Mémoire à la Commission de l’Assemblée nationale du Québec
par YVES MICHAUD
Le 14 décembre 2000, 109 membres de l‘Assemblée nationale votaient unanimement, sans m‘entendre, une motion condamnant des propos soi-disant inacceptables que j‘aurais tenus à l‘occasion des audiences des états généraux de la langue française. Pas un seul n‘avait pris connaissance de la transcription de ma comparution. Cela constitue une violation du droit imprescriptible de toute personne accusée ou mise en examen d‘être entendue avant le prononcé d‘une sentence de quelque nature que ce soit. Les assemblées législatives provinciales, l‘Assemblée nationale du Québec tout comme la Chambre des Communes du Canada n‘ont pas la capacité, à l‘exception des privilèges et immunités spécifiques qui leur sont conférés, de transgresser les droits reconnus par les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés de la personne. Les motions de blâme pour délit d‘opinion constituent un détournement de la finalité d‘une assemblée parlementaire dont le rôle est de voter des lois dans l‘intérêt général et non de se métamorphoser en tribunal d‘excommunications et d‘anathèmes à l‘égard de citoyens qui ont droit à leur réputation, leur honneur et leur dignité.
Bien qu‘étant au premier chef et directement concerné, c‘est d‘abord une question essentielle de principe que je veux évoquer, en qualité de citoyen soucieux du respect d‘un droit irrécusable de tous les Québécois autant que de l‘autorité morale de l‘Assemblée nationale.
Pendant près d‘un demi-siècle, j‘ai bénéficié de l‘affection du père de la « Révolution tranquille », M. Georges-émile Lapalme, des précieux conseils de Jean Lesage qui m‘a enseigné le métier de député, de l‘amitié de René Lévesque, Robert Bourassa, Jacques Parizeau et Bernard Landry. Tous, des figures marquantes de notre histoire nationale : trois du Parti Libéral du Québec, trois du Parti Québécois, qui ont enrichi la politique au-delà des clivages idéologiques de ces deux grandes formations sans lesquelles le Québec moderne d‘aujourd‘hui n‘existerait pas.
J‘ai essayé tout le long de mon existence de servir la nation canadienne-française et la patrie québécoise. « Comme si un sens désespéré de l‘honneur hérité des mes ancêtres », écrivait Fernand Dumont, me commandait de rester, de durer et de tenir. J‘ajouterai, contre vents et marées, malgré les risques et périls, de combattre sans relâche les adversaires de la noble et légitime aspiration partagée par un grand nombre de mes concitoyens de vivre dans un état en possession des attributs de la souveraineté.
Guy Rocher, sociologue, l‘un des intellectuels les plus respectés du Québec, rédacteur le de la loi 101, déclarait le 29 avril dernier : « Il arrive que des tribunaux commettent des injustices. On parle alors d‘« erreur judiciaire ». Et quand on découvre une erreur judiciaire, on s‘emploie à la réparer. Le 14 décembre 2000, l‘Assemblée nationale a commis une « erreur parlementaire ». Elle doit aussi la réparer. Ce n‘est pas parce que l‘Assemblée nationale est le législateur qu‘elle est au-dessus de la justice. Elle doit avoir l‘honnêteté et j‘ose dire l‘humilité de reconnaître son erreur et de la corriger. L‘Assemblée nationale a agi dans l‘ignorance. Elle a condamné Yves Michaud sur la foi de renseignements partiels et partiaux, sans vérifier ses sources d‘information et, comble d‘incorrection, sans entendre l‘intéressé. Si elle ne se corrige pas, si elle s‘enfonce dans son erreur, l‘Assemblée nationale passera de l‘honnête ignorance à l‘ignorance crasse, que le dictionnaire définit comme étant « grossière et dans laquelle on se complaît ». Ce ne sont pas seulement les chefs des trois partis qui sont en cause et qui portent une responsabilité particulière. C‘est la députation tout entière, au complet, sans une seule dissidence, qui a agi dans l‘ignorance et s‘est rendue coupable de l‘injustice commise ».
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Précédents à la Chambre des Communes du Canada
De 1873 à 1913, douze personnes ont été l‘objet de motions de bâme de la Chambre des communes du Canada. ( Voir Annexe A).
