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LIBÉRONS LA PAROLE

LIBéRONS LA PAROLE

Ce geste de la législature provinciale
du Québec constitue une profession de foi de cette chambre envers le Canada tel
qu’il est
.

  1. Entre 1966 et 1976,
    le Québec a connu une véritable effervescence de la parole qui a suscité
    un renouvellement politique et culturel. Ce fut un véritable réveil de
    l’expression sous toutes ses formes. L’appui à la souveraineté passa de
    quelques points de pourcentage et augmenta rapidement pour culminer avec
    l’élection du Parti Québécois.

  2. L’appauvrissement
    graduel du discours souverainiste depuis 20 ans, couplé à une gestion
    étroitement provinciale du Québec, c’est-à-dire sans les paroles et les
    gestes audacieux et inédits, propres à l’acte d’émancipation, n’est
    peut-être pas tout ce qui explique la démobilisation et l’indifférence de
    la population mais c’en est une cause majeure.

  3. Le vocabulaire
    propre aux pays libres employé au Québec et qui, il y a 35 ans, avait
    certes contribué à une prise de conscience collective pleine de vitalité,
    ne masque plus maintenant que la triste réalité d’un peuple désarmé et
    séparé plus que jamais des francophones du reste du Canada.

  4. Je donnerai deux
    exemples de ces mots devenus vides de sens : l’Assemblée Nationale, qui
    n’est en fait qu’une simple législature provinciale et l’état du Québec,
    qui n’est qu’une province comme les autres. Cessons de nous bercer
    d’illusions. La réalité strictement provinciale du Québec, notamment sous
    l’administration Bouchard, est l’aspect fondamental de notre vie politique.

  5. L’invalidation
    de larges pans de la loi 101 par la Cour Suprême du Canada, pour employer
    la formule connue, est une preuve éclatante que la francophonie
    québécoise n’est rien d’autre qu’une partie de la francophonie canadienne,
    minoritaire, non souveraine et dépendante. Il faut en prendre acte. C’est
    une belle vision de force que de définir les francophones comme
    majoritaires au Québec. Mais, être majoritaires et sans pouvoir, c’est
    simplement faire partie de la minorité canadienne, sans plus.

  6. Dans la perspective
    d’un Canada unitaire chère à Trudeau et à Chrétien, il y a dix provinces
    égales, et aucune province ne peut être traitée différemment des autres.
    Du point de vue du Canada centralisateur, il ne peut y avoir qu’une seule
    langue minoritaire officielle. Celle-ci se distribue un peu partout sur le
    territoire. Elle est plus concentrée dans l’est de l’Ontario, le nord-est
    du Nouveau-Brunswick et la province de Québec. Or, dans une partie du
    territoire canadien, la minorité cesse d’être soutenue et, au contraire,
    on subventionne la majorité, ce qui renforce sa force assimilatrice.

  7. Le seul
    séparatisme qui a réussi jusqu’à présent au Canada a été la
    séparation de la minorité francophone. Ce séparatisme qui a nui aux
    francophones du Canada a été obtenu par le fédéral en divisant la
    minorité en deux zones territoriales. Cette distinction permettait de
    briser la cohésion en appliquant des politiques et un traitement inégal de
    la minorité selon la zone territoriale.

  8. Un aspect qu’il
    faut souligner encore et encore chez Yves Michaud, c’est son attachement à
    la liberté d’expression. Est-ce par hasard que la condamnation unanime de
    l’Assemblée nationale vise l’auteur de "Paroles d’un homme
    libre", un ouvrage à peine sorti des presses ? Chose certaine, la
    lecture de l’ouvrage nous convainc que le titre est justifié par le contenu
    et nous oblige à considérer avec beaucoup de sévérité le geste
    d’exclusion posé par Québec à l’endroit de l’auteur.

  9. Il n’y a aucun
    mouvement social antisémite au Québec. Les donneurs de leçon sur
    l’holocauste qui sont venus à la rescousse des bouchardiens combattent un
    ennemi imaginaire. Ils élèvent un épouvantail pour ensuite l’abattre.
    Dans plusieurs cas, ils le font pour des motifs inavoués.

