LE CHEVAL DE TROIE DES «MUNICIPALITIES»
Et il ne faudrait rien faire, au nom de la «paix sociale»?
Le texte suivant de Michel Vastel extrait du Droit du 19 mai 2000 interpelle la
complaisance du gouvernement québécois dans le dossier linguistique.
Pourquoi Otterburn Park, avec ses 10,8 %
d’anglophones, Rosemère, avec ses 19,1 %
d’anglophones, Mount-Royal avec ses 29,5 %
d’anglophones, sont-elles toutes des villes
bilingues? Et combien des 91 municipalités du
Québec officiellement bilingues ont-elles de
résidants de langue maternelle anglaise?
Louise Beaudoin aime mieux ne pas le savoir.
L’Office de la langue française n’a pas le droit
de s’en inquiéter. à croire que le bon docteur
Laurin a voulu enchâsser le bilinguisme au
Québec!
Michel Vastel, Le Droit
La ministre des Affaires municipales a ouvert une belle
boîte de Pandore avec son Livre blanc sur la
réorganisation municipale. Voilà qu’on remet les
pendules démo-linguistiques à l’heure. «Annexant» tout
ce qui n’est pas de langue maternelle française, les
Anglo-Québécois avaient réussi à créer le mythe d’une
minorité plus importante que la minorité française du
reste du Canada. Jouissant de droits acquis en plus!
Ainsi, on a fini par évoquer, comme une certitude
statistique, «le million d’anglophones du Québec». Ils
sont effectivement