LES ALLEMANDS SE BATTENT CONTRE L’UTILISATION CROISSANTS DE MOTS ANGLAIS DANS LEUR LANGUE.

DENGLISCH

Les Allemands se battent contre l’utilisation croissante de mots anglais dans leur langue.



TIME INTERNATIONAL

Lettre de l’Allemagne

Ursula Sautter

«AUCUNE ARME AUSSI PERNICIEUSE NE PEUT AFFECTER AUTANT UNE NATION», écrivait le philosophe allemand Emmanuel Kant il y a deux siècles, «que de lui enlever son caractère national, les idiosyncrasies de sa culture et de sa langue». Plusieurs compatriotes actuels de Kant sont d’accord et brandissent les armes contre le nombre grandissant de mots anglais insidieusement introduits dans leur langue maternelle : ils veulent Kinder plutôt que kids, Spab plutôt que fun, Unterhaltung plutôt que entertainment. Parmi ceux qui se battent pour la pureté de leur langue, il y a la Société de Dortmund pour la protection de la langue germanique (ou V.W.D.S., sigle du nom en allemand – Verein zur Wahrung der Deutschen Sprache). Fondée il y a moins d’un an, la V.W.D.S. a déjà plus de 3 000 membres, certains aussi jeunes que 11 ans, d’autres aussi âgés que 93 ans, faisant de cette société la plus importante de cette nature dans le pays. «La langue germanique se détériore en un dialecte barbare qui ne sera bientôt plus utilisable comme langue culturelle indépendante», rapporte le président de la société Walter Kramer, 49 ans, professeur de statistiques à l’Université de Dortmund. «Nous combattons cette sorte de singerie dans le langage.» Pour arrêter «l’utilisation abusive d’anglicismes et d’américanismes dans les cas où des équivalents allemands sont parfaitement utilisables», Kramer et sa société de chien de garde ont l’oeil sur les médias, les commerces, le sport et la publicité. Les compagnies tout comme les institutions publiques qui choisissent des slogans, des messages publicitaires et des noms de produits en anglais risquent d’apparaître dans la liste mensuelle ou annuelle des lauréats du «Prix pour adultère linguistique» (*l’équivalent du Prix coco et du Prix citron d’Impératif français). Menacé d’un tel sort, la compagnie Deutsche Telekom, qui envoyait des factures téléphoniques avec des catégories de tarifs «CityCall», «RegioCall» ou «GermanCall», a admis son erreur et a ajouté à la dernière minute les expressions allemandes équivalentes «Ortsund Nahverbindungen» , «Regional Verbindungen» et «National Fernverbindungen». La compagnie C & A, une importante chaîne de magasins de modes, n’appellera plus sa campagne de vêtements d’enfants pour le retour en classe «Back to School». à partir de 1999, elle utilisera une expression tout à fait germanique. «Nous voulons que notre publicité attire l’attention sur notre produit; nous ne voulons surtout pas insulter les gens» assure l’attaché de presse de C & A, Thorsten Rolfes. Crows Kramer ajoute : «L’utilisation de termes anglais dans la publicité des journaux et des magazines a considérablement diminué depuis que nous protestons».

Mais les protestataires, comme le président de V.W.D.S., ne sont pas les seuls à s’inquiéter du «Denglisch». Un récent sondage mené par l’Institut de la Langue Germanique de Manheim a démontré que plus du quart des adultes sont inquiets des modifications subites dans leur langue. Un autre 30% croit que les récents développements linguistiques sont inquiétants à cause, entre autres, de la quantité de mots anglais qu’on y retrouve. Un de ceux qui en ont assez de l’anglicisation de sa langue est Bengt Bischof, 28 ans, un étudiant en physique de Darmstdat. « L’utilisation d’anglicismes est proportionnelle à l’intention de rendre obscur le vide de ce qu’on veut dire », déclare Bischof. Pour supporter son point de vue, Bischof a conçu sa page Web – Heimsite, comme il la nomme – pour qu’elle ne contienne absolument aucun terme anglais.

Qu’est-ce qui attire tant les Allemands pour les anglicismes ? Le V.W.D.S. de Kramer croit que c’est «le complexe d’infériorité et la mollesse de l’épine dorsale» de plusieurs de ses concitoyens à l’endroit «de tout ce qui est germanique». Pour le professeur et ses militants linguistiques, l’«imitation injustifiée» de l’anglais est «une punition publique» pour les péchés passés des Allemands. Décontaminer une langue «en y ajoutant des mots utiles plutôt qu’en la contaminant sans justifications» est un geste qui indique un respect de soi et une certaine dignité».

Pour Rudolf Hoberg de la Société pour la langue germanique à Wiesbaden, le propos est plus simple. Il l’explique ainsi : «Les Allemands sont fascinés par les mots anglais parce qu’ils aiment leur caractère international».

Par opposition aux puristes linguistiques comme Kramer et Bishof, Hoberg, professeur de littérature germanique, accueille favorablement la prédominance de l’anglais dans le monde et l’ajout de mots anglais dans la langue germanique. «Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il y a une lingua franca pour l’ensemble du monde», déclare-t-il. «Il est vrai que le nombre de mots anglais a de plus en plus a augmenté dans notre langue, mais pourquoi cela pourrait-il nous nuire ? C’est un processus naturel et cela se produit dans toutes les langues. Ce sont les individus qui devraient être responsables des mots qu’ils utilisent, non quelque autorité extérieure», dit-il, et «personne ne devrait dire à quelqu’un d’employer tel mot plutôt que tel autre; les gens devraient décider par eux-mêmes».

Heureusement, l’Allemagne n’est pas prête à instituer un mécanisme gouvernemental de défense de la langue comme en France, où l’infâme Loi Toubon, adoptée en août 1994, interdit l’utilisation de mots étrangers dans la langue des communications publiques. «Traditionnellement, de dire Hoberg, nous, Allemands, avons toujours été très ouverts quand il s’agit de notre langue.»

Peut-être en est-il ainsi, et peut-être aussi y a-t-il trop de mots – aussi bien allemands qu’anglais – gaspillés à discuter sur le nombre exact d’anglicismes que la langue germanique peut se permettre d’emprunter. Qu’est-ce qu’un mot ? Ce que les Anglais appellent une rose est eine Rose en allemand, mais elle a la même bonne senteur.

Le 16 novembre 1998

Traduction libre de l’anglais par Michel Brabant
(Les caractères gras ne sont pas de l’auteur)
*Note du traducteur


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