MONDIALISME
Eine Sprache, ein Volk, Hollywood!
Tandis que je sauce ma ringarde tartine dans mon café-crème, Télé-matin m’invite,
dans son intermède de réclames, à me convertir plutôt au "MacMorning".
Sur le chemin du bureau, les affiches de films américains m’imposent la parlure du
Potomac, puisque systématiquement les majors américaines exigent que leurs titres ne
soient pas traduits, afin de mieux acculturer les indigènes de leur empire.
Plus de la moitié des films de nos salles sont de leur fait, alors qu’avec un bon
avocat on peut gagner un procès en "cruauté mentale" à Los Angeles si un film
en V.O. française vient "heurter les sentiments" (hurt the feelings) de telle
dame W.A.S.P. mal embouchée et, comme nombre de ses compatriotes, atteinte de paranoïa
solipsiste.
C’est bien là le problème de fond : à la différence des empires mondiaux
précédents (français, espagnol, anglais), l’empire américain ne prétend pas être le
meilleur ni même le plus fort : il veut être SEUL. Insulaires issus d’insulaires
(l’Angleterre), les Etats-uniens (car les Canadiens, les Argentins sont américains eux
aussi) n’ont en fait jamais toléré l’existence d’autres critères (leurs fameux
standards) que les leurs : Indiens, Français, Hispaniques… tous ringards.
La culture " locale "
Récemment, j’ai entendu des touristes américains rentrant d’Eurodisney expliquer
qu’ils allaient faire halte à Notre-Dame de Paris parce que, après la culture mondiale,
il fallait bien voir un peu la culture "locale" (sic).Hugo "local", et
Disney mondial, bien sûr, même si Charles Perrault (dont les Etats-uniens ignorent tout)
est caché derrière!
De telles attitudes, comme celle de tel fonctionnaire anglo-saxon de l’O.C.D.E. me
demandant à Paris (mon travail conduisait à l’interroger) de "speak English",
autrement dit de "speak normal" (les Anglais du Canada disaient "speak
white" : parlez blanc!), de telles attitudes donnent envie de faire la guerre, pas de
coopérer. C’est que, dans l’esprit de ses zélateurs, le mondialisme signifie en clair
l’américanisme.
On dit mondialisation (americanization) comme on disait normalisation du temps de
l’empire soviétique.C’est insupportable.
On tend ainsi vers une aliénation de notre culture et de nos esprits, déjà très
visible chez nos enfants (les majors américaines savent où viser).On leur fait croire
(le mal est très profond déjà) que le monde virtuel et le monde réel ne font qu’un,
qu’un faux château neuf avec figurants vaut mieux qu’un vieux château vrai (donc
ringard), et a fortiori qu’une cathédrale millénaire où l’on prie dans la pénombre.
Ce mondialisme-là ne m’intéresse pas.Quel intérêt aurions-nous à avoir le numéro
un européen dans tel ou tel domaine "d’avant-garde" si mon village doit être
rayé de la carte et si ma langue doit périr?
Outil de défense
La langue : voilà justement l’enjeu et l’outil de défense.
C’est que nous ne disons pas les mêmes choses avec les mêmes mots : to control
(diriger) ne signifie pas contrôler (vérifier); liberty ne signifie pas liberté;
démocracy ne signifie pas démocratie. (Jacques Chirac l’a dit en ces termes à
Jérusalem.)
Nous avons, justement du fait de ces excès d’obscénités dans le triomphe apparent du
toc, des raisons d’espérer, confirmées à chaque réunion internationale où il m’arrive
de me rendre.
C’est que nous ne sommes pas seuls.
Il y a toujours, en Europe et en Amérique, un limes romain divisant, en gros, le monde
gréco-latin ou romanisé et le monde tudesque, qui se tournent le dos malgré toutes les
bonnes volontés.
Chaque fois qu’il m’arrive de faire entendre notre petite musique française, je suis
à peu près assuré de la solidarité des Espagnols, des Portugais, des Grecs, des
Latino-Américains, le plus souvent des Italiens.
Ceux-ci, cependant, semblent attendre que le Français de service – redoutable fardeau
historique – donne le signal de la mise au point et témoigne pour le sens premier des
choses, ose rappeler que Notre-Dame de Paris et le Parthénon sont premiers, et nos
langues romanes souveraines en leurs royaumes.
Au nord du limes, au contraire, en gros les pays scandinaves, germaniques et
anglo-saxons, et malgré les graves conflits récents, on se sent globalement solidaire
des Etats-uniens, des cousins dont le succès rejaillit sur la famille.Le tout-anglais
n’est pas perçu comme une aliénation chez les Danois ou les Néerlandais, plutôt
flattés d’être dans le même bateau que le grand frère, sans parler bien sûr des
Britanniques, fiers de leur rejeton (fût-il mal élevé).
Mais voilà : nous ne sommes pas de la famille, et assez heureux somme toute de relever
d’une autre souche. Ne la trahissons pas.
Appliquons aux Etats-Unis la réciproque de la doctrine Monroe (pas d’influence
européenne sur le Nouveau Monde).
Comme le chante Yves Duteil, la langue de chez nous elle aussi est mondiale, de même
qu’"Homère est plus vivant aujourd’hui que mon journal d’hier".
Seulement, rien n’est immortel, et si notre génération ne passe pas le relais, il
sera trop tard pour se plaindre dans dix ans…
Français, encore un effort pour être républicains! De cette République qui est la
norme pour nous, et dont, selon la Constitution, la langue est le français, langue
mondiale aussi depuis quelques siècles, véhicule aussi de la liberté.
André BELLOCQ
professeur,
ancien conseiller culturel en Asie
(Article publié dans le bulletin LETTRES de l’ASSELAF)
http://www.microtec.fr/~languefr/asselaf