CONJURER LA CRISE D’IDENTITé
La nation se distingue de lethnie au sens strict mais sans sy
opposer, puisque, au départ, elle repose sur elle.
Jean-Marc Léger
avril 2001
Faut-il occulter les origines ?
La maîtrise de sa langue (et, par là de sa pensée : « maître de sa
langue,
donc maître de soi-même », Valéry) est pour chaque peuple une condition
première de survie et de développement, à quoi sajoutent naturellement le
sens et la fierté des origines. Cela vaut en particulier pour un peuple comme
le nôtre contraint en permanence de vivre dangereusement. Or, nous
assistons depuis quelque temps à une sorte de remise en cause insidieuse de
lidentité de la majorité du peuple québécois, sous le pieux prétexte de
légalité et de lunité de tous les citoyens, comme si la fidélité aux
origines
faisait obstacle à laccueil et à lintégration des immigrants. Cette
offensive
pernicieuse tend à susciter un sentiment de culpabilité, à répandre
limpression que lattachement aux origines françaises, que le fait de les
rappeler, de les affirmer, traduirait une sorte de refus de lautre ou même
dexclusion des autres. Dans le même temps, on traite avec une
condescendance apitoyée, voire sur un mode méprisant, les générations
précédentes : le pharisaïsme est décidément, autant que lignorance, à
lordre du jour.
Les artisans, souvent inconscients, de cette entreprise de dénationalisation
ont décidé quil ny avait plus désormais de Canadiens français que dans
le
reste du Canada : ils seraient interdits de séjour et même dévocation au
Québec. Les tenants de la pensée unique (cest-à-dire, généralement,
inique), essentiellement réactionnaire et conservatrice à limage du
prétendu
néolibéralisme, tentent dentretenir une véritable phobie à propos de
certains mots quils ont entrepris de diaboliser, au premier chef les termes
de « ethnie » et « ethnique » et même, pour une part, ceux de « nation »,
« national » et tout ce qui sy rattache. La rectitude politique et lair
du temps
commanderaient dy substituer par exemple les mots de « civique » et «
inclusif » quon emploie dailleurs souvent dans leur acception anglaise,
le
mépris de la langue allant de pair avec le mépris des origines. Encore un peu
et nous nous retrouverons en plein délire. Les obsédés de lethnique et les
excités de linclusif célèbrent par ailleurs les « communautés
culturelles »
sans se rendre compte de la contradiction et de lillogisme dans leur
comportement, ces communautés reposant naturellement sur le fait
ethnique.
Le terme « ethnie » désigne tout simplement lensemble des personnes qui
sont de même origine, qui partagent une histoire et une culture, qui ont une
langue commune. Le mot nest en soi ni laudatif, ni péjoratif, il nimplique
nul jugement de valeur mais est simplement lexpression dune réalité
socioculturelle. Sous ce rapport, nous appartenons tous, que nous le
voulions ou non, à une ethnie. Dautre part, il ne faut pas confondre le fait
ethnique et le fait national. La nation ne se limite pas à lethnie : la
plupart
des nations ont accueilli au cours des âges des apports de diverses origines,
quelles ont su généralement assimiler avec bonheur. Cest pourquoi la
nation se distingue de lethnie au sens strict mais sans sy opposer,
puisque,
au départ, elle repose sur elle. Ainsi, la nation canadienne-française, ou
québécoise, pour qui le préfère, a comme fondement la collectivité ou
lethnie française dAmérique mais comprend aussi des Québécois de
toutes origines qui, venus chez nous surtout depuis le milieu du XIXe siècle,
ont souhaité nous rejoindre, faisant leurs notre culture, notre langue, notre
histoire, nos combats, nos aspirations. Ils forment avec nous la nation
québécoise dont le caractère français est fondamental, car seul il nous
distingue du reste du Canada, seul il explique et justifie la recherche de
lémancipation politique.
