DECLARATION DE BAMAKO
Nous, Ministres et Chefs de délégation des Etats et
gouvernements des pays ayant le français en partage, réunis à Bamako pour le
Symposium International sur le bilan des pratiques de la démocratie, des
droits et des libertés dans lespace francophone ;
Nous fondant sur les dispositions de la Charte de la
Francophonie, qui consacrent comme objectifs prioritaires laide à
linstauration et au développement de la démocratie, la prévention des
conflits et le soutien à lEtat de droit et aux droits de lHomme ;
Rappelant lattachement de la Francophonie à la
Déclaration universelle des droits de lHomme et aux Chartes régionales,
ainsi que les engagements des Sommets de Dakar (1989), de Chaillot (1991),
de Maurice (1993), de Cotonou (1995), de Hanoi (1997) et de Moncton (1999) ;
Inscrivant notre action dans le cadre de la
Décennie des Nations Unies pour léducation aux Droits de lHomme
(1995-2004) ;
Considérant laction daccompagnement des processus
démocratiques menée par la Francophonie ces dix dernières années ;
Soucieux de progresser vers la démocratie par le
développement économique et social et une juste répartition des ressources
nationales pour un accès égal à léducation, à la formation, à la santé et à
lemploi ;
Souhaitant répondre à lobjectif fixé au Sommet de
Moncton, de tenir un Symposium International sur le bilan des pratiques de
la démocratie, des droits et des libertés dans lespace francophone, pour
approfondir la concertation et la coopération en faveur de lEtat de droit
et de la culture démocratique, et dengager ainsi une étape nouvelle dans le
dialogue des Etats et gouvernements des pays ayant le français en partage,
pour mieux faire ressortir les axes principaux tant de leur expérience
récente que de leur spécificité ;
1 – Constatons
- que le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés
dans lespace francophone, au cours de ces dix dernières années, comporte des
acquis indéniables : consécration constitutionnelle des droits de lHomme,
mise en place des Institutions de la démocratie et de lEtat de droit,
existence de contre-pouvoirs, progrès dans linstauration du multipartisme
dans nombre de pays francophones et dans la tenue délections libres, fiables
et transparentes, contribution de lopposition au fonctionnement de la
démocratie, promotion de la démocratie locale par la décentralisation ;
- que ce bilan présente, aussi, des insuffisances et des échecs : récurrence
de conflits, interruption de processus démocratiques, génocide et massacres,
violations graves des droits de lHomme, persistance de comportements freinant
le développement dune culture démocratique, manque dindépendance de
certaines institutions et contraintes de nature économique, financière et
sociale, suscitant la désaffection du citoyen à légard du fait démocratique ;
2- Confirmons notre adhésion aux principes fondamentaux suivants :
- La démocratie, système de valeurs universelles, est fondée sur la
reconnaissance du caractère inaliénable de la dignité et de légale valeur de
tous les êtres humains ; chacun a le droit dinfluer sur la vie sociale,
professionnelle et politique et de bénéficier du droit au développement ;
2. LEtat de droit qui implique la soumission de lensemble
des institutions à la loi, la séparation des pouvoirs, le libre exercice des
droits de lHomme et des libertés fondamentales, ainsi que légalité devant la
loi des citoyens, femmes et hommes, représentent autant déléments
constitutifs du régime démocratique ;
- La démocratie exige, en particulier, la tenue, à intervalles réguliers,
délections libres, fiables et transparentes, fondées sur le respect et
lexercice, sans aucun empêchement ni aucune discrimination, du droit à la
liberté et à lintégrité physique de tout électeur et de tout candidat, du
droit à la liberté dopinion et dexpression, notamment par voie de presse et
autre moyen de communication, de la liberté de réunion et de manifestation, et
de la liberté dassociation ; - La démocratie est incompatible avec toute modification substantielle du
régime électoral introduite de façon arbitraire ou subreptice, un délai
raisonnable devant toujours séparer ladoption de la modification de son
entrée en vigueur ; - La démocratie suppose lexistence de partis politiques égaux en droits,
libres de sorganiser et de sexprimer, pour autant que leur programme et
leurs actions ne remettent pas en cause les valeurs fondamentales de la
démocratie et des droits de lHomme. Ainsi, la démocratie va de pair avec le
multipartisme. Elle doit assurer à lopposition un statut clairement défini,
exclusif de tout ostracisme ; - La démocratie requiert la pratique du dialogue à tous les niveaux aussi
bien entre les citoyens, entre les partenaires sociaux, entre les partis
politiques, quentre létat et la société civile. La démocratie implique la