Toutes les personnes visées par une motion de blâme ont été convoquées par la Chambre des communes avant le prononcé de ladite motion ;
Ceux qui ont demandé d’être accompagnés de leur avocat ont été autorisés par la Chambre ;
Après avoir entendu les intéressés, une fois sur deux la Chambre n’a pas voté de motion de blâme ;
Tous ceux qui ont été visés par une motion ont eu le droit de s‘expliquer devant la Chambre avant que toute sanction ou blâme ne soit prononçés contre eux ;
Les reproches faits aux personnes visées par des motions de blâme étaient directement liés à des sujets, affaires ou privilèges qui étaient du ressort exclusif de la Chambre ;
Les députés appelés à voter sur la motion ont pu le faire en toute connaissance de cause.
La distinction que d‘aucuns ont voulu faire entre la personne et les propos est spécieuse. Je ne puis espérer dans mon cas personnel que réparation complète soit faite de l‘irréparable outrage fait à mon honneur et ma dignité. Je porterai jusqu‘à la fin de mes jours le tatouage indélébile de la motion du 14 décembre 2000. Mais la plaie toujours ouverte pourrait se cicatriser, si l‘affaire qui porte mon nom et qui devrait porter celui d‘un autre, avait le mérite d‘élever la réglementation parlementaire à la cime du droit sacré à la liberté d‘expression telle que décrite dans l‘article X1 de la déclaration des droits de l‘homme et du citoyen votée par l‘Assemblée nationale française le 26 août 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est l‘un des droits les plus précieux de l‘homme.Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l‘abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. » Faut-il rappeler qu‘en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, l‘application de la loi relève du judiciaire et non du législatif.
Une réglementation archaïque et désuete
L‘Assemblée nationale doit revoir ses règlements afin que la liberté d‘opinion et d‘expression d‘un citoyen ne soit plus jamais l‘objet de censure. Il s‘agit de la première de nos libertés qui doit être protégée par un périmètre infranchissable de sécurité. Le délit d‘opinion est la marque des états totalitaires et non celle des états de droit respectueux des libertés démocratiques.
Au moment où ces lignes sont écrites, 4537 signataires individuels m‘ont demandé de me prévaloir de l‘article 21 dela Charte des droits et libertés de la personne du Québec autorisant une pétition pour le redressement de griefs. Si l‘on ajoute à cela les groupes, associations et mouvements qui ont condamné la motion de blâme, c‘est plus de 10,000 citoyens et citoyennes qui se sentent personnellement menacées dans leur droit à la libre expression de leurs opinions. Se sont-elles toutes trompées et méprises sur les causes et effets du vote du 14 décembre 2000 ? Dans l‘état actuel des règlements désuets et archaïques de l‘Assemblée nationale, l‘exercice du droit de pétition est nié et verrouillé par une procédure parlementaire protectionniste au bénéfice exclusif des parlementaires.
L‘article 62 des règlements prévoit que la pétition est présentée par l‘intermédiaire d‘un député. Cette exigence est inconstitutionnelle ou inopérante. Il est un principe irréfragable du droit selon lequel une personne a la pleine capacité juridique et la pleine jouissance de ses droits civils et politiques. Cette capacité et cette pleine jouissance sont illusoires si une personne ne peut exercer ses droits civils et politiques ― en l‘occurrence le droit de pétition ― que dans la seule mesure ou une tierce personne accepte de représenter le citoyen. Les droits civils et politiques de ce dernier seraient alors assujettis à l‘arbitraire d‘un tiers.
C‘est un contresens qu‘un droit reconnu à un citoyen par la Charte soit exercé par un autre. Les 109 députés qui ont voté la motion de blâme sont en situation d‘incompatibilité. . Il serait étonnant qu‘un membre de l‘Opposition accepte de présenter ma pétition. Je devrais donc me rabattre sur l‘un des cinq ou six députés ministériels, absents lors du vote. En trouverais-je un qui aurait le courage de subir les représailles appréhendées de ses collègues et la perspective de voir sa carrière hypothéquée ?