Le temps de la confusion
Dans une déclaration publiée en janvier dernier, sur une page entière du
Devoir, appuyée de quelques centaines de signatures, il est dit notamment
que : « Nous rejetons tout nationalisme qui fait la promotion dune identité
fondée sur lethnicité ». Voilà qui a le mérite dêtre clair tout
autant
quabsurde, voilà qui est aussi le reflet de la nouvelle pensée unique,
dénationalisante et uniformisante, qui fait partout le lit de la langue
anglaise
et de lhégémonie anglo-américaine. On ne devrait pas évoquer, paraît-il,
moins encore célébrer les origines françaises, la Nouvelle France, ni parler
dAmérique française, car tout cela serait ethniciste, réducteur, exclusif
» :
la fidélité aux origines, la fierté de celles-ci traduiraient en fait le
refus de
lautre ! La déclaration disait encore : « Nous partageons un même
patrimoine de droits et de responsabilités (sic !) » et poursuivait : Il faut
placer la démocratie, la solidarité et la langue française au coeur de tout
projet politique ». Bravo, certes, mais pour quelle raison désormais, en
vertu de quoi la langue française serait-elle encore « au coeur du projet
politique » puisquil ny a plus de nation française du Québec mais
simplement une espèce de grosse communauté culturelle, plus ancienne
(sauf les nations autochtones) et plus nombreuse, pour un temps encore,
que les autres, dont on expliquerait mal quelle veuille imposer sa langue aux
autres communautés. Sil ny a plus de nation française dAmérique, de
nation canadienne-française ou franco-québécoise, il ny a plus de raison,
de justification de rechercher lautonomie politique du Québec ni de
défendre la langue française, de la proclamer langue nationale ou langue
commune », comme on dit pudiquement, désormais, et presque en hésitant,
dans nombre de milieux officiels.
Cette déclaration, comme de nombreuses prises de position de même
encre, repose sur une contradiction fondamentale, illustre la confusion des
esprits et débouche sur une impasse, quels que puissent être la noblesse
dinspiration et les sentiments généreux de leurs auteurs et de leurs
adhérents. « La générosité non éclairée par la lucidité conduit souvent
au
désastre » a dit Thierry Maulnier (Violence et conscience).
Parmi les exemples de la redoutable dérive dont nous sommes témoins
depuis quelque temps, je relève le curieux propos suivant : « Sil est
encore
des gens qui se définissent comme Canadiens français, ce sont les
francophones hors Québec, pas les Québécois. Le nationalisme des
Canadiens français de jadis était un nationalisme ethnique, en ce sens quil
ne laissait pas de place aux nouveaux arrivants ou à quiconque nétait pas
descendant de colons français. Aujourdhui, les Québécois, quils soient
les
descendants des dits Canadiens français dalors ou nouvellement arrivés de
partout, sont des Québécois nonobstant la langue quils parlent. Cest ce
que lon appelle un nationalisme civique, donc basé sur une citoyenneté
québécoise ». Jaurai rarement relevé autant dinexactitudes dans un
aussi
court texte.
Nos anciens savaient assimiler
Dabord, il se trouve encore des Québécois, relativement nombreux, qui se
disent Canadiens français. En deuxième lieu, nos frères de la diaspora
canadienne-française, comme nos frères acadiens, quils se trouvent dans le
reste du Canada, aux états-Unis ou ailleurs, commandent respect, solidarité
et soutien. Il y a ensuite un devoir élémentaire de respect et de piété (au
sens où les Romains parlaient de « pietas erga suos ») envers toutes les
générations qui ont permis, par leur admirable ténacité et leur constant
effort
quexiste aujourdhui un Québec créatif, moderne et français. Enfin, sil
est
vrai que certains des nôtres furent réservés, jadis, à lendroit des
nouveaux
venus (et dans leur situation, cela était compréhensible), cest par
milliers en
revanche que furent acceptés, accueillis, assimilés des immigrants, des
Irlandais dabord surtout mais aussi, plus tard, des Italiens en grand
nombre, des Grecs, des Polonais, des Proche Orientaux, dans la deuxième
moitié du XIXe et la première moitié du XXe siècle. Chacun connaît
lexemple classique des Johnson et autres OLeary, qui se considéraient
comme Canadiens français et nous tous les considérions spontanément,
naturellement, comme nôtres. à linstar de beaucoup de mes
contemporains, jai connu à lécole primaire des Berardelli et des
Bumaylis
et, au collège, des Moore et des Lord par exemple : ils étaient, avec des
dizaines de milliers dautres, lillustration dune assimilation normale
et
féconde, parfaitement réussie, où chacun était gagnant. Personne naurait
eu
lidée saugrenue de les qualifier « dallophones », ni de les inscrire
dans une
prétendue communauté culturelle.
Affirmer que nos grands-parents et autres aïeux ne faisaient pas de place
aux nouveaux arrivants, cest proférer une contrevérité. Cest aussi
apporter sa caution aux milieux qui tentent de répandre la fable du racisme
» des Canadiens français : sil y a quelque racisme au Québec, ce nest
certainement pas chez les Franco-Québécois quil convient de le chercher.
