UNE JUSTE PART DE LASSIMILATION POUR LE FRANçAIS :
UN OBJECTIF POLITIQUE CLAIR ET éQUITABLE*
Charles Castonguay
La langue fourchue
Des haut placés nous disent parfois des faussetés sur la langue. Par
exemple, pendant la dernière campagne référendaire, les professeurs Jacques
Henripin et Jack Jedwab nous ont assuré dans La Presse que le poids de
la population francophone dans la région de Montréal continue à augmenter. Et
Jean Chrétien vient de proférer en pleine campagne électorale quau Canada,
le français se porte au mieux grâce à son gouvernement.
Voilà pourtant dix ans que le poids des francophones est en baisse à
Montréal. Et le recensement de 1971 comptait 280 000 francophones
anglicisés au Canada alors que celui de 1996 en énumérait 360 000. En
fait, lassimilation des francophones hors Québec a annulé la francisation
de quelques dizaines de milliers dallophones à Montréal. Si bien quaprès
25 ans de bilinguisme à la Trudeau et 20 ans de loi 101 à la sauce Cour
suprême, le bilan de lassimilation au Canada pour la population francophone
demeure aussi négatif en 1996 quen 1971.
Le motif derrière pareilles menteries est bien connu. Deux jours après son
texte dans La Presse, Henripin se faisait voir à la télé parmi les
leaders des 100 universitaires pour le NON. Jack Jedwab dirige aujourdhui lAssociation
détudes canadiennes, un «front» de Sheila Copps.
* Troisième dune série de chroniques rédigées en marge
de la Commission des états généraux sur la situation du français, parue dans
Lautjournal, no 195, décembre 2000-janvier 2001.
Comme Jean Chrétien, ce sont des croisés de lunité canadienne. Leur
devoir est de peindre en rose la situation du français.
Cacher ce sein…
à Québec, des hauts fonctionnaires de la langue pratiquent, eux, la
dissimulation. Les accusations de fascistes et de flics de la langue semblent
avoir rendu tout croches certains de nos cadres. Pour se rendre la carrière
plus confortable, ils ont décidé pour nous que la politique linguistique du
Québec ne doit pas soccuper dassimilation. Elle ne vise que lintégration
linguistique des immigrants. Rayer lassimilation de notre vocabulaire, parler
seulement dintégration, cela fait bien. Cest plus correct. ça ne
dérange pas.
Mais on a beau chasser le naturel, il revient au galop. Au lancement de son
rapport biaisé sur lusage du français en public, Mme Nadia Assimopoulos,
présidente du Conseil de la langue française (CLF), nous a seriné que la
langue que les citoyens choisissent dutiliser à la maison relève de la vie
privée et ne peut résulter dune intervention de létat. Du même souffle
elle ajoutait, entre parenthèses, «quon peut évidemment espérer […] que
les immigrants qui choisiront de changer de langue […] adopteront le français
et que le transfert linguistique se fera de plus en plus en faveur de la langue
officielle».
Il y a assimilation sous roche. Pense-t-on gagner le respect de lautre en
jouant avec les mots, en faisant lhypocrite? Pourquoi ne pas dire que notre
politique vise à orienter vers le français, dans les foyers, les transferts
linguistiques des immigrants? Lobligation de fréquenter lécole
française na pas uniquement pour but de faire apprendre le français aux
enfants des nouveaux immigrants. Les écoles anglaises auraient pu – et voulu
– sen charger. Non, par cette disposition de la loi 101, létat a voulu
infléchir en faveur du français leurs éventuels transferts linguistiques. Et
ça marche!
Fort heureusement, les états généraux sur le français nous fournissent à
tous loccasion de libérer notre politique linguistique de la langue de bois.
Une brique sur la langue
Lanathème touchant lassimilation est solennellement réitéré dans Le
français au Québec : 400 dhistoire et de vie, grosse brique que le
CLF a pondu juste à temps pour les Fêtes… et les états généraux.
Jean-Claude Corbeil, sous-ministre associé à la politique linguistique avant dêtre
nommé secrétaire de la Commission Larose, y met les points sur les «i».
Selon lui, notre politique a exclusivement pour but lintégration
linguistique des immigrants, non leur assimilation. Elle ne cherche quà
favoriser ladoption du français comme langue dusage public et non comme
langue dusage privé à la maison : «lassimilation […] est une
décision personnelle […] elle ne saurait être, au Québec, lobjectif dune
politique gouvernementale».
En effet, la brique de plus de 500 pages en 4 parties, 14 chapitres, 58
sections et 96 encadrés ne contient pas le moindre tableau sur les transferts
linguistiques au foyer. Il y aurait eu tant de choses positives et belles à
dire sur la nouvelle tendance parmi les immigrants plus récents à parler le
français à la maison! Mais ça ne fait pas partie de nos 400 ans dhistoire,
çà.
