SOIXANTE éCOLE POUR CONTOURNER LA LOI 101
Malgré son coût très élevé
Lécole primaire anglaise à Québec séduit 600 parents francophones
par Jean-François Vallée
Collaborateur régulier de L’ACTION RéGIONALE
TRIBUNE LIBRE 4.4.2002
Scénario : Un couple de parents francophones de la classe aisée de Québec.
La langue et la culture anglaises exercent un puissant prestige sur leur
conscience ; ils la jugent essentielle à la réussite professionnelle. Ils
ont des enfants, disons trois. Laîné sapprête à accéder à lécole
primaire. Or, grande déception : nayant pas eu dancêtres anglophones, ils
ne peuvent pas envoyer leurs enfants à lécole anglaise, comme les «vrais»
anglophones, Charte de la langue française oblige. Paniqués, ils ne savent
pas comment protéger leurs enfants du virus de lécole française…
Sils patientent suffisamment, il suffira à ces parents de débourser la
rondelette somme de 5 300 $ (déductibles dimpôt) pour envoyer leur aîné(e)
à la première école primaire privée non subventionnée («non agréée», dans le
jargon administratif gouvernemental) à avoir pignon sur rue à Québec. Que se
passera-t-il ensuite ? Cest à ce stade que le dossier devient des plus
intéressants…
Les écoles «Vision»
Précisons dabord que le réseau décoles privées «Vision» ne compte à ce
jour que deux succursales au Québec, situées à Drummondville et à
Victoriaville, et qui accueillent chacune 150 élèves francophones selon les
chiffres de la Commission d’admissibilité à l’enseignement en anglais du
Ministère de léducation du Québec. Au total, le Québec compte cependant une
soixantaine décoles de ce type.
Les médias ont récemment fait état dune faille significative dans la Charte
de la langue française sur le plan de laccessibilité à lécole anglaise. La
loi stipule en effet qu’il suffit qu’un enfant ait complété «la majorité de
son primaire en anglais» pour que son accès devienne un droit acquis, droit
qui devient alors par ailleurs transmissible automatiquement à ses frères et
soeurs, puis, plus tard, à leur descendance.
Or, légalement -et cest sur cet élément que les partisans du libre choix
bâtissent leur école (!)-, quand un enfant peut prétendre avoir complété sa
première année en anglais, il se trouve alors dans la situation où il a
complété la majorité de ses études en anglais (vous avez bien lu)! La loi
est ainsi faite quà partir de ce moment, il devient illégal dempêcher cet
enfant daccéder alors au réseau des écoles publiques anglophones qui,
celles-là, sont bien sûr généreusement subventionnées par nos impôts et…
ne coûtent donc rien aux parents.
Bref, que vous soyez pour ou contre, votre argent contribue dès lors à
angliciser de jeunes francophones qui, tôt ou tard, seront plus souvent qu
autrement des défenseurs du fédéralisme canadien et du statu quo
constitutionnel, en bons citoyens bilingues, biculturels et binationaux qu
ils seront pour la plupart devenus grâce au point de vue partial quon leur
aura enseigné sur lhistoire des rapports entre le Québec et le Canada.
Au gouvernement, on annonce quun projet de loi sera déposé ce printemps
pour mettre fin à cette pratique, mais on sattend à une forte contestation
judiciaire par des militants anglophones comme Brent Tyler, qui pourraient
avoir gain de cause.
Le complexe dinfériorité
Une telle démarche met en relief un profond complexe dinfériorité culturel;
un élan vers la culture majoritaire seffectue en effet dautant plus
facilement quil est couplé à un rejet de sa propre culture. Les parents du
scénario qui précède sont, consciemment ou non, persuadés que leur culture
ne suffit pas à assurer lépanouissement de leur enfant, quelle le condamne
pour ainsi dire à lanémie. Sinon, ils feraient la différence entre rendre
leurs enfants bilingues et les rendre anglophones, ou entre leur faire
apprendre une nouvelle langue et les assimiler!
La conviction quant à linsuffisance de leur langue et de leur culture
serait de moindre conséquence si ces francophones nétaient pas aussi, et
simultanément, convaincus de la supériorité non seulement relative mais
absolue de la langue et de la culture du majoritaire. Cest donc dans un
même élan enthousiaste quils méprisent leur propre culture et quils
encensent celle de lautre!
Ce qui se passe quand on envoie son enfant francophone à lécole anglaise, c
est quil risque de devenir, culturellement et intellectuellement, un
anglophone qui parle aussi le français, plutôt que simplement un francophone
qui a appris langlais à lécole, durant ses camps dété ou en vacances aux
états.
Par ailleurs, dans le contexte où toutes les vannes de lécole anglaise
étaient ouvertes, on créerait deux «classes» délève parmi les francophones
dans la perception populaire : dun côté les chanceux, les courageux, les
meilleurs étudiants, qui vont à lécole anglaise à cause de son prestige; de
lautre, les malchanceux, les moins favorisés, qui se retrouvent dans le
réseau des francophones.
Mais, ultimement, le véritable problème est de nature culturelle : tant et
aussi longtemps que des francophones seront prêts à sassimiler au lieu de
simplement maîtriser une langue de plus (tant quils seront minoritaires?),
le problème perdurera.
Pour détails supplémentaires ou suivi du dossier, vous pouvez rejoindre M.
Mario Gagnon, de la Commission d’admissibilité à l’enseignement en anglais
du Ministère de léducation du Québec, au (418) 646-3935.
(Ce texte nous a été communiqué le 4 avril 2002 par M. Jacques Poisson,
président du MEF)