Le 14 décembre 2000, les députés ont été piégés et muselés par ce que le président de l‘Assemblée nationale a lui-même qualifié de « lacune procédurale » concernant l‘exercice du droit de pétition. La même expression est valable pour les motions de blâme conduisant à des « erreurs parlementaires ». Il est impérieux que des modifications soient faites aux règlements de manière à s‘assurer que dans l‘avenir, une motion de blâme de l‘Assemblée nationale ne soit recevable que dans le cadre de la défense des privilèges et immunités de l‘Assemblée nationale et de ses membres, et que la ou les personnes visées soient entendues avant le vote de la motion. Les élus de la nation bénéficient de l‘immunité dans l‘exercice de leur fonction à l‘intérieur de l‘enceinte parlementaire. .Elle les protègent de toute attaque venant de l‘extérieur de sorte qu‘ils puissent s‘exprimer en toute liberté. Elle ne leur confère pas le droit de blâmer ou de condamner un citoyen qui a l‘égale liberté d‘exprimer ses opinions par la parole ou par l‘écrit. ( Annexe B)
Je ne suis pas le seul à vouloir redresser la réglementation parlementaire en porte- à- faux avec la loi suprême de l‘état québécois. Au président de l‘Assemblée nationale s‘ajoute le leader de l‘Opposition officielle, M. Pierre Paradis, qui écrivait à M. Charbonneau le 25 octobre 2000 :
«Présentement, nous avons un droit fondamental qui est garanti dans la Charte des droits et libertés de la personne, nous avons également une procédure de l‘Assemblée nationale qui ne permet pas à ce droit de s‘exercer. Vous avez invité les leaders à collaborer à la réforme que vous avez proposée et peut-être à la bonifier comme tel de façon à ce que la justice ne soit pas au service de la procédure mais que ce soit un petit peu (!) l‘inverse. Hier, lorsque vous avez rendu votre décision concernant la pétition de monsieur Jacques Dubreuil, vous avez déclaré : «qu‘il faudra tôt ou tard nous demander si nos règles de procédure sont à la hauteur de la reconnaissance juridique que nous avons accordée à ce droit démocratique fondamental». Je saisis donc l‘occasion pour vous demander de convoquer une réunion de la Commission de l‘Assemblée nationale dans les plus brefs délais afin de combler ce que vous avez qualifié de « lacune procédurale ».
Les plus « brefs délais » dont parle M. Paradis atteindront bientôt sept mois ! Il s‘agit de l‘ensemble des droits du peuple. La dernière séance de la Commission de l‘Assemblée nationale s‘est tenue le 24 mars 2001, cinq mois après la demande de M. Paradis voulant que la justice soit au service de la procédure et non l‘inverse. Il n‘a pas été question de combler la « lacune procédurale » lors de cette dernière séance.
Conclusion
J‘espère que l‘affaire qui porte mon nom sera l‘occasion de restituer ses lettres de noblesse à la fonction de député, difficile, exigeante, peu rémunérée, éprouvante pour ceux et celles qui acceptent de porter la lourde charge de représenter leurs commettants. Fernand Dumont, l‘un des plus brillants exégètes de notre histoire nationale, habituellement peu porté au pamphlet et à la philippique, en faisait une analyse d‘une extrême dureté dans Raisons Communes en 1995. Je ne retiendrai de ses commentaires que les moins ragaveurs : « La foi dans la communauté politique, est particulièrement ébranlée. De tous les côtés, on s‘inquiète de la perte de confiance de la population envers les politiciens. à voir leurs comportements et à entendre leurs discours, il semble que pas mal d‘entre eux soient les seuls à ne pas s‘en émouvoir. Leurs louvoiements qui confinent aux mensonges, leur façon caricaturale d‘user de la procédure parlementaire avec une inconscience qui frôle le cynisme : tout cela contribue au déclin de la croyance dans la démocratie. ».
Dans la célèbre trilogie de Pagnol, César dit à son fils Marius : « L‘honneur, c‘est comme les alumettes ; ça ne sert qu‘une fois » ! C‘est le plus important des maigres biens que je possède. Il a été dévalué, entaché, par la motion du 14 décembre 2000 qui a également affaibli la réputation et l‘autorité morale de l‘Assemblée nationale. Depuis cinq mois, il n‘est pas une semaine sans que je sois injurié par de blessantes paroles ou des écrits diffamants . Chaque aurore qui se lève sur mes matins tristes, je revois l‘image de ceux et celles qui m‘honoraient de leur amité se lever prestement, tels des caporaux épinglés, me couvir de honte et d‘opprobres. J‘ai la mince consolation de savoir que quelques-uns d‘entre eux, en leur âme et conscience, regrettent leur geste. D‘un naturel peu rancunier bien que parfois pugnace, je ne peux leur en vouloir et je porte au compte des vicissitudes de la politique ce qui est arrivé. Je leur conserve mon amitié, s‘ils veulent bien accepter celle d‘un « pestiféré », en raison de tant d‘années de compagnonnage et de fervente camaraderie au service d‘une cause dont la grandeur nous dépasse et qui mérite tous les sacrifices.
