LES ÉTATS GÉNÉRAUX DOIVENT ALLER PLUS LOIN QUE LA LOI 101

LES éTATS GéNéRAUX DOIVENT
ALLER PLUS LOIN QUE LA LOI 101

Charles Castonguay

C’est parti! Fin septembre, l’équipe de
Gérald Larose invitait les simples citoyens ainsi que les associations
régionales à lui adresser des mémoires sur la situation du français. Mais à
en juger par le document de consultation mis à la disposition des intéressés
sur le site Web des états généraux, c’est parti dans tous les sens, sauf le
bon.

Mme Louise Beaudoin souhaite pourtant que la
population se mobilise et confirme sa volonté de vivre en français. C’est ce
qu’elle disait ce printemps lors du lancement du rapport sur le maintien du
caractère français de Montréal, Les défis de la langue française à
Montréal et au Québec au XXIe siècle : constats et enjeux
.

Ce rapport, préparé par un comité de cinq
ministres, est autrement plus mobilisateur que le document de consultation des
états généraux. En peu de pages, il présente quantité de faits bien
documentés portant sur la faiblesse du français comme langue d’assimilation
ou comme langue de travail à Montréal, et sur les défis que posent au
français la concentration des immigrants dans l’île, l’implantation des
nouvelles technologies, l’expansion de l’informatique et la mondialisation
des échanges économiques. Le rapport des cinq ministres se termine sur un
appel bien senti – et bien justifié – à la mobilisation collective pour
assurer la vitalité, le pouvoir d’attraction et l’avenir du français à
Montréal et au Québec.

Peut-on encore parler du français en français?

En comparaison, le document de consultation des
états généraux est d’une rédaction médiocre. On dirait que certains
responsables de la question linguistique au Québec ne sont plus capables de
parler du français en français. C’est-à-dire dans une langue claire, vive,
précise et concise. Plus capables d’informer efficacement de manière à
susciter la participation.

Des exemples? L’entrée en matière commence
par un paragraphe d’une seule phrase qui s’étend sur neuf lignes de texte!
Plus loin on se heurte à une phrase incomplète. Le tout est farci de
conjonctions ad nauseam. On peut compter jusqu’à cinq «et» en une ligne et
demie de texte! Sans doute un record mondial.

Cela aurait été moins grave si l’on avait
pensé à annexer au site Web, en temps utile, des exposés de la situation plus
accessibles. Hélas! on y a ajouté le rapport des cinq ministres, avec son
vibrant constat des faits, seulement après la date limite de réception des
mémoires. Chacun a donc dû y aller de son opinion à partir de sa perception
des choses. Et place à la tour de Babel!

Quant à la façon dont le document de
consultation définit la situation, il existe une large voie de solution qu’on
ne semble pas vouloir ouvrir. C’est pourtant la voie royale, qui va au fond
des choses. Nombre de constats aussi lourds qu’incontestables témoignent de
la faiblesse endémique du français face à l’anglais dans le cadre politique
actuel. En prenant appui sur une opinion publique bien informée à ce propos,
le gouvernement du Québec – il faudrait espérer ici l’Assemblée
nationale, à l’unanimité – pourrait exiger d’Ottawa qu’on change de
cadre.

Le dilemme de l’immigrant

Le document de consultation se contente d’une
allusion sibylline à ce cadre. Comme si c’était une fatalité qu’il
fallait accepter. Cela se trouve d’ailleurs incorrectement rangé comme
«nouvelle réalité» dans la liste des «tendances démographiques» alors que
c’est un problème de tout autre ordre. Il s’agit d’une incompatibilité
aussi durable que fondamentale entre deux visions de la société québécoise.

Là encore, le rapport des cinq ministres a mis
fermement le doigt sur le bobo : «…les nouveaux arrivants sont soumis à
un double discours et à un double modèle d’intégration : celui du
gouvernement fédéral qui favorise la liberté de choix par le bilinguisme se
confrontant au discours du gouvernement québécois qui préconise une langue
commune et l’intégration à une société de langue française. Il n’est
donc pas surprenant que bon nombre d’immigrants arrivant en sol québécois
soient tentés de faire l’économie de l’apprentissage du français au
profit de l’anglais.»

Bon an mal an, le (ou la) commissaire aux
langues officielles constate que l’actuelle politique fédérale ne parvient
pas à protéger de l’assimilation les minorités francophones au Canada
anglais. Qu’attend donc Québec pour condamner sans appel l’illusion
trudeauiste d’un Canada officiellement bilingue «coast-to-coast»? Pour enfin
revendiquer haut et fort une politique canadienne réaliste et efficace ayant
pour but premier de renforcer l’usage du français partout où se trouvent des
collectivités francophones encore viables?

Une approche territoriale à la citoyenneté

Qu’on s’entende, pour commencer, sur une
conception innovatrice et territoriale de la citoyenneté canadienne, faisant en
sorte qu’un immigrant qui s’établit à Montréal doive, pour devenir
citoyen, faire preuve d’une connaissance minimale du français. N’est-ce pas
là une condition indispensable pour participer à la prise de décisions dans
une société qui a le français en partage comme langue commune? Une société
au sein de laquelle l’essentiel des débats sur les questions que les
électeurs devront éventuellement régler se déroulent en français?

Au lieu de hisser le regard à ce niveau, le
document de consultation des états généraux semble plutôt se contraindre à
espérer des solutions à l’intérieur d’une problématique uniquement
provinciale. Comme s’il pouvait suffire à la société québécoise d’essayer
encore une fois de s’arranger à l’interne. Comme si à force de se forcer
les méninges, on pouvait réussir la quadrature du cercle et trouver le moyen d’assurer
l’avenir du Québec français sans brasser la cage canadienne.

Le Québec tarde trop à s’engager dans cette
voie. La loi 101 ne suffit plus. Mme Beaudoin l’a déjà dit. à quelques
éléments près, Québec est allé aussi loin que possible en matière de
politique linguistique dans le cadre actuel. On ne saurait plus changer de
façon décisive le rapport du français à l’anglais sans changer le rapport
entre le Québec et le Canada.

Il faut oser maintenant la confrontation et
insister pour que le Canada transforme sa politique linguistique dans un sens
plus territorial. Et si Ottawa refuse? Son obstination à voir mourir le
français à petit feu deviendra aussitôt une puissante condition gagnante sur
un autre plan.

Le Québec français ne peut perdre s’il ouvre
le jeu. Les états généraux doivent ratisser plus large. Les mémoires
individuels et régionaux sont déjà rédigés. Mais il est encore temps de se
rattraper au niveau national.


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