GUERRE AU BARBARISME « ÊTRE À L’EMPLOI DE »

guerre au barbarisme « être à l’emploi de »

L’Association a déposé le 2 décembre dernier un court mémoire à la Commission de l’économie et du travail pour demander en particulier l’élimination du barbarisme « être à l’emploi de » de toutes les lois du Québec. Suit le texte de ce mémoire.

MéMOIRE

à la Commission de l’économie et du travail

concernant le projet de loi no 143

relatif aux normes du travail

L’Association pour le soutien et l’usage de la langue française (ASULF) dépose le court mémoire qui suit pour inviter votre commission à corriger une erreur de vocabulaire grave dans le projet de loi mentionné ci-dessus, de même que deux autres termes impropres.

I. éliminer à tout jamais le barbarisme « être à l’emploi de »

L’art. 65 ajoute l’art. 123.11

L’article 123.11 débute ainsi : « Si le salarié est encore à l’emploi de l’employeur… ». L’expression « être à l’emploi de » est une traduction littérale de « to be in the employ of » qui figure à juste titre, faut-il le dire, dans la version anglaise. Ce seul fait ne serait toutefois pas suffisant pour la critiquer, bien des locu­tions françaises correspondant, mot pour mot, à des locutions anglaises. Ce qui est sérieux, grave même, c’est que cette expression n’existe nulle part en français; elle est un barbarisme, rien d’autre, qui découle d’une traduction séculaire fautive.

Tous les dictionnaires anglais-français donnent des façons de rendre l’expres­sion « in the employ of », soit « être employé par, travailler à/chez/pour » ou « être au service de ». On ne voit jamais « être à l’emploi de ». Bien plus, nombre de linguistes québécois ont publié des ouvrages dans lesquels ils sont unanimes à dénoncer l’expression « être à l’emploi de ».

Voici une liste, partielle, de ces ouvrages :

Camil Chouinard. 1300 pièges du français parlé et écrit (2001)

Constance Forest. Denise Boudreau, Dictionnaire des anglicismes Le Colpron (1999)

Gérard Dagenais. Dictionnaire des difficultés de la langue française (1984)

Jean Darbelnet. Dictionnaire des particularités de l’usage (1986)

Yvon Delisle. Mieux dire, mieux écrire (2000)

Robert Dubuc. 200 fautes de langage à corriger (1971)

Paul Roux. Lexique des difficultés du français dans les médias (1997)

Serge Tremblay. Rédaction d’une convention collective (2000)

Marie-éva de Villers. Multidictionnaire de la langue française (2002)

Voilà une unanimité qui ne trompe pas. C’est le législateur qui n’a pas le pas.

Application limitée de la locution « au service de »

Même si l’expression « être au service de » peut être utilisée en français dans le sens de « in the employ of », il faut noter qu’elle a un sens limité en français. Elle se dit des employés de maison plutôt que des salariés en général. Ce n’est donc pas l’expres­sion à privilégier dans une loi générale comme celle qui porte sur les normes du travail.

Respecter la langue anglaise

Le législateur doit aussi garder en anglais la locution « in the employ of », car c’est celle qui est correcte dans cette langue et qui rend bien l’idée du législateur. Il ne faudrait pas laisser les traducteurs anglophones l’écarter parce qu’elle ne correspon­drait pas, mot pour mot, à la nouvelle formulation française. En somme, il ne faut pas calquer la version anglaise sur le texte français parce qu’on améliore la version française, ce qui est déjà arrivé, malheureusement, dans le passé.

La locution « être à l’emploi de » est omniprésente dans notre législation

Une recherche, sûrement incomplète, des lois en vigueur nous a permis de relever quelque 85 occurrences de cette locution dans notre législation. Nous en indiquons un certain nombre seulement, suffisant toutefois pour illustrer notre propos.

Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (art. 9.10, 12,01, 15, 16, 337)

Code du travail (art. 105)

Loi sur les impôts (art. 42.12, 286, 965.6.9, 965.6.10, 965.6.10.1, 1029.8.22, 1029.8.23, 1029.8.23.1, 1029.8.23.2, 1029.8.23.3, 1029.8..23.4, 1029.8.36.4)

Loi sur le ministère de l’éducation (art. 39)

Loi sur la protection de la jeunesse (art. 25, 26, 134)

Loi sur la fonction publique (art. 164, 165)

Loi sur les décrets de conventions collectives (art. 49)

Loi sur la Société des alcools (Art. 39.1)

Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction (art. 5)

Loi sur les services de santé et les services sociaux (art. 151, 619.64)

Loi sur les caisses d’épargne et de crédit (art. 54.61)

Charte de la Ville de Montréal (art. 152, 172, 174)

Charte de la Ville de Québec (art. 152, 154)

Charte de la Ville de Lévis (art. 123, 125)

Charte de la Ville de Hull (art. 110, 112)

Loi sur la Communauté urbaine de l’Outaouais (art. 106.1, 260)

Loi sur l’Institut national de santé publique du Québec (art. 42, 44)

Loi sur la Régie de l’énergie (art. 150, 152, 154)

Loi sur la Société immobilière du Québec (art. 46, 48)

Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques (art. 134) 1-8.1

Loi sur les assurances (art. 59)

Loi sur la Société des établissements de plein air du Québec (art. 39, 41)

Règlement sur les normes du travail (art. 16)

Notre législation est, à l’évidence, réellement infestée par la locution « être à l’emploi de ». L’occasion se présente de corriger la situation par une disposition « omnibus » qui préciserait que cette locution barbare est remplacée, dans toutes les lois, par une locution française telle que, par exemple, « qui travaille chez ».

Certains objecteront peut-être qu’une telle correction d’ordre général ne doit pas être faite à l’occasion d’un projet de loi qui modifie une loi et que ce devrait plutôt être fait à l’occasion d’une loi générale, comme ce fut le cas en 1999. Cette année-là, le législateur a adopté la Loi concernant l’harmonisation avec le Code civil des lois publiques (1999, chap. 40) pour corriger de nombreuses fautes de français.

Il n’y a rien à redire à cette façon de procéder, mais ce ne doit pas être la seule et on ne devrait pas attendre un autre siècle pour corriger une expression comme celle qui est dénoncée aujourd’hui. Il ne faut pas oublier que le législateur a refusé dans le passé d’éliminer cette faute lorsque la demande lui en a été faite. Il va récidiver à la prochaine occasion, peut-être même dans les semaines qui viennent, si la situation dénoncée n’est pas redressée aujourd’hui. Les personnes qui s’accommodent bien de la présence de ce barbarisme ne sont pas pressées de l’éliminer, celles qui se soucient le moindrement de la correction de la langue du législateur ont hâte, au contraire, de le voir disparaître. L’état doit cesser de donner le mauvais exemple!

Si jamais certains objectent que la sécurité juridique impose la conservation de ce barbarisme, répondez que, si cette prétention était fondée, elle signifierait que la langue française est déficiente ou que ses immenses ressources leur sont inconnues.

Avant de clore le sujet, qu’on nous permette de signaler que la définition des mots « domestique » et « salarié » à l’art. 1er de la Loi sur les normes du travail ne comporte pas la locution « être à l’emploi de ».

II. L’abus du mot « spécifique »

L’art. 10 modifie l’art. 49

Au deuxième alinéa, on lit : « pour une fin spécifique mentionnée dans cet écrit ». Le mot « spécifique » est bien français, mais son emploi est douteux dans cette phrase. Ce mot français n’a pas tous les sens du mot anglais « specific ». Il est, à notre avis, un calque injustifié dans ce cas. Il serait préférable d’écrire, par exemple, « pour une fin précise », ce dernier mot étant pré­cis, faut-il le mentionner.

III. L’abus du mot « requis »

L’art. 15 modifie l’art. 57

Au troisième paragraphe, on lit : « … en sus du temps de déplacement normalement requis pour se rendre à son lieu de travail habituel ». Le mot « requis » est bien français, mais son emploi agace dans cette phrase.

L’occurrence de ce mot est beaucoup plus fréquente au Québec qu’ailleurs dans le monde francophone. Sa fréquence ici s’explique par l’omniprésence de « required » dans les textes anglais, que l’on traduit servilement par le terme français qui y ressemble en apparence, sans plus de précaution. On écrirait naturellement ici « temps de déplacement néces­saire… ».

CONCLUSION

Que votre commission fasse un beau geste pour la promotion de la langue française!

– La patrie reconnaissante

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