participation des citoyens à la vie politique et leur permet dexercer leur
droit de contrôle ;
3 – Proclamons
1. que Francophonie et démocratie sont indissociables : il
ne saurait y avoir dapprofondissement du projet francophone sans une
progression constante vers la démocratie et son incarnation dans les faits ;
cest pourquoi la Francophonie fait de lengagement démocratique une priorité
qui doit se traduire par des propositions et des réalisations concrètes ;
2. que, pour la Francophonie, il ny a pas de mode
dorganisation unique de la démocratie et que, dans le respect des principes
universels, les formes dexpression de la démocratie doivent sinscrire dans
les réalités et spécificités historiques, culturelles et sociales de chaque
peuple ;
3. que la démocratie, cadre politique de lEtat de
droit et de la protection des droits de lHomme, est le régime qui favorise le
mieux la stabilité à long terme et la sécurité juridique ; par le climat de
liberté quelle suscite, la démocratie crée aussi les conditions dune
mobilisation librement acceptée par la population pour le développement ; la
démocratie et le développement sont indissociables : ce sont là les facteurs
dune paix durable ;
4. que la démocratie, pour les citoyens – y compris, parmi
eux, les plus pauvres et les plus défavorisés – se juge, avant tout, à laune
du respect scrupuleux et de la pleine jouissance de tous leurs droits, civils
et politiques, économiques, sociaux et culturels, assortis de mécanismes de
garanties. Il sagit là de conditions essentielles à leur adhésion aux
institutions et à leur motivation à devenir des acteurs à part entière de la
vie politique et sociale ;
5. que, pour préserver la Démocratie, la Francophonie
condamne les coups dEtat et toute autre prise de pouvoir par la violence, les
armes ou quelque autre moyen illégal ;
6 que, pour consolider la démocratie, laction de la
Francophonie doit reposer sur une coopération internationale qui sinspire des
pratiques et des expériences positives de chaque Etat et gouvernement membre ;
7. que les principes démocratiques, dans toutes leurs
dimensions, politique, économique, sociale, culturelle et juridique,
doivent également imprégner les relations internationales ;
4 – Prenons les engagements suivants :
A. Pour la consolidation de lEtat de droit
- Renforcer les capacités des institutions de lEtat de droit, classiques ou
nouvelles, et oeuvrer en vue de les faire bénéficier de toute lindépendance
nécessaire à lexercice impartial de leur mission ; - Encourager le renouveau de linstitution parlementaire, en facilitant
matériellement le travail des élus, en veillant au respect de leurs immunités
et en favorisant leur formation ; - Assurer lindépendance de la magistrature, la liberté du Barreau et la
promotion dune justice efficace et accessible, garante de lEtat de droit,
conformément à la Déclaration et au Plan daction décennal du Caire adoptés
par la IIIème Conférence des Ministres francophones de la justice ; - Mettre en oeuvre le principe de transparence comme règle de fonctionnement
des institutions ; - Généraliser et accroître la portée du contrôle, par des instances
impartiales, sur tous les organes et institutions, ainsi que sur tous les
établissements, publics ou privés, maniant des fonds publics ; - Soutenir laction des institutions mises en place dans le cadre de
lintégration et de la coopération régionales, de manière à faire émerger, à
ce niveau, une conscience citoyenne tournée vers le développement, le progrès
et la solidarité ;
B. Pour la tenue délections libres, fiables et
transparentes
- Sattacher au renforcement des capacités nationales de lensemble des
acteurs et des structures impliqués dans le processus électoral, en mettant
laccent sur létablissement dun état-civil et de listes électorales
fiables ; - Sassurer que lorganisation des élections, depuis les opérations
préparatoires et la campagne électorale jusquau dépouillement des votes et à
la proclamation des résultats, y inclus, le cas échéant, le contentieux,
seffectue dans une transparence totale et relève de la compétence dorganes
crédibles dont lindépendance est reconnue par tous ; - Garantir la pleine participation des citoyens au scrutin, ainsi que le
traitement égal des candidats tout au long des opérations électorales ; - Impliquer lensemble des partis politiques légalement constitués, tant de
la majorité que de lopposition, à toutes les étapes du processus électoral,
dans le respect des principes démocratiques consacrés par les textes
fondamentaux et les institutions, et leur permettre de bénéficier de
financements du budget de lEtat ; - Prendre les mesures nécessaires pour sorienter vers un financement
national, sur fonds public, des élections ; - Se soumettre aux résultats délections libres, fiables et transparentes ;
C. Pour une vie politique apaisée
