide" entre l’Ontario et les
provinces atlantiques dont il ne peut juger les conséquences. Cette situation,
affirme-t-il, a donné un poids supplémentaire au Québec au fil des ans. Si le
Québec se trouvait géographiquement à une extrémité du pays, il serait
possiblement déjà souverain.
Si la question du déséquilibre fiscal entraîne par ailleurs des effets
pervers, croit l’économiste, il estime qu’il n’y a pas de solution parfaite à ce
problème.
Idéalement, chaque niveau de gouvernement devrait percevoir les impôts
nécessaires pour tenir ses responsabilités, mais une telle solution ne
permettrait plus de soutenir les provinces les plus pauvres par la péréquation,
dit-il.
Alberto Alesina et Enrico Spolaore, The Size of Nations, publié au
Massachusetts Institute of Technology Press. 262 pages.