Rinaldi)
la fin de ce texte la chronique d’Angelo RINALDI, de l’Académie
française, paru dans le Nouvel Observateur du 18 avril 2002.
notre réaction de protestation auprès de la direction du Monde,
pour sa malheureuse décision d’adjoindre un extrait original du
New-York Times
à son édition de fin de semaine.
désapprobation au Monde (
courrier-des-lecteurs@lemonde.fr ) .
manières de réagir consisterait à se poser la question de l’achat de ce
journal en fin de semaine, pour ceux qui en sont les lecteurs
réguliers, et à le faire savoir.
Le Nouvel Observateur du 18 avril 2002
rubrique « Humeur »
Et «le Monde»devint «the World»
Par Angelo RINALDI de lAcadémie française
Le quotidien du soir et dexpression française publie chaque semaine un
supplément en anglais. Est-ce bien convenable?
Les a-t-on consultés? En tout cas, les écrivains dexpression française que
compte léquipe du «Monde» auront remarqué que leur journal publie désormais un
supplément hebdomadaire en anglais. Il est composé darticles puisés dans la
presse américaine. Si lon a quelque intérêt à la défense de la francophonie, on
sy arrête parce que lévénement a la valeur dun symbole, et comme la sonorité
de la première note dun glas.
Le quotidien du soir, imprimé et
rédigé à Paris, nest pas nimporte quel organe de presse. Cest même un journal
dont on renonce à faire léloge, de crainte que, non sans raison, il ne le
trouve insuffisant. On se souvient sans doute que le général de Gaulle, à la
Libération, lavait confié à Hubert Beuve-Méry, à charge pour celui-ci dédifier
sur les ruines de lancien «Temps» un journal qui, chez lui, pût servir de
référence, et le devenir à létranger. Mission toujours accomplie au fil des
années et sous la houlette de différents patrons. (On a plaisir à se rappeler
Jacques Fauvet et André Fontaine.)
Mission qui se poursuit et en
vertu de laquelle, justement, à cause de ce qui semble un écart de conduite, on
en est tout désarçonné. Si lon est une institution – puisque noblesse oblige -,
il nest pas insignifiant de consentir une telle concession à la langue des
maîtres de lheure. Par là – quon le veuille ou non – on en reconnaît la
suprématie; on accomplit encore un pas dans la direction du bilinguisme sans que
la réciprocité soit assurée. Jamais. Sur les Canadiens, les Roumains, les
Libanais, les égyptiens à la Boutros Boutros-Ghali, qui sobstinent à imposer le
français dans les organismes internationaux, la nouvelle produit autant deffet
que si lon annonçait, à Versailles, le remplissage du bassin de Neptune par du
Coca-Cola – pour servir au spectacle des grandes eaux.
Quelle sera la suite, se
demandent-ils? Peut-être la traduction en anglais du traditionnel communiqué qui
suit, le mercredi, le conseil des ministres à Matignon? Pourquoi pas, dès lors
que bien des administrations déjà – et jusquà la chère EDF -, lorsque vous leur
téléphonez, vous régalent in fine dun message dans cet idiome dont la moitié du
vocabulaire, il est vrai, provient de notre terroir? Une dérobade ici, une
reculade plus loin, la suppression de quantité dinstituts culturels et de
postes de lecteurs – lindifférence du Quai-dOrsay à légard de lAfrique et de
ses étudiants brochant le tout – contribuent à la trouée du front linguistique.
M. Giscard dEstaing ninventait-il pas de lélargir, lautre matin, par une
harangue en anglais adressée à un auditoire dEuropéens? Il est, du reste,
coutumier du fait. Décidément, celui-là, né à Coblence telle une mascotte de
larmée de Condé, mourra centenaire à Manhattan, en veuf éploré de toutes les
présidences. Comme Kerenski. Comme Jean-Marie Messier, qui, là-bas, pour flatter
le public, blague le «petit pays exotique» doù il vient et qui lui verse
certes plus que le SMIC.
La démission des élites est une
constante de notre histoire. Quant au peuple, si lon y pensait, on saviserait
aujourdhui que deux autres langues sont utilisées en Ile-de-France par des
communautés importantes en nombre: larabe et le portugais. Mais bien peu de
ceux qui les parlent sont des «décideurs» et entrent dans cette logique
commerciale dont «lEst républicain», par exemple, sest affranchi en
fabriquant, de manière désintéressée, une édition en braille pour les aveugles.
Le talent en français ne suffirait-il plus pour se faire lire?
A. R.