NDLR – Le mémoire est publié immédiatement après la présentation de lauteur.
TéMOIGNAGE DUN CAJUN DE LA LOUISIANE
UN CRI DU COEUR LANCé AUX QUéBéCOIS
Ce mémoire est offert en guise de témoignage personnel dun Cajun de la
Louisiane qui vit au Québec depuis quelques années. Cest un cri du coeur
lancé aux Québécois et aux Québécoises dans le but de vous inciter à agir
dans les plus brefs délais pour stopper le déclin du français au Québec et
pour éviter à tout prix la louisianisation du Québec et lextinction de
cette langue et de cette culture dans ce continent.
AUTEUR
John L. Thévenot, né le 24 avril, 1951 en Louisiane, dune famille
francophone, descendants des immigrants français qui se sont installés dans la
paroisse des Avoyelles sur les bords du Bayou Rouge. Marié en 1974 à Arlène
Badeaux, Acadienne du Bayou Lafourche, Louisiane et père de quatre enfants qui
parlent français comme langue maternelle. Il est enseignant à une école
privée anglophone à Montréal et aussi pasteur de la paroisse Oka Iroquois
Pentecostal Church à Kanehsatake, Oka Québec, paroisse Mohawk.
Lauteur est un ardent défenseur de la langue française.
John L. Thévenot
465, rue Champigny
Deux-Montagnes, Qc. J7R 4X4
(450) 491-6873
J.athev@videotron.ca
MéMOIRE PRéPARé POUR
LES éTATS GéNéRAUX SUR LA LANGUE FRANçAISE
JOHN L. THéVENOT
DEUX-MONTAGNES, QUéBEC
19 OCTOBRE, 2000
Je suis immigrant et non Québécois, donc il faut que je mexprime du
point de vue de
limmigrant. Je nai jamais eu le privilège dune éducation en français
et vous consta-
terez tout de suite que ma connaissance de la langue français est loin dêtre
parfaite.
Je fais également partie de la première génération de francophones de la
Louisiane
qui ne parlent plus français et parce que jai appris le français comme
adolescent, je suis
devenu la dernière personne de ma génération parmi mes nombreux cousins et
mes nom-
breuses cousines qui parle encore la langue de nos aïeux. Lassimilation, je
la connais
très bien. Perdre sa langue et sa culture, je lai déjà vécu une fois et
je suis ici parce
que je ne veux pas que mes enfants et les enfants de mes enfants aient à vivre
ce même
phénomène.
Ma première visite au Québec fut en juin, 1980. La chose qui ma
impressionné le plus
lors de cette première visite, cétait laffichage en français que je
voyais partout. A
cause de cela, jai vite compris que le Québec était français et que javais
le droit de
parler français en tout lieu et en tout temps.
Nous nous sommes installés à Sherbrooke en juin, 1984 et nous sommes
restés dans la
région de cette ville jusquau mois de mai, 1991 quand nous avons quitté le
Québec pour
la ville de North Bay, Ontario pour y accepter une poste de travail. Avant de
partir pour
North Bay, les gens avec qui je travaillais mavaient assuré que cette ville
était bilingue et
quelle comptait parmi ses institutions scolaires plusieurs écoles
françaises de tous
les niveaux. Nous sommes retournés au Québec en juin de 1994 parce que mes
enfants
se trouvaient dans limpossibilité de garder leur langue là-bas, car même
aux écoles fran-
çaises tout le monde ne parlait quen anglais partout, malgré les efforts de
ladministra-
tion de promouvoir lusage du français.
Lors de notre retour au Québec, jai constaté que le français avait
perdu beaucoup de ter-
rain depuis notre départ en 1991 et cela surtout dans la région
métropolitaine. Je fus con-
vaincu que cet affaiblissement fut attribuable à ladoption de la loi 86,
alors je fus beau-
coup rassuré par lélection du Parti Québécois en 1994, ce dernier ayant
promis dans son
discours préélectoral dabroger cette loi infâme.