YVES MICHAUD Le 16 mai 2001
Tél : (514) 487-1849
ANNEXE « A »
Année |
Nom |
Fonction ou état |
Détails à la Chambre |
Sanction |
1873 |
James Bell |
Directeur de scrutin |
Sommé de comparaître pour répondre de ses actes lors d‘une élection. Permission d‘être représenté par avocat. |
Résolution critiquant ses actes. |
1873 |
élie Tassé |
éditeur du journal Le Courrier d‘Outaouais. |
Il aurait écrit un article qui jetait le discrédit sur deux députés. Convoqué puis relaxé. |
Aucune |
1873 |
John Henny |
échevin d‘Ottawa |
Accusé de tentative de corruption d‘un député. Il fut détenu du 4 au 7 novembre. |
Aucune (Le parlement s‘était dissout entre-temps.) |
1874 |
Louis Riel |
Député de |
Il reçu l‘ordre de comparaître suite au meurtre de Thomas Scott. Il refusa de se présenter et fut expulsé de la Chambre. |
Expulsion de la Chambre. |
1879 |
John Macdonnel |
Visiteur dans les tribunes |
Accusé d‘avoir adressé des remarques offensantes à un député. |
Motion de blâme |
1887 |
John Dunn |
Directeur de scrutin |
Convoqué pour expliquer sa conduite au cours d‘une élection. Il s‘est expliqué à la Barre des Communes. |
Aucune |
1891 |
Michael Connolly |
Il avait témoigné devant le Comité des privilèges et élections mais avait refusé de remettre les documents qu‘il avait amenés avec lui. Convoqué à la Barre. |
Ordre de remettre les documents. |
|
1891 |
André Sénécal |
Employé du Bureau de l‘imprimerie |
Il refusa de se présenter à la suite d‘une convocation devant un Comité. Convoqué à la Barre, il ne comparaît pas. Mandat d‘arrêt contre lui. Il demeure introuvable. |
Aucune |
1894 |
Provost & Larose |
Ils ont omis de se présenter à la suite d‘une convocation devant un Comité. Convoqués à la Barre, il ne comparaissent pas. Arrestation et comparution à la Barre. |
Aucune |
|
1906 |
William T. Preston |
Inspecteur à l‘imigration |
Il a refusé de répondre aux questions devant un Comité. Convoqué à la Barre par une motion qui fut par la suite reformulée dans le sens qu‘on n‘exigeait plus sa comparution. |
Aucune |
1906 |
E.E. Cinq-Mars |
Journaliste attaché à la tribune parlementaire |
Convoqué à la Barre au motif qu‘il avait écrit un article qui avait déplu à un député. |
Motion de blâme. |
1913 |
R.C. Miller |
Il a refusé de répondre aux questions devant un Comité. Convoqué à la Barre. |
Motion de blâme. |
ANNEXE B
Suprématie du Parlement ou suprématie
de l’Assemblée nationale?
En vertu de la constitution canadienne, le Parlement du Québec est constitué de l‘Assemblée nationale et du lieutenant-gouverneur. C‘est ce Parlement et non l‘Assemblée nationale qui est titulaire de la souveraineté parlementaire. Une telle souveraineté se définit comme étant le pouvoir d‘adopter toute loi, de la modifier ou de l‘abroger. Au Canada, cette souveraineté parlementaire n‘est bornée que par les Chartes et la répartition des compétences entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales.
L‘Assemblée nationale comme composante du Parlement n‘est pas titulaire de cette souveraineté.
En théorie, un parlement pourrait décréter, par un texte législatif, qu‘une opinion n‘est pas conforme à la vérité ou à la droite raison. Une telle loi risquerait toutefois l‘inconstitutionnalité puisqu‘elle pourrait contrevenir aux chartes ― canadienne et québécoise ― qui garantissent la liberté d‘expression. Il est donc difficile de concevoir que l‘Assemblée nationale qui n‘est pas titulaire d‘une telle souveraineté puisse adresser un blâme à un simple citoyen à raison d‘opinions exprimées par celui-ci sur des matières qui ne relèvent pas des privilèges de l‘Assemblée nationale.