Cest le lieu de citer cette phrase de Régis Debray, qui a la portée dun
verdict : « Qui nest pas présent à soi-même nest pas présent aux
autres.
La honte de soi fait en même temps des larbins et des racistes, des
xénophobes et des girouettes ».
Le caractère français du Québec, fondement de la souveraineté
Au premier rang des débats qui simposent chez nous (déjà implicitement
engagés dans certains cas et parfois depuis longtemps), et qui intéressent
non seulement les souverainistes mais la société québécoise entière, il en
est
un évidemment prioritaire, essentiel et exigeant, sorte de préalable à tous
les
autres. Cest celui qui a trait à la question fondamentale, lancinante,
embarrassante ou irritante pour certains, toujours actuelle : quest-ce donc
quêtre Québécois ?
La question peut sembler élémentaire : elle est apparemment devenue
délicate, gênante, complexe et surtout elle rend compte de la crise didentité
que nous traversons, au point de ne plus guère savoir nous définir
nous-mêmes. Pour certains adeptes du discours néo-libéral mondialiste
(quirrite la moindre référence aux origines et à lidentité, aux
nôtres, en tout
cas !), la réponse est dune admirable et émouvante simplicité. Est
Québécois, quiconque vit au Québec, en respecte les lois, souscrit à ses
valeurs » et y paie limpôt ! Et tous ces citoyens constituent le peuple
québécois, terme que lon préfère à celui de nation, qui évoquerait
lethnicité, vocable abhorré, auquel on associe une connotation
péjorative.
à chaque province, son peuple ?
Dès lors, on peut dire, en bonne logique, que quiconque vit en Ontario, par
exemple, en respecte les lois, en accepte les valeurs (qui se déclinent de
pareille façon partout en Occident : primauté du droit, libertés
individuelles,
solidarité et partage, tolérance, respect dautrui, égalité, démocratie
parlementaire, sécurité des personnes et des biens, etc.) et y paie les
impôts
est Ontarien et que tous ces Ontariens peuvent prétendre à former un
peuple. De même pour nos compatriotes albertains ou néo-écossais et pour
ceux de Colombie britannique, bref une bonne dizaine de peuples, sans
compter les autochtones. Si, en effet, la considération première est dordre
géographique : le fait dhabiter un territoire donné, à quoi sajoutent
le
partage de valeurs communes et la qualité de contribuable, on voit mal en
vertu de quoi les habitants de chaque province canadienne ne pourraient
pas estimer quils constituent un peuple, tous ces peuples, formant à leur
tour, dans la diversité et légalité, un super peuple canadien dont la
santé et
la perpétuation devraient nous importer à tous !
Jentends bien que les adeptes du peuple « géographique » et du
patriotisme territorial, par opposition, bien sûr, au « répugnant »
patriotisme
dit ethnique, crieront à la caricature de leur conception et de leur démarche.
Ce sont pourtant bien là les attributs quils retiennent pour la définition
dun
peuple. Je tiens, pour ma part, que si lon refuse de prendre en compte les
origines et lhistoire, dans notre cas nos origines françaises et toute lhistoire
de lAmérique française, de les prendre en compte comme partie intégrante
de la définition du peuple du Québec, on retire alors tout fondement à la
recherche de la souveraineté ou même tout simplement dune plus grande
autonomie et dun statut particulier.
Origine de lambiguïté
Il est vrai que nous avons commencé de créer lambiguïté au moment où,
dans les années soixante à soixante-dix, précisément pour mieux marquer
notre singularité, nous avons substitué lappellation « Québécois » à
celle de
« Canadiens français ». Il y avait là laffirmation dune fierté et dun
élan
nouveaux, coïncidant dailleurs avec le réveil des années soixante et avec
toutes ses promesses. Nous navons pas pris garde, cependant, que cette
expression nouvelle dune identité ressentie comme renforcée, en quelque
sorte actualisée, et que lon voulait présenter ainsi à lextérieur,
pouvait, à
terme, se révéler un piège et comme le préambule dune dépossession,
lamorce, aussi, dun vaste malentendu. Pour marquer plus clairement, plus
éloquemment, une identité singulière, en fonction du pays attendu, de la
patrie déjà présente, nous risquions daffaiblir lélément fondamental
de
cette identité, le caractère français de notre peuple.