- Faire en sorte que les textes fondamentaux régissant la vie démocratique
résultent dun large consensus national, tout en étant conformes aux normes
internationales, et soient lobjet dune adaptation et dune évaluation
régulières ; - Faire participer tous les partis politiques, tant de lopposition que de
la majorité, à la vie politique nationale, régionale et locale, conformément à
la légalité, de manière à régler pacifiquement les conflits
dintérêts ; - Favoriser la participation des citoyens à la vie publique en progressant
dans la mise en place dune démocratie locale, condition essentielle de
lapprofondissement de la démocratie ; - Prévenir, et le cas échéant régler de manière pacifique, les contentieux
et les tensions entre groupes politiques et sociaux, en recherchant tout
mécanisme et dispositif appropriés, comme laménagement dun statut pour les
anciens hauts dirigeants, sans préjudice de leur responsabilité pénale selon
les normes nationales et internationales ; - Reconnaître la place et faciliter limplication constante de la société
civile, y compris les ONG, les médias, les autorités morales traditionnelles,
pour leur permettre dexercer, dans lintérêt collectif, leur rôle dacteurs
dune vie politique équilibrée ; - Veiller au respect effectif de la liberté de la presse et assurer laccès
équitable des différentes forces politiques aux médias publics et privés,
écrits et audiovisuels, selon un mode de régulation conforme aux principes
démocratiques ;
D. Pour la promotion dune culture démocratique intériorisée
et le plein respect des droits de lHomme
- Développer lesprit de tolérance et promouvoir la culture démocratique
dans toutes ses dimensions, afin de sensibiliser, par léducation et la
formation, les responsables publics, lensemble des acteurs de la vie
politique et tous les citoyens aux exigences éthiques de la démocratie et des
droits de lHomme ; - Favoriser, à cet effet, lémergence de nouveaux partenariats entre
initiatives publiques et privées, mobilisant tous les acteurs engagés pour la
démocratie et les droits de lHomme ; - Ratifier les principaux instruments internationaux et régionaux relatifs
aux droits de lHomme, honorer et parfaire les engagements ainsi contractés,
sassurer de leur pleine mise en oeuvre et former tous ceux qui sont chargés
de leur application effective ; - Adopter en particulier, afin de lutter contre limpunité, toutes les
mesures permettant de poursuivre et sanctionner les auteurs de violations
graves des droits de lHomme, telles que prévues par plusieurs instruments
juridiques internationaux et régionaux, dont le Statut de Rome portant
création dune Cour Pénale Internationale ; appeler à sa ratification rapide
par le plus grand nombre ; - Créer, généraliser et renforcer les institutions nationales, consultatives
ou non, de promotion des droits de lHomme et soutenir la création dans les
administrations nationales de structures consacrées aux droits de lHomme,
ainsi que laction des défenseurs des droits de lHomme ; - Prendre les mesures appropriées afin daccorder le bénéfice aux membres
des groupes minoritaires, quils soient ethniques, philosophiques, religieux
ou linguistiques, de la liberté de pratiquer ou non une religion, du droit de
parler leur langue et davoir une vie culturelle propre ; - Veiller au respect de la dignité des personnes immigrées et à
lapplication des dispositions pertinentes contenues dans les instruments
internationaux les concernant.
A ces fins, et dans un souci de partenariat rénové, nous
entendons :
- Intensifier la coopération entre lOIF et les organisations
internationales et régionales, développer la concertation en vue de la
démocratisation des relations internationales, et soutenir, dans ce cadre, les
initiatives qui visent à promouvoir la démocratie ;
- Renforcer le mécanisme de concertation et de dialogue permanents avec les
OING reconnues par la Francophonie, particulièrement avec celles qui
poursuivent les mêmes objectifs dans les domaines de la démocratie et des
droits de lHomme ;
5 – Décidons de recommander la mise en oeuvre des procédures
ci-après pour le suivi des pratiques de la démocratie, des droits et des
libertés dans lespace francophone :
- Le Secrétaire général se tient informé en permanence de la situation de la
démocratie, des droits et des libertés dans lespace francophone, en
sappuyant notamment sur la Délégation à la Démocratie et aux Droits de
lHomme, chargée de lobservation du respect de la démocratie et des droits de
lHomme dans les pays membres de la Francophonie ;
Une évaluation permanente des pratiques de la démocratie,
des droits et des libertés dans lespace francophone sera conduite, à des fins
de prévention, dans le cadre de lOrganisation internationale de la
Francophonie, sur la base des principes constitutifs énoncés précédemment.
