LE CRTC : UN QUéBEC ANGLAIS DANS UN CANADA UNILINGUE ANGLAIS !
Un minimum de français pour un maximum d’anglais.
Nous aurons eu une année de la francophonie plutôt mouvementée, une
autre mascarade ! Cette année se termine par un projet de politique du régulateur
fédéral des ondes sur la diffusion de chaînes spécialisées qui n’améliorera pas
le sort du français au Canada, mais l’aggravera.
Mise en situation
Selon l’article 3(1)k) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), « une
gamme de services de radiodiffusion en français et en anglais doit être progressivement
offerte à tous les Canadiens, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens. »
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du
Canada (le CRTC) avait proposé, dans son avis public 1999-74, de définir des
marchés bilingues en régions majoritairement anglophones où les francophones
constituent une minorité importante pour accroître la présence des chaînes
spécialisées en français sur le câble. Ce projet de politique donnait de l’espoir
aux communautés francophones, en particulier celles vivant à l’extérieur du
Québec, qui réclamaient plus de services télévisuels dans leur langue.
Le repli du CRTC
Le CRTC a cédé aux pressions d’une soixantaine de lettres
haineuses écrites à l’invitation d’une annonce publiée dans un bulletin
d’un groupe antifrancophone et aux objections de l’Association canadienne de
la télévision par câble et de l’omnipotent Rogers Cablesystems qui,
selon un article de Glen McGregor paru dans le quotidien The Citizen le 28 novembre
1998, aurait contribué aux caisses électorales de plusieurs députés dont John Manley,
Don Boudria, Eugène Bellemare, Denis Coderre et de la ministre du Patrimoine canadien
Sheila Copps, pour n’en nommer que quelques-uns.
Les services télévisuels en français et les moyens sont pourtant
disponibles depuis longtemps sauf que le CRTC refusait récemment d’agir invoquant
comme motif de son inaction que « les observations reçues n’ont pas fait consensus
quant à la définition possible d’un marché bilingue. » N’ayant pas
trouvé le courage d’imposer des règles qui auraient accru la présence des chaînes
de langue française dans les systèmes analogiques de câblodistribution (systèmes
conventionnels) surtout à l’extérieur du Québec, le CRTC s’est réfugié en
mars dernier derrière un autre projet de politique, celui-là visant la distribution
numérique, une technologie qui pourrait permettre la diffusion d’un éventail
d’au-delà de 400 canaux sur le câble.
Le CRTC renonce à reconnaître l’existence de marchés bilingues
au Canada puisqu’une telle décision aurait eu pour effet d’obliger les
câblodistributeurs du Canada anglais diffusant en mode analogique à offrir un plus grand
choix de services télévisuels en langue française. Ce repli du CRTC rend
l’organisme complice de l’anglicisation et de l’américanisation des ondes
télévisuelles canadiennes.
Les câblodistributeurs des zones majoritairement anglophones pourront
ainsi continuer de diffuser impunément en priorité les stations étrangères
étasuniennes au détriment des stations canadiennes de langue française… parce que ces
dernières sont de langue française !
Une autre conséquence de ce repli est que le CRTC se trouve à
consacrer la discrimination de l’article 18 de son Règlement sur la distribution
de la radiodiffusion (RDR) qui fait de tous les non-francophones des anglophones. Ce
paragraphe signifie, par exemple, que le marché de Montréal deviendrait bientôt un
marché anglophone aux fins de la câblodistribution avec tous les effets anglicisants que
cela pourrait avoir, entre autres, sur les services télévisuels.
Le prix de consolation du CRTC
Le CRTC n’a pris aucune décision pour faire suite aux
commentaires de l’Avis 1999-74 mais a décidé plutôt de camoufler son inaction en
se tournant vers la câblodistribution numérique (un nouvel Avis public : 2000-38).
Ce qui apparaît évident dans l’Avis public 2000-38 est que le
CRTC exclut non seulement les entreprises de câblodistribution en mode analogique des
nouvelles exigences en matière de diffusion de stations de langue française, mais il
exclut aussi les petits systèmes de câblodistribution de moins de 2000 abonnés. Or,
plusieurs de ces petits câblodistributeurs ne diffusent aucune station de langue
française. C’est le cas partout au Canada et même dans le Grand Nord québécois!
Cela ne semble pas déranger outre mesure le régulateur fédéral de la
câblodistribution.
Langue officielle de la minorité
Dans l’Avis public 2000-38, le CRTC dit vouloir profiter de la
technologie numérique pour offrir une distribution élargie donnant « accès aux
abonnés du câble de tout le pays à un nombre minimal de services spécialisés dans la
langue officielle de la minorité. »
En passant, on remarquera ici que la démarche du CRTC repose encore
une fois sur l’invention d’une minorité de langue anglaise à protéger en
Amérique du Nord et au Canada pour, à l’instar d’autres institutions
fédérales, appuyer au Québec la langue canadienne officielle vastement majoritaire, la
langue anglaise, et conséquemment l’anglicisation du Québec.
Pire encore ! Dans l’avis public susmentionné, lorsque le CRTC
parle de la langue officielle de la minorité, il ne réfère pas à la langue maternelle
des abonnés mais bien à la connaissance de la langue officielle minoritaire. La
politique s’appliquerait aux marchés « où le nombre de personnes qui
connaissent la langue officielle de la minorité est d’au moins 5 000, ou 10 % de la
population totale du marché». Or, partout au Québec, au moins 10% de la population
comprend l’anglais. Une telle politique aurait donc pour effet des créer des zones
de desserte bilingues partout au Québec et unilingues anglaises en grande partie à
l’extérieur du Québec.
