WASHINGTON MENACE DéSORMAIS LE MONDE ENTIER…
"La fonction des experts et des grands média est de normaliser l’impensable
au sein de l’opinion publique".
The truths they never tell us
New Statesman, 26 Novembre, 2001
Le texte qui suit est une traduction de l’article «The truths they never
tell us» publié sur le site britannique Newstatemen
http://www.newstatesman.co.uk/index.html
Les vérités qu’on nous cache : Derrière le jargon sur les états-voyous et
les interventions humanitaires se cachent des milliers de morts.
de John Pilger
Dans nos sociétés, les partisans bien élevés des bombardements n’auront pas
à attendre bien longtemps pour assister au deuxième round. Le Vice-Président
des états-Unis, Dick Cheney, a averti la semaine dernière que les états-Unis
pourraient entreprendre des actions contre "40 ou 50 pays".
La Somalie, accusée d’être une "terre d’asile" pour Al-Qaeda, a rejoint
l’Irak sur la liste des cibles prioritaires. Après avoir reçu les louanges
pour avoir remplacé les mauvais terroristes afghans par de bons terroristes
états-uniens, le Secrétaire de la Défense, Donald Rumsfeld, a demandé au
Pentagone "de penser l’impensable" après avoir rejeté les options
"post-Afghanes" comme étant "pas assez radicales". Selon le correspondant
du Guardian au Foreign Office, une attaque états-unienne contre la Somalie,
"offrirait une occasion de régler un vieux compte : 18 soldats états-uniens
furent brutalement tués là-bas en 1993…". Il oublia de mentionner que les
Marines US ont laissé derrière eux entre 7.000 et 10.000 morts Somaliens,
selon la CIA. Dix-huit vies états-uniennes représentent un compte à régler,
mais pas quelques milliers de vies Somaliennes.
La Somalie serait un parfait terrain d’entraînement pour l’ultime campagne
de destruction de l’Irak. Cependant, comme le signale le Wall Street
Journal, l’Irak constitue un "dilemme", "parce qu’il ne reste plus grand
chose comme cible". "On en est réduit aux dernières cabanes," a dit un
officiel des états-Unis, faisant référence aux bombardements quasi
quotidiennes que tout le monde connaît. Après avoir survécu à la Guerre du
Golfe, Saddam Hussein a renforcé son emprise sur l’Irak grâce à un des
blocus les plus impitoyables des temps modernes, imposé par ses ex-amis et
fournisseurs d’armes à Washington et à Londres. En sécurité dans des bunkers
de fabrication Britannique, Saddam survivra à un nouveau raid aérien –
contrairement au peuple Irakien, tenu en otage jusqu’à ce que son dictateur
souscrive aux exigences sans cesse changeantes des états-Unis.
Chez nous, une propagande voilée jouera son rôle habituel. étant donné
qu’une bonne partie des média Anglo-Américains sont entre les mains des
différents gardiens de la vérité, le sort des peuples Irakien et Somalien
sera présenté et débattu strictement sur les bases que les gouvernements
états-Unien et Britannique sont contre le terrorisme. Comme pour l’attaque
contre l’Afghanistan, l’enjeu sera de savoir comment "nous" pourrions
traiter au mieux le problème des sociétés "non-civilisées".
Les vérités le plus évidentes resteront tabous. Comme la longévité des
états-Unis en tant qu’état terroriste et en tant que terre d’asile pour les
terroristes, ce qui dépasse l’entendement. Comme le fait que les états-Unis
soit le seul pays à ce jour à avoir été condamné pour terrorisme
international par la Cour de Justice Internationale et qu’il ait opposé son
veto à une résolution du Conseil de Sécurité des Nations-Unies appelant tous
les gouvernements à respecter les lois internationales [note de CSP -cf.
guerre contre le Nicaragua].
Récemment, Denis Halliday (*), l’ex-secrétaire général adjoint des
Nations-Unies qui a préféré démissionner plutôt que d’administrer ce qu’il a
décrit comme étant "une politique de sanctions génocidaire" contre l’Irak,
s’est attiré l’indignation de Michael Buerk de la BBC. "Vous ne pouvez quand
même pas établir un parallèle entre Saddam Hussein et George Bush père,
n’est-ce pas ?" a demandé Buerk. Au cours d’une de ces émissions
bien-pensantes dans lesquelles Buerk se complait, Halliday avait parlé de
l’inutile massacre de dizaines de milliers d’Irakiens, la plupart civils,
par les états-Unis pendant la Guerre du Golfe. Il souligna que beaucoup
avaient été enterrés vivants, et que l’uranium appauvri avait été largement
employé et que ce
dernier était très certainement à l’origine de la vague de cancers dans le
sud de l’Irak.