Pourtant, à lorigine du mouvement qui a tendu à substituer «
Québécois » à
« Canadiens français », le propos était évidemment tout autre, puisquil
visait à renforcer laffirmation de la singularité du Québec, donc, dabord
de
son caractère français, en ajoutant, à la dimension culturelle, la dimension
politique, celle-ci devant conforter et prolonger celle-là. Cest dailleurs
pourquoi les multiples combats pour la langue française furent menés
dabord par des militants souverainistes et par les tenants dune large
autonomie du Québec et que les slogans « Québec français » et « Québec
libre » apparaissaient, en règle générale, comme interchangeables.
Il nempêche, et cétait prévisible, quun glissement sest
produit, au point
que la définition de lidentité québécoise suscite aujourdhui chez
beaucoup
des nôtres la gêne et lembarras. Entre leur volonté de faire du Québec un
espace original de langue française et leur souci daccueil aux allogènes,
leur
crainte – celle quune propagande persistante leur a inculquée – de paraître
« exclure lautre », ils sefforcent de trouver la formule propre à
réconcilier
ces diverses préoccupations.
Pour ma part, je considère quà moins de consentir à nier sa propre
identité
il faut tenir que la définition élémentaire du Québécois inclut
nécessairement
la qualité de francophone, soit de souche, soit délection. Sil ne devait
pas
en être ainsi (et alors ce serait un tournant dramatique), il faudrait créer
le
néologisme « Québécois français » ou « Franco-Québécois » de même
quhier nous nous disions, avec raison, sans prétention mais très justement,
Canadiens français. à la limite, mieux vaudrait revenir à cette appellation
ancienne et enracinée, qui avait au moins le mérite de nous situer clairement,
en mettant bien en relief lélément central de notre identité. Nous ne
saurions accepter sans nous renier une définition purement géographique et
circonstancielle du Québécois, qui nous ferait culturellement multiples,
cest-à-dire anonymes, et linguistiquement « asexués ».
Une opposition artificielle
Cest dailleurs cette définition équivoque du « Québécois » qui a
suscité le
curieux débat, inutile et artificiel, à propos dun prétendu patriotisme
territorial que lon voudrait opposer au patriotisme dit ethnique. On ne
sattache pas à un territoire en soi, on ne le ressent comme sa patrie que
parce quil est le lieu de siècles defforts et de luttes de son peuple,
marqué
par ses peines, ses entreprises et ses rêves, et quil est imprégné par sa
langue et sa culture. Le patriotisme est à la fois territorial et culturel, ou
ethnique, comme lon voudra : les origines et lHistoire en sont des
éléments
fondamentaux. Et si lon tient tellement à distinguer, mieux vaudrait que lon
parlât – et avec beaucoup plus de justesse – de patrie charnelle ou physique
et de patrie culturelle, la première étant naturellement pour nous le Québec,
et la seconde, la langue française, qui nous permet de dire, en un sens, que
nous sommes chez nous partout où lon parle français.
Francophone : labus et lambiguïté
Lexpression désormais courante de « Québécois francophone », comme
substitut, contestable, de celle de Canadien français, est une nouvelle
manifestation de la confusion dans les esprits autour de concepts
fondamentaux. En effet, les deux vocables « francophone » et « français »
renvoient à des réalités socioculturelles et socio-politiques radicalement
différentes : « français » fait référence aux origines, à lhistoire et
à la culture,
alors que « francophone » souligne la langue dusage, la langue
principalement – mais non exclusivement – parlée par une personne ou par
un groupe, sans référence aux origines, à des attitudes, à des
préoccupations, à des habitudes communes. Ainsi, nous, Canadiens français
ou Québécois français sommes francophones parce que nous sommes
dorigine française, francophones de souche en quelque sorte, cependant
quil existe par ailleurs, fort heureusement, nombre de francophones
délection ou de choix, qui sont de toutes sortes dorigines autres que
françaises. Il faut cesser de confondre les deux situations. Au reste, nos
ancêtres, à partir du moment (vers le milieu du XIXe siècle) où ils durent
partager leur qualité de « Canadiens » avec les autres habitants du pays, se
définirent eux-mêmes, avec raison, non pas comme « Canadiens
francophones » ni même comme « Canadiens de langue française »,
pressentant lambiguïté et soupçonnant le piège mais bien comme «
Canadiens français » qui disait clairement notre identité, nous situait plus
et
mieux que le terme de « francophone » impuissant à exprimer les origines et
lhistoire.
