PRATIQUES LINGUISTIQUES
Le bilinguisme au Québec, cest surtout
la possibilité de rester unilingue.
Jean-Paul Perreault, fidèle et vaillant comme peu dans ses
efforts pour empêcher lengloutissement de la francophonie sous la marée de
langlicisation, sonnait à nouveau lalarme récemment par rapport, cette fois,
aux « pratiques linguistiques » anglicisantes que Gatineau sapprêterait à
adopter, des « pratiques » qui consisteraient, à moins que je ne mabuse, à
faire du bilinguisme une monnaie courante à la Ville de Gatineau. Monsieur
Perreault a profité de cette occasion pour nous rappeler quune forte proportion
de la population anglophone dex-Aylmer refuse dapprendre le français.
Ce refus nest quun des éléments dont nous pouvons tenir
compte à légard de cette question difficile, et peut-être pas le moindre.
Ce refus, avec la nécessité que connaissent la plupart des francophones de la
région dapprendre langlais est bien, dans le contexte nord-américain, ce qui
fait du bilinguisme une question truquée au départ. Le bilinguisme, au Québec,
ce nest pas seulement la possibilité de se faire servir dans sa langue ; cest
surtout la possibilité de rester unilingue.
à quel point ce refus de parler la langue commune ne
repose-t-il pas sur lillusion, séduisante pour un anglophone, selon laquelle
langlais serait le nouvel espéranto, outil intégrateur du monde entier ?
à quel point cet entêtement ne repose-t-il pas sur cette présomption, discrète
mais impérieuse, selon laquelle ce nest pas à eux [aux anglophones] dapprendre
une autre langue ?
Quoiquil en soit, je tiens à vous encourager fortement à
faire valoir Gatineau comme étant la porte dentrée à la francophonie, et non
pas comme étant sa porte de sortie, sous forme dinstitution assimilatrice.
Jespère donc que les pratiques linguistiques que la Ville de Gatineau sapprête
à adopter puissent avoir ce principe comme ligne directrice et être clairement
en faveur du français. Pour se faire, il faudra certainement être ferme
face à des demandes insistantes et je vous félicite au départ pour votre
courage. Les demandes des anglophones peuvent ne pas être raisonnables, on
ne peut sempêcher de comprendre leur perspective, car ils sont tellement
habitués à se faire répondre dans leur langue dans quelque pays que ce soit.
Par ailleurs, puisque le bilinguisme se présente surtout
comme véhicule dassimilation, je ne crois pas que nous soyons dans lobligation
dimiter la politique de bilinguisme, quelle soit bonne ou quelle soit
mauvaise, de notre ville-capitale voisine. Je pourrais néanmoins vous signaler
quayant récemment fait une requête auprès de la Ville dOttawa pour un rapport,
on ma dit que sa version anglaise était disponible immédiatement mais quil
fallait attendre trois semaines pour recevoir une copie de ce rapport lorsquon
en demandait une copie en français. Je lai demandée en français. Plusieurs mois
plus tard, je ne lavais toujours pas reçue et prévois ne jamais la recevoir. Je
ne doute pas que les exemples tels que celui-ci soient innombrables.
Je crois que nous pouvons tirer de ces constatations un
principe qui devrait nous servir de guide-limite par rapport à des pratiques
linguistiques :
Dans le contexte de la rencontre de deux bassins |
||
Par conséquent, comme cest la langue française qui, dans le
contexte canadien, se trouve à faire face aux pressions assimilatrices, le
barème du maximum
daccommodations à accorder aux minorités anglophones devrait être le niveau de
service accordé aux francophones là où ce sont ces derniers qui sont
minoritaires.
Ainsi, serait-il plus clair que lobjectif nest pas de faire
valoir impérieusement une langue, mais den préserver une, parmi des centaines
dautres au monde, qui est effectivement notre langue commune mais que des
circonstances politiques mettent constamment en péril. Lobjectif serait
dinclure, dans toute politique linguistique, une police dassurance contre le
cheval de Troie que peut représenter – ne devons-nous pas le reconnaître ? – une
telle politique dans le contexte linguistique actuel.
Une politique linguistique qui joue en faveur dune minorité
qui se trouve par ailleurs favorisée par un mouvement dassimilation, lorsque
cette politique ne trouve même pas son pendant – là où les proportions entre les
groupes linguistiques en question sont inverses – dans une politique
linguistique inverse jouant en faveur dune minorité qui, cette fois, subit les
effets contraire et défavorables de lassimilation, ne peut faire autrement que
prendre malheureusement lallure dune politique masquée dunilinguisme.
Brian Monast
Gatineau
brianmonast@videotron.ca
(Le 13 février 2002)