  10. Pour sortir
    l’artillerie lourde de l’holocauste contre M. Michaud (ce qui conduit
    malheureusement à la banalisation de cette catastrophe humaine), il faut
    interpréter les propos de Michaud de façon malveillante, lui faire un
    procès d’intention et déformer ses propos. Ce qui fut fait.

  11. Au Canada, c’est la
    minorité francophone qui est la plus régulièrement prise à partie et
    attaquée de façon méprisante, voire haineuse, dans la presse et ailleurs.
    Michaud a voulu défendre les droits de cette minorité en perte de vitesse,
    en perte d’influence et calomniée dans l’ensemble du Canada.

  12. Au Canada, les
    législatures provinciales ont joué un rôle historique considérable dans
    la négation des droits de la minorité. Ainsi, la législature provinciale
    de l’Ontario s’attaque-t-elle sans ménagement à l’existence du seul
    hôpital francophone de cette province. Dans le passé, plusieurs provinces
    canadiennes ont également adopté des lois interdisant l’enseignement du
    français, afin de réduire systématiquement le nombre et le poids
    politique des locuteurs de cette langue largement méprisée au Canada.

  13. Pour avoir
    courageusement pris parti pour cette minorité sans pouvoir, Michaud a été
    condamné sans appel par la Province de Québec. Cette législature
    provinciale, en adoptant la motion de blâme contre M. Michaud, s’inscrit de
    plain-pied dans cette tradition canadienne raciste et discriminatoire. Aucun
    individu, quelles que soient ses origines ethniques, son opinion politique
    ou son orientation sexuelle ou religieuse, n’aurait eu à subir le sort
    humiliant qu’on a imposé à M. Michaud.

  14. Ce geste de la
    législature provinciale du Québec constitue une profession de foi de cette
    chambre envers le Canada tel qu’il est. Calomniateur et méprisant de sa
    minorité francophone.

  15. Il faut constater
    maintenant que la stratégie de M. Bouchard est non seulement de refuser le
    combat de la souveraineté en usant de tous les expédients, mais de
    s’attaquer avec la dernière énergie à ceux qui souhaitent lutter. La
    langue de bois s’est épaissie depuis cinq ans, la parole coupée
    d’inspiration est devenue la norme chez les bouchardiens.

  16. Par son
    franc-parler, Yves Michaud fait trembler cet édifice décrépit où le
    discours convenu règne en maître. La solidarité parlementaire n’est que
    le prétexte d’une complicité malsaine qui finit d’appauvrir le discours
    politique. Les représentants élus se taisent, sauf pour ânonner la ligne
    du "cheuf". La parole est prisonnière. Oui, Michaud ratisse
    large, trop large pour le confort des carriéristes. On le hait parce qu’il
    ose défier la loi du silence, parce qu’il ose ouvrir à la discussion les
    tabous de l’establishment. On hait Michaud parce qu’il revitalise le
    discours politique et défend l’idéal démocratique.

  17. Le discours
    politique dominant subordonne les principes aux tactiques douteuses et au
    calcul mesquin. Au diable les principes, il faut sauver la face et ne dire
    que ce qui est considéré électoralement rentable. Le projet de
    souveraineté étouffe dans ce cadre électoraliste étroit.

  18. La reconquête de
    la parole est ce que nous pouvons souhaiter de mieux aux Québécois et aux
    Québécoises pour l’année 2001. J’étends ce souhait à tous les
    francophones et francophiles du Canada. C’est une condition indispensable à
    la relance de la bataille pour la souveraineté. Que l’année 2001 soit
    marquée par une réappropriation de la parole, une parole libre,
    imaginative et créative, ferment de la mobilisation et de l’enthousiasme
    indispensables pour mettre en échec les calomnies et le discrédit qui
    fusent contre les francophones d’un océan à l’autre, sauf là où ils sont
    malheureusement moribonds. Une parole qu’on ne saurait bâillonner avec les
    dictats de quelque législature provinciale.

Gilles Verrier
Gillesv@techneau.qc.ca

(Le 24 décembre 2000)


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