(*)
http://users.crocker.com/~traprock/index.html
http://www.osb.org/for/9901/index.html
http://www.zmag.org/edwinthalliday.htm
Que l’histoire récente des véritables crimes de l’Occident, selon les
paroles de Halliday, fasse passer Saddam Hussein pour "un amateur", fait
aussi partie de ces tabous. Et parce qu’on ne peut pas nier une telle
vérité, ceux qui la mentionnent sont qualifiés "d’anti-Américains". Richard
Falk, professeur de politique internationale à Princeton (*), l’a expliqué.
La politique étrangère de l’Occident, dit-il, est propagé par les médias "à
travers un filtre morale/légal à sens unique, imbu d’auto-satisfaction, qui
transmet des images positives d’un Occident innocent et de valeurs
Occidentales qui seraient menacées, justifiant ainsi une campagne de
violence politique illimitée".
(*)
http://users.ids.net/~gregan/r_falk.html
http://www.wws.princeton.edu/~rfalk/papers/cv.html
L’influence de Rumsfeld et de son adjoint, Paul Wolfowitz, et de ses
associés Richard Perle et Elliot Abrams est telle qu’une bonne partie du
monde est à présent ouvertement menacée par un fascisme géopolitique, qui
s’est développé depuis 1945 et s’est accéléré depuis le 11 Septembre. Le
gang au pouvoir à Washington est composé d’authentiques Intégristes
Américains. Ils sont les héritiers de John Foster Dulles et Alan Dulles, des
Baptistes fanatiques qui, dans les années 50, dirigeaient respectivement le
Département d’état et la CIA et qui ont écrasé les uns après les autres les
gouvernements réformateurs – Iran, Irak, Guatemala, et qui ont mis en pièces
les accords internationaux, tels que les accords de Genève de 1954 sur
l’Indochine, dont le sabotage par John Foster Dulles mena directement à la
guerre du Vietnam et à cinq millions de morts. Des documents rendus publics
révèlent aujourd’hui que les états-Unis ont été à deux reprises sur le point
de recourir à l’arme nucléaire.
Le parallèle peut être fait avec la menace de Cheney de "40 ou 50 pays", et
d’une guerre "qui ne se terminera peut-être pas de notre vivant". Le
vocabulaire pour justifier ce militarisme a été conçu depuis longtemps déjà
sur les deux rives de l’Atlantique par ces "savants" qui ont retiré toute
trace d’humanité dans les études géostratégiques et les ont figées dans un
jargon qui sert les intérêts des puissances dominantes. Les pays pauvres
sont des pays qui "ont échoué". Ceux qui s’opposent aux états-Unis sont des
"états-voyous" ; une attaque de l’Occident est "une intervention
humanitaire". (un des partisans les plus enthousiastes des bombardements,
Michael Ignatieff, est actuellement "professeur des Droits de l’Homme" à
Harvard). Et comme à l’époque des Dulles, l’ONU en est réduit à nettoyer les
débris des bombes et à fournir des "protectorats" coloniaux.
L’attaque contre le World Trade Center a fourni à l’Administration Bush une
excuse et une coïncidence remarquable. L’ex-ministre des Affaires étrangères
du Pakistan, Niaz Naik, a révelé qu’en Juillet dernier de hauts officiels
des états-Unis lui avaient dit qu’une action militaire contre l’Afghanistan
serait menée vers la mi-Octobre. A l’époque, le Secrétaire d’état des
états-Unis, Colin Powell, effectuait une tournée en Asie centrale à la
recherche déjà d’un soutien pour une "coalition de guerre" anti-Afghane.
Pour Washington, le véritable problème avec les Talibans n’était pas les
Droits de l’Homme, qui étaient hors-sujet. C’était simplement que les
Talibans n’avaient pas le contrôle total de l’Afghanistan : un détail qui
faisait hésiter les investisseurs appelés à financer les oléoducs et les
gazoducs de la Mer Caspienne, dont la position stratégique entre la Russie
et la Chine et les réserves inexploitées représentent un très grand intérêt
pour les états-Unis.