Nous voici dans lan 2000 et létat de notre langue est plus précaire
que jamais. Si la sur-
vie de la langue française au Québec et à Montréal dépend de lintégration
des nouveaux
Québécois à la société québécoise et francophone, il y a des changements
qui simposent
et ça presse.
Quand un immigrant arrive au Québec, le premier message quil recevra sera le
message
visuel transmis par laffichage commercial. Quand il se présente à la
pharmacie UniPrix,
un exemple parmi une foule dautres, le premier message quil verra, écrit
en lettres plus
foncées et bien plus visibles, cest «Season`s Greetings» ou «Happy Easter»,
selon la saison.
Le message en français est souvent perdu dans le décor de laffiche et à
cause de son
emplacement, le message en anglais et plus frappant. Quel est le message donné
par cet
affichage bilingue? Il y en a quelques uns.
(a) «Je ne suis pas obligé d`apprendre le français parce que le message
est là pour
moi en anglais.»
(b) «Le français seul nest ni suffisant ni apte à transmettre un
message. Cette langue
nest pas adéquate comme véhicule de communication. ça en prend une
autre.»
(c) «Vous avez votre petit dialecte de tribu en lettres plus grosses, mais
la vraie lan-
gue, celle qui compte, cest langlais qui se trouve en bas de laffiche.
(d) «Ici on parle les deux langues, je suis au Canada et je suis en
Amérique du Nord,
alors je choisis langlais.»
Il ne faut pas oublier que laffichage bilingue nest pas de laffichage
français, peut
importe la grosseur des caractères. Le pouvoir dattraction de la langue
anglaise rend im-
possible lexistence dune prédominance du français. Je voyage à
Montréal tous les jours
ouvrables. Chaque semaine je découvre de nouvel affichage bilingue, plus
souvent pré-
sent sur les véhicules de commerce. Dans la plupart des cas, la loi de 2 pour 1
nest nul-
ment respectée, cest de laffichage bilingue tout court. Cela ne devrait
pas continuer.
Je peux témoigner que dans ma vie quotidienne, il devient pour moi de plus
en plus dif-
ficile de vivre en français. Le français perd de place , bien sûr, à tous
les jours en ce qui
concerne le visage linguistique du Québec (cela se voit facilement à
Montréal), mais ce
phénomène nest que le reflet de la situation globale du français au
Québec. Ceux qui
prétendent que le français va bien sont dans lerreur.
Pour terminer, je voudrais dire que ce mémoire est offert comme témoignage
personnel
et non décrit de nature scientifique. ça vient beaucoup du coeur et
peut-être un peu
moins de la tête parce que pour moi, le français, cest une affaire du
coeur. Cest lhis-
toire de mon père et de ma mère et de leurs copains qui furent punis pour le
terrible
crime davoir parlé français à lécole en Louisiane. («I will not speak
French at school
or anywhere else» 100 copies). Cest lhistoire de ma grand-mère qui
parlait uniquement
le français et qui est morte trop tôt, de mes oncles et de mes tantes qui
riaient, qui
chantaient, qui pleuraient, qui jasaient, qui mangeaient du gumbo et des
écrevisses sur le
bord du bayou… tout en français. Cest mon héritage perdu et par la grâce
de Dieu,
retrouvé, héritage que je partage aujourdhui avec vous Québécois et
Québécoises.
Cest pour cela que je vous implore, du fond de mon être, de ne pas faire
la même erreur
que nous avons faite en Louisiane. Ne donnez pas votre âme en échange du grand
rêve
américain- rêve qui ne saurait jamais satisfaire parce quil cherche à
remplacer quelque
chose irremplaçable et précieuse, quelque chose qui vit encore parmi nous
aujourdhui
et qui continuera à vivre dans lavenir si vous vouliez seulement agir dès
maintenant
pour garantir un avenir en français à notre postérité. Je vous en remercie.
Merci beaucoup,
John L. Thévenot
Deux-Montagnes, Qc.
J.athev@videotron.ca
(Le 2 décembre 2000)