Cette évaluation doit permettre :
- de définir les mesures les plus appropriées en matière dappui à
lenracinement de la démocratie, des droits et des libertés,
- dapporter aux Etats et gouvernements qui le souhaitent lassistance
nécessaire en ces domaines,
- de contribuer à la mise en place dun système dalerte précoce ;
- Face à une crise de la démocratie ou en cas de violations graves des
droits de lHomme, les instances de la Francophonie se saisissent,
conformément aux dispositions de la Charte, de la question afin de prendre
toute initiative destinée à prévenir leur aggravation et à contribuer à un
règlement. A cet effet, le Secrétaire général propose des mesures
spécifiques :
- il peut procéder à lenvoi dun facilitateur susceptible de contribuer à
la recherche de solutions consensuelles. Lacceptation préalable du processus
de facilitation par les autorités du pays concerné constitue une condition du
succès de toute action. Le facilitateur est choisi par le Secrétaire général
après consultation du Président de la Conférence ministérielle, en accord avec
lensemble des protagonistes. La facilitation seffectue en liaison étroite
avec le CPF ;
- il peut décider, dans le cas de procès suscitant la préoccupation de la
communauté francophone, de lenvoi, en accord avec le CPF, dobservateurs
judiciaires dans un pays en accord avec celui-ci.
- En cas de rupture de la démocratie ou de violations massives des droits de
lHomme, les actions suivantes sont mises en oeuvre :
Le Secrétaire général saisit immédiatement le Président de la
Conférence ministérielle de la Francophonie à des fins de consultation ;
La question fait lobjet dune inscription immédiate et
automatique à lordre du jour du CPF, qui peut être convoqué durgence en
session extraordinaire, et, le cas échéant :
- confirme la rupture de la démocratie ou lexistence de violations massives
des droits de lHomme,
- les condamne publiquement,
- exige le rétablissement de lordre constitutionnel ou larrêt immédiat de
ces violations,
Le CPF signifie sa décision aux parties concernées.
Le Secrétaire général se met en rapport avec les autorités de
fait. Il peut envoyer sur place une mission dinformation et de contacts. Le
rapport établi dans les plus brefs délais par cette mission est communiqué aux
autorités nationales pour commentaires. Le rapport de la mission, ainsi que les
commentaires des autorités nationales, sont soumis au CPF, pour toute suite
jugée pertinente.
Le CPF peut prendre certaines des mesures suivantes :
- refus de soutenir les candidatures présentées par le pays concerné, à des
postes électifs au sein dorganisations internationales,
- refus de la tenue de manifestations ou conférences de la Francophonie dans
le pays concerné,
- recommandations en matière doctroi de visas aux autorités de fait du pays
concerné et réduction des contacts intergouvernementaux,
- suspension de la participation des représentants du pays concerné aux
réunions des instances,
- suspension de la coopération multilatérale francophone, à lexception des
programmes qui bénéficient directement aux populations civiles et de ceux qui
peuvent concourir au rétablissement de la démocratie,
- proposition de suspension du pays concerné de la Francophonie. En cas de
coup dEtat militaire contre un régime issu délections démocratiques, la
suspension est décidée.
Lorsque des dispositions sont prises en vue de restaurer
lordre constitutionnel ou de faire cesser les violations massives des droits de
lHomme, le CPF se prononce sur le processus de retour au fonctionnement
régulier des institutions, assorti de garanties pour le respect des droits de
lHomme et des libertés fondamentales. Il détermine les mesures daccompagnement
de ce processus par la Francophonie en partenariat avec dautres organisations
internationales et régionales.
Si besoin est, le CPF saisit la Conférence ministérielle de
la Francophonie par le canal de son Président.
La question de la rupture de la démocratie ou des violations
massives des droits de lHomme dans un pays et des mesures prises, reste
inscrite à lordre du jour du CPF aussi longtemps que subsistent cette rupture
ou ces violations.
Nous, Ministres et chefs de délégation des Etats et
gouvernements des pays ayant le français en partage,
Adoptons la présente Déclaration ;
Demandons au Secrétaire général de lOrganisation
internationale de la Francophonie den assurer la mise en oeuvre ;
Transmettons, à l’intention des Chefs d’Etat et de
gouvernement, en vue de leur 9ème Sommet à Beyrouth, le projet de
Programme d’action ci-joint en annexe.
Bamako, le 3 novembre 2000