En 1998, Dick Cheney a dit aux cadres dirigeants de l’industrie pétrolière :
"Je n’ai pas souvenir d’une région qui soit devenue si brusquement d’une
telle importance stratégique comme la Mer Caspienne." Certes, lorsque les
Talibans sont arrivés au pouvoir en 1996, non seulement ont-ils été bien
accueillis par Washington, mais leurs dirigeants s’envolèrent pour le Texas,
dont le gouverneur à l’époque était Georges W. Bush. Leur divertissement fut
pris en charge par des dirigeants de la compagnie pétrolière UNOCAL. On leur
offrit un part du gâteau. On parlait de leur offrir 15 pourcent des profits.
Un officiel US fit remarquer qu’avec le pétrole et le gaz de la mer
Caspienne traversant le pays, l’Afghanistan deviendrait "comme l’Arabie
Saoudite", une colonie pétrolière sans démocratie et avec une persécution
légale des femmes. "On pourra vivre avec" a-t-il dit. La négociation échoua
après les attentats attribués à Al-Qaeda contre deux ambassades des
états-Unis en Afrique de l’est.
Sans surprise, les Talibans devinrent les nouveaux démons des médias, qui
appliquèrent l’amnésie habituelle requise dans ces cas. Par exemple : le
régime de Vladimir Poutin à Moscou, responsable de la mort d’au moins 20.000
personnes en Tchétchénie. La semaine dernière, Poutin fut reçu par son
nouvel "ami", George W. Bush, dans son ranch au Texas.
Bush et Blair bénéficient d’une amnésie permanente – même si plus d’enfants
Irakiens meurent chaque mois, principalement à cause de l’embargo
Anglo-Américain, que le nombre total de morts dans les tours. Encore une
vérité qui n’est pas autorisée à pénétrer les consciences du public.
La mort d’enfants Irakiens, comme la mort des Tchétchènes, comme la mort des
civils Afghans, est considéré comme moralement moins horrible que la mort
d’états-uniens.
J’ai été le témoin de nombreux bombardements et je suis frappé par la
capacité des soi-disant "libéraux" et "progressistes" à tolérer sans
scrupules les souffrances des innocents en Afghanistan. Qu’ont-ils à dire,
ces commentateurs nombrilistes qui ne connaissent pratiquement rien des
luttes du monde extérieur, aux familles des réfugiés bombardés dans la ville
de Gardez, bien après que celle-ci soit tombée entre les mains des forces
anti-Talibans ? Qu’ont-ils à dire aux parents des enfants dont les cadavres
jonchèrent les rues de Kunduz, dimanche dernier ? "40 personnes sont
mortes", a dit Zumeray, un réfugié. "Certaines ont été brûlées par les
bombes, d’autres furent écrasées par les murs et les toits de leurs maisons
qui se sont écroulés sous les explosions". Que lui dira Polly Toynbee, du
Guardian : "Vous ne voyez donc pas que les bombardements produisent un effet
?". Dira-t-elle que Zumeray est un anti-Américain ? Que diront les
"interventionnistes humanitaires" aux personnes qui seront tuées ou
estropiées par les 70.000 fragments [des bombes à fragmentation] qui n’ont
pas encore explosé ?
Pendant plusieurs semaines, the Observer, un journal libéral, a publié des
articles sans fondements tendant à établir un lien entre l’Irak et les
attentats du 11 Septembre et les attaques par la maladie du charbon. "Selon
des sources de Whitehall" et "selon les services secrets" semblent être les
principaux auteurs de ces histoires. "Les preuves s’accumulent…"
pouvait-on lire dans un de ces articles. La vérité est que la somme des
preuves s’élève à zéro. Ces articles ne sont que de l’eau apportée aux
moulins de gens comme Wolfowitz, Perle et probablement Blair, sur qui on
peut toujours compter pour une agression. Dans son livre "The Banality of
Evil" (la Banalité du Mal), le grand dissident états-unien Edward Herman
(**) a décrit la division du travail entre ceux qui conçoivent et produisent
des armes telles que les bombes à fragmentation, ceux qui prennent les
décisions politiques de s’en servir et ceux qui créent les illusions pour
justifier leur utilisation. "La fonction des experts et des grands média"
écrit-il, "est de normaliser l’impensable au sein de l’opinion publique".
(**)
http://www.thirdworldtraveler.com/Herman%20/Edward_Herman.html
Il est temps que les journalistes réfléchissent à la question et prennent le
risque de dire la vérité sur une folie qui menace une bonne partie de
l’humanité et qui se trouve juste à côté de nous.
Ce texte a été traduit par Cuba Solidarity Project
(Ce texte nous a été communiqué par notre correspondant M. Robert Bertrand
robert.bertrand.qc@sympatico.ca
)