Dans sa conclusion, Michel Plourde, ancien président du CLF et directeur de
cet ouvrage, juge cependant que «les concepts de langue dusage public et de
langue dusage à la maison auraient intérêt à se compléter et à se
renforcer lun lautre». Mais alors, pourquoi cette brique accorde-t-elle
autant de place au chimérique indice synthétique de langue dusage public
(SLUP) concocté au CLF, alors que 25 années dobservations portant sur les
transferts linguistiques au foyer ny méritent que des allusions au détour
de quelques phrases? Cest peut-être parce que Pierre Georgeault, à la fois
«collaborateur» de la brique et responsable immédiat au CLF de la minable
opération SLUP, y a vu. Si tel est le cas, ce serait la marque dun
incompétent aux abois.
Qui mène, les fonctionnaires ou les élus?
Le site des états généraux ne présente quune synthèse du fumeux
rapport SLUP du CLF. Si lévaluation de notre politique doit se faire au
moyen de cet indice bidon, pourquoi a-t-on choisi de ne pas nous offrir le
rapport intégral? Quelquun a-t-il peur den trop exposer les tares
criantes à lexamen public?
En revanche, le site présente maintenant le rapport des cinq ministres, Les
défis de la langue française à Montréal et au Québec au XXIe siècle :
constats et enjeux (avril 2000), dont jai parlé dans ma chronique
précédente. Il y est question des tendances touchant les transferts
linguistiques au foyer et la langue de travail. Il y a un monde entre le ton
direct et responsable de ce rapport de ministres et le flou artistique dans
lequel les fonctionnaires enrobent leur langue dusage public. à la fin, qui
mène, au juste? Les élus ou les fonctionnaires?
Fait cocasse, on trouve aussi maintenant sur le site le Bilan sur la
situation de la langue française au Québec en 1995. Ce rapport de
fonctionnaires contient une analyse bâclée des tendances de lassimilation
– pardon, des transferts linguistiques – sous le titre «La langue de lintégration
des immigrants»! Alors quoi? Intégration et assimilation, cela revient-il en
fin de compte à la même chose? Encore ce naturel qui galope.
Parlons franc
Lobjectif des militants péquistes à qui nous sommes redevables pour ces
états généraux – cette précieuse occasion offerte au peuple québécois
pour reprendre sa parole sur la langue – nest pas lassimilation. Mais
puisque lassimilation existe, disent-ils, pourquoi le français nen
tirerait-il pas au moins sa juste part? Pourquoi ne pas donner à notre
politique lobjectif de répartir lassimilation des allophones au prorata
des populations française et anglaise du Québec? Cela voudrait dire quenviron
85 % des transferts linguistiques iraient au français et 15 % à langlais.
Cette politique serait équitable envers tous. Personne naurait à se
plaindre. La population francophone ne subirait plus le préjudice
démographique causé par lassimilation disproportionnée des allophones à langlais.
Elle serait libérée de son appréhension de limmigration. Les anglophones
aussi attireraient leur juste part dallophones. Et les allophones qui
choisiraient de ne sassimiler ni au français ni à langlais
continueraient tout simplement à parler leur langue à la maison.
Que nos hauts fonctionnaires de la langue essaient donc de comprendre avant
de monter sur leurs grands chevaux. Personne au Québec, à ce que je sache, ne
prône lassimilation qui se pratique aux états-Unis ou au Canada. Mais que
voulez-vous, comme disait lautre, lassimilation est une réalité de la
vie! à chaque recensement, 10 % des Canadiens déclarent parler à la
maison une langue différente de leur langue maternelle. à Montréal, cest
pareil. Dix pour cent des Montréalais déclarent avoir fait un transfert
linguistique. Pourquoi ne pas donner à nos politiques canadienne et
québécoise lobjectif den faire bénéficier de façon équitable la
population de langue française, au moins au Québec? Le français, langue dintégration,
daccord, mais pourquoi pas aussi langue dassimilation? Rappelons que selon
le recensement de 1996, la population de langue anglaise en a profité pour
recruter à léchelle du Canada plus de deux millions de nouveaux locuteurs
habituels au foyer, tandis que celle de langue française y a perdu plus dun
quart de million!
La part du français dans lassimilation est un concept simple et facile à
mesurer. Et lon dispose là-dessus dune série dinformations qui sétend
déjà sur un quart de siècle. Lindice SLUP est au contraire si fuyant et
subjectif que, selon Jean Marcel (LAction nationale, janvier 2000),
seul son auteur pourrait le reproduire. Cest à lopposé dun savoir
scientifique.
Madame Beaudoin, on vous a monté tout un bateau. Certains de vos
fonctionnaires cherchent à saccaparer beaucoup trop de place. Les états
généraux présentent au peuple québécois loccasion de reprendre le
contrôle de sa langue et de sa politique linguistique. Monsieur Larose, bonne
chance! Et Joyeuses Fêtes à tous!