Un nombre minimal
à l’alinéa 14 du texte de projet du CRTC, il est écrit que tout
câblodistributeur visé « serait tenu de distribuer un nombre minimal
de services spécialisés autorisés, dans la langue officielle de la minorité.»
Plus précisément, « une entreprise devrait distribuer au moins un
service spécialisé dans la langue officielle de la minorité (l’anglais au
Québec !), pour 10 services de programmation (canadiens et non canadiens) distribués
dans la langue officielle de la majorité. » Rien à ajouter; tout est dit : un
nombre minimal. La porte serait ainsi grande ouverte à une ruée vers
l’anglicisation plus systématique du principal foyer francophone en Amérique, le
Québec, grâce à la technologie numérique avec l’appui tacite du gouvernement
canadien et du CRTC.
Vidéotron pourrait bientôt accepter l’offre de
l’ontarienne Rogers Communications; Shaw Communications de
l’Alberta voudrait, de son côté, s’emparer de la trifluvienne Cogéco cette
année. Concrètement, au Québec, cela signifierait que la distribution du plus grand
nombre possible de stations télévisuelles de langue anglaise, canadiennes et
étatsuniennes, serait garantie, alors qu’il n’y a qu’une trentaine de
stations en langue française ! Dans un avenir pas si éloigné, les Québécois
pourraient eux-mêmes devoir invoquer la clause « une pour dix » afin de
s’assurer d’une présence minimale de stations télévisuelles de langue
française !
Ce même CRTC impose aux câblodistributeurs canadiens que « la
majorité des canaux vidéo et la majorité des canaux sonores reçus par l’abonné soient
consacrés à la distribution de services de programmation canadiens », mais il
choisit de pas imposer de règle analogue afin de s’assurer qu’au Québec
l’espace télévisuel de langue française soit aussi majoritaire !
La contrepartie hors Québec :
Connaissant la mentalité d’exclusion déjà largement répandue
au Canada anglais, il est facile de comprendre que l’expression « un nombre
minimal » voudra dire le moins possible de stations spécialisées en langue
française lesquelles, de surcroît, seront sûrement difficiles d’accès !
Pour être encore plus certain que l’obligation de diffuser «
un service spécialisé dans la langue officielle de la minorité, pour 10 services
de programmation (canadiens et non canadiens) distribués dans la langue de la majorité
» n’importunera pas trop les câblodistributeurs en régions majoritairement
anglophones, le CRTC impose les contraintes limitatives suivantes : « les exigences du
projet de politique s’appliqueraient à la titulaire d’une entreprise de distribution par
câble de classe 1 ou de classe 2 qui distribue des services de programmation à ses
abonnés en mode numérique; et dont la zone de desserte
autorisée se trouve dans un marché où le nombre de personnes qui connaissent la langue
officielle de la minorité est d’au moins 5 000, ou 10 % de la population totale du
marché». Or, à l’extérieur du Québec, peu de marchés répondent à
l’un ou l’autre de ces critères. Connaissant le taux d’unilinguisme
anglais des Canadiens anglais hors Québec (93%), cela vient tout dire !
Cela donne étrangement l’impression que le CRTC se fait dicter
ses politiques par le câblodistributeurs avant de les rédiger !
à suivre de près
Après avoir abandonné son projet de créer des marchés bilingues au
Canada dans lesquels les câblodistributeurs du Canada anglais auraient été tenus de
diffuser un plus grand nombre de stations télévisuelles de langue française, le CRTC se
proposait dernièrement d’utiliser l’avènement de la technologie numérique
pour hâter l’anglicisation et l’américanisation des ondes télévisuelles
canadiennes sans même obliger, en contrepartie, les entreprises de câblodistribution des
zones majoritairement anglophones du Canada à diffuser toutes les stations canadiennes de
langue française.
Le minimum de français pour un maximum d’anglais. N’est-ce
pas là le sort que le Canada et ses institutions ont toujours fait vivre à la langue
française et aux francophones ?
Suite à des pressions de diverses sources, le CRTC a dû «
reporter à plus tard » sa consultation publique (Avis public 2000-38-1) relativement
aux services télévisuels spécialisés. Attention ! Il ne fait que la reporter à plus
tard ! De son côté, le 6 avril dernier, la ministre du Patrimoine canadien, Sheila
Copps, demandait au « CRTC d’évaluer l’état de santé des services de
radiodiffusion en langue française… »
Il faudra suivre tout ce dossier très attentivement afin de
s’assurer que le gouvernement canadien, épaulé du CRTC, n’utilise pas cette «évaluation
de l’état de santé des services de radiodiffusion en langue française…»
pour trouver d’autres moyens plus astucieux de permettre aux abonnés du câble de
tout le pays d’accéder au plus grand nombre possible de stations de langue anglaise,
tout en subissant le plus petit nombre possible de stations de langue française; de
favoriser la diffusion des stations télévisuelles étrangères au détriment des
stations canadiennes de langue française. Bref, de décréter à sa façon,
c’est-à-dire par ses entourloupettes, que le Canada est un pays de langue
anglaise… qui s’accommode tant bien que mal de son obligation d’offrir
quelques services télévisuels de langue française.
La présidente du CRTC, madame Françoise Bertrand, comparaîtra devant
le Comité mixte canadien sur les langues officielles le mardi 9 mai prochain.
Jean-Paul Perreault
Président
Impératif français
Recherche et communications
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