Il serait par ailleurs curieux que l‘Assemblée nationale puisse adopter une résolution blâmant un simple citoyen à raison de ses opinions alors que le Parlement du Québec agirait à l‘encontre des chartes ― la liberté d‘expression ― en adoptant une loi au même effet. Peut-on accepter que l‘Assemblée nationale ait le droit de faire ce que la constitution prohibe au Parlement?
Bref, l‘Assemblée nationale, comme organe de l‘état québécois, n‘est pas investie de tous les pouvoirs. Elle ne communie pas à la souveraineté du Parlement (Assemblée nationale avec le concours du lieutenant-gouverneur). Contrairement au Parlement, l‘Assemblée nationale n‘a pas tous les pouvoirs et n‘est donc pas souveraine. Ses fonctions sont limitées aux travaux d‘élaboration des textes législatifs ― ce qui est différent de l‘adoption d‘une loi ― et à la censure ou surveillance de l‘exécutif. Dans le cours des travaux d‘élaboration des textes législatifs, il peut évidemment arriver que des parlementaires expriment des opinions ou des idées qui peuvent heurter et même porter atteinte à la réputation de simples citoyens ou d‘organisations : dans ce contexte de travaux législatifs, le parlementaire, à raison des privilèges inhérents à l‘Assemblée nationale, bénéficie d‘une immunité et peut également, en toute bonne foi, plaider le comportement blâmable de certains citoyens pour justifier l‘adoption d‘une loi. La situation est différente lorsque l‘Assemblée nationale s‘érige en académie ou en Sacré collège pour décréter par voie de résolution qu‘un citoyen devrait être blâmé à raison de ses idées ou de ses opinions.
L‘Assemblée nationale n‘est pas souveraine et en adoptant la résolution sous examen, elle a utilisé ses pouvoirs à une fin impropre et elle encourt sûrement un blâme pour excès de pouvoir ou à tout le moins, détournement de pouvoir.
Sur la question de la souveraineté du Parlement, on peut référer à l‘autorité de Dicey (An Introduction to the Study of the Law of the Constitution, Tenth Edition) et également à celle de Wade and Bradley (Constitutional and Administrative Law, Tenth Edition). Il n‘est pas sans intérêt de citer l‘extrait suivant du deuxième ouvrage :
Page 65 :
« Only an Act of Parliament is supreme.
The courts ascribe to an Act of Parliament a legal force which they are not willing to ascribe to other instruments which for one reason or another fall short of being an Act of Parliament. Thus the courts do not attribute legislative supremacy to the following and will if necessary decide whether or not they have legal effect:
(a) a resolution of the House of Commons; (…) »
En conséquence, il y a lieu de douter de la légalité de la résolution adoptée par l‘Assemblée nationale le 14 décembre 2000 en vertu de laquelle elle adresse un blâme à l‘égard des propos de M. Yves Michaud.
Les authentiques états de droit garantissent la liberté d‘expression et n‘osent donc pas réprimer ce qu‘ils estiment être un délit d‘opinion. En conséquence, en matière d‘opinion ― ce qui est différent de la diffusion de faits à l‘état brut ― les états dits civilisés ne recourent plus à la censure ou aux sanctions pénales ― amende ou privation de liberté ― à raison d‘une opinion dérangeante. Il serait cependant déplorable que ces états de droit recourent non pas au pouvoir mais à l‘autorité morale d‘une branche de leur organe législatif ― en l‘espèce l‘Assemblée nationale ― pour inquiéter un citoyen à raison de ses opinions. Cette technique plus raffinée du recours à l‘autorité morale de l‘institution pour brimer la liberté d‘expression nous apparaît condamnable parce qu‘elle contrarie l‘esprit des Chartes et heurte les principes qui les sous-tendent.
L‘objectif principal de la liberté d‘expression, c‘est l‘extériorisation d‘une opinion. On aurait grand avantage à méditer sur la signification de cette liberté et sur la nature véritable des atteintes à celle-ci en lisant attentivement la Convention européenne de sauvegarde des droits de l‘homme et des libertés fondamentales, à son article 10 (1), applicable aux pays membres de l‘Union européenne.
« Toute personne a droit à la liberté d‘expression. Ce droit comprend la liberté d‘opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu‘il puisse y avoir ingérence d‘autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n‘empêche pas les états de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d‘autorisations. »
André Bois, avocat
Sainte-Foy TéL : (418)-658-9966