Il est urgent de cesser de confondre, chez nous, les termes et les concepts
de « français » et « francophone ». La confusion procède généralement de
lignorance mais il arrive quelle résulte dune volonté délibérée d’occulter
les origines et de se fondre dans un grand tout pan canadien ou
néo-québécois, cest-à-dire au nom de « louverture » de faire le jeu
de
luniformisation. « Loubli des origines est mortel pour le progrès » a
dit
Régis Debray, auquel fait écho Daniel Sibony : « Lorigine de la haine, cest
la haine des origines ».
Fierté de soi, confiance en soi
Un peuple ne peut survivre ni se développer sans une confiance minimale en
lui-même, fondée sur le sens de lidentité et la conscience de lhéritage,
sans
une certaine espérance. Le nôtre puisait celle-ci, jadis, dans sa foi,
ceux-là
pour une large part dans son histoire. Ayant renoncé à la première et sétant
coupé de la seconde, dans le cours dune immense et vertigineuse braderie,
comment ne serait-il pas aujourdhui atteint, à certaines heures, par le
doute, et enclin à un secret désarroi ? Et comment, dans ce dénuement
inédit, aggravé par le silence des intellectuels et la logorrhée de la classe
politique, ne serait-il pas ébranlé par les attaques dont il est curieusement
la
cible depuis quelque temps, troublé, sinon même porté, parfois, à donner
raison à ses accusateurs ? Le vieux complexe de culpabilité refait surface et
sajoute au besoin puéril dêtre « aimé » et de « faire plaisir »,
ainsi quà une
ancienne habitude de démission, nourrie par un sentiment dinfériorité.
Comme il se doit, il ne manque pas, parmi les nôtres, de bonnes âmes pour
faire chorus avec les accusateurs, pour battre leur coulpe et la nôtre. Les
Bourgeois de Calais sont innombrables et il est entendu que laccusateur a
toujours raison, contre ce « pelé, ce galeux, doù vient tout le mal ». On
croit rêver. Cest le petit peuple franco-québécois, contraint de
sarc-bouter pour survivre dans cette immense Amérique anglophone, qui a
subi plus que son lot doppression, dont lavenir est rien moins quassuré,
cest lui qui serait lagresseur et menacerait les libertés des autres ! Il
faut lui
inculquer ou renforcer chez lui un sentiment de culpabilité : cest la plus
sûre
façon daccroître sa vulnérabilité, de lamener à se méfier de
lui-même, et à
douter, dès lors, de pouvoir assumer raisonnablement la maîtrise de ses
affaires.
Un peuple souverain, dynamique, sûr de lui, peut se permettre de jouer les
magnanimes. Un peuple faible et menacé doit se montrer intransigeant sur
lessentiel, sil veut avoir une chance de survivre et de forcer le respect
de
lautre. Car ce respect ne se mendie pas : il simpose et se conquiert. La
nation est par excellence médiatrice entre lindividu et luniversel. Il ne
peut
exister de véritable internationalisme quà partir de nations autonomes :
loin
de sériger sur les décombres des patries, luniversalisme est menacé par
leur abaissement. Bien frivole qui croit que lavènement éventuel dun
ordre
mondial de justice et de solidarité, quun dialogue universel des cultures,
puissent naître de la dilution des patries et de lérosion des identités
nationales. Les nations sont autant de formes singulières de luniversel et
il
nest pas de culture nationale sans enracinement. Sinon, cest lirrésistible
montée dune grise et tyrannique uniformité, lexact contraire de
luniversalisme avec lequel pourtant on paraît souvent porté à la
confondre.
Pour ma part, je revendique tout à la fois ma qualité de Français, de
Canadien français, de Québécois français (et pas simplement « francophone
» : là aussi, il y a ambiguïté et il peut y avoir détournement didentité),
fier
dun héritage que jassume tout entier, fier de « toutes les générations
de
nos pères » (Gaston Miron) et reconnaissant envers elles. Le moment me
semble venu pour tous les Québécois français, conscients et fiers de leurs
racines, de dénoncer lentreprise anti-nationale et dy faire échec. Tout
ce
qui est dorigine et dexpression françaises a naturellement vocation à
luniversel. Notre histoire en a été constamment lillustration : nous
tiendrons
à honneur de faire en sorte quil continue den aller ainsi. *