LIBéRONS LA PAROLE
Ce geste de la législature provinciale
du Québec constitue une profession de foi de cette chambre envers le Canada tel
qu’il est.
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Entre 1966 et 1976,
le Québec a connu une véritable effervescence de la parole qui a suscité
un renouvellement politique et culturel. Ce fut un véritable réveil de
l’expression sous toutes ses formes. L’appui à la souveraineté passa de
quelques points de pourcentage et augmenta rapidement pour culminer avec
l’élection du Parti Québécois.
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L’appauvrissement
graduel du discours souverainiste depuis 20 ans, couplé à une gestion
étroitement provinciale du Québec, c’est-à-dire sans les paroles et les
gestes audacieux et inédits, propres à l’acte d’émancipation, n’est
peut-être pas tout ce qui explique la démobilisation et l’indifférence de
la population mais c’en est une cause majeure.
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Le vocabulaire
propre aux pays libres employé au Québec et qui, il y a 35 ans, avait
certes contribué à une prise de conscience collective pleine de vitalité,
ne masque plus maintenant que la triste réalité d’un peuple désarmé et
séparé plus que jamais des francophones du reste du Canada.
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Je donnerai deux
exemples de ces mots devenus vides de sens : l’Assemblée Nationale, qui
n’est en fait qu’une simple législature provinciale et l’état du Québec,
qui n’est qu’une province comme les autres. Cessons de nous bercer
d’illusions. La réalité strictement provinciale du Québec, notamment sous
l’administration Bouchard, est l’aspect fondamental de notre vie politique.
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L’invalidation
de larges pans de la loi 101 par la Cour Suprême du Canada, pour employer
la formule connue, est une preuve éclatante que la francophonie
québécoise n’est rien d’autre qu’une partie de la francophonie canadienne,
minoritaire, non souveraine et dépendante. Il faut en prendre acte. C’est
une belle vision de force que de définir les francophones comme
majoritaires au Québec. Mais, être majoritaires et sans pouvoir, c’est
simplement faire partie de la minorité canadienne, sans plus.
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Dans la perspective
d’un Canada unitaire chère à Trudeau et à Chrétien, il y a dix provinces
égales, et aucune province ne peut être traitée différemment des autres.
Du point de vue du Canada centralisateur, il ne peut y avoir qu’une seule
langue minoritaire officielle. Celle-ci se distribue un peu partout sur le
territoire. Elle est plus concentrée dans l’est de l’Ontario, le nord-est
du Nouveau-Brunswick et la province de Québec. Or, dans une partie du
territoire canadien, la minorité cesse d’être soutenue et, au contraire,
on subventionne la majorité, ce qui renforce sa force assimilatrice.
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Le seul
séparatisme qui a réussi jusqu’à présent au Canada a été la
séparation de la minorité francophone. Ce séparatisme qui a nui aux
francophones du Canada a été obtenu par le fédéral en divisant la
minorité en deux zones territoriales. Cette distinction permettait de
briser la cohésion en appliquant des politiques et un traitement inégal de
la minorité selon la zone territoriale.
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Un aspect qu’il
faut souligner encore et encore chez Yves Michaud, c’est son attachement à
la liberté d’expression. Est-ce par hasard que la condamnation unanime de
l’Assemblée nationale vise l’auteur de "Paroles d’un homme
libre", un ouvrage à peine sorti des presses ? Chose certaine, la
lecture de l’ouvrage nous convainc que le titre est justifié par le contenu
et nous oblige à considérer avec beaucoup de sévérité le geste
d’exclusion posé par Québec à l’endroit de l’auteur.
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Il n’y a aucun
mouvement social antisémite au Québec. Les donneurs de leçon sur
l’holocauste qui sont venus à la rescousse des bouchardiens combattent un
ennemi imaginaire. Ils élèvent un épouvantail pour ensuite l’abattre.
Dans plusieurs cas, ils le font pour des motifs inavoués.
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Pour sortir
l’artillerie lourde de l’holocauste contre M. Michaud (ce qui conduit
malheureusement à la banalisation de cette catastrophe humaine), il faut
interpréter les propos de Michaud de façon malveillante, lui faire un
procès d’intention et déformer ses propos. Ce qui fut fait.
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Au Canada, c’est la
minorité francophone qui est la plus régulièrement prise à partie et
attaquée de façon méprisante, voire haineuse, dans la presse et ailleurs.
Michaud a voulu défendre les droits de cette minorité en perte de vitesse,
en perte d’influence et calomniée dans l’ensemble du Canada.
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Au Canada, les
législatures provinciales ont joué un rôle historique considérable dans
la négation des droits de la minorité. Ainsi, la législature provinciale
de l’Ontario s’attaque-t-elle sans ménagement à l’existence du seul
hôpital francophone de cette province. Dans le passé, plusieurs provinces
canadiennes ont également adopté des lois interdisant l’enseignement du
français, afin de réduire systématiquement le nombre et le poids
politique des locuteurs de cette langue largement méprisée au Canada.
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Pour avoir
courageusement pris parti pour cette minorité sans pouvoir, Michaud a été
condamné sans appel par la Province de Québec. Cette législature
provinciale, en adoptant la motion de blâme contre M. Michaud, s’inscrit de
plain-pied dans cette tradition canadienne raciste et discriminatoire. Aucun
individu, quelles que soient ses origines ethniques, son opinion politique
ou son orientation sexuelle ou religieuse, n’aurait eu à subir le sort
humiliant qu’on a imposé à M. Michaud.
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Ce geste de la
législature provinciale du Québec constitue une profession de foi de cette
chambre envers le Canada tel qu’il est. Calomniateur et méprisant de sa
minorité francophone.
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Il faut constater
maintenant que la stratégie de M. Bouchard est non seulement de refuser le
combat de la souveraineté en usant de tous les expédients, mais de
s’attaquer avec la dernière énergie à ceux qui souhaitent lutter. La
langue de bois s’est épaissie depuis cinq ans, la parole coupée
d’inspiration est devenue la norme chez les bouchardiens.
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Par son
franc-parler, Yves Michaud fait trembler cet édifice décrépit où le
discours convenu règne en maître. La solidarité parlementaire n’est que
le prétexte d’une complicité malsaine qui finit d’appauvrir le discours
politique. Les représentants élus se taisent, sauf pour ânonner la ligne
du "cheuf". La parole est prisonnière. Oui, Michaud ratisse
large, trop large pour le confort des carriéristes. On le hait parce qu’il
ose défier la loi du silence, parce qu’il ose ouvrir à la discussion les
tabous de l’establishment. On hait Michaud parce qu’il revitalise le
discours politique et défend l’idéal démocratique.
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Le discours
politique dominant subordonne les principes aux tactiques douteuses et au
calcul mesquin. Au diable les principes, il faut sauver la face et ne dire
que ce qui est considéré électoralement rentable. Le projet de
souveraineté étouffe dans ce cadre électoraliste étroit.
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La reconquête de
la parole est ce que nous pouvons souhaiter de mieux aux Québécois et aux
Québécoises pour l’année 2001. J’étends ce souhait à tous les
francophones et francophiles du Canada. C’est une condition indispensable à
la relance de la bataille pour la souveraineté. Que l’année 2001 soit
marquée par une réappropriation de la parole, une parole libre,
imaginative et créative, ferment de la mobilisation et de l’enthousiasme
indispensables pour mettre en échec les calomnies et le discrédit qui
fusent contre les francophones d’un océan à l’autre, sauf là où ils sont
malheureusement moribonds. Une parole qu’on ne saurait bâillonner avec les
dictats de quelque législature provinciale.
Gilles Verrier
Gillesv@techneau.qc.ca
(Le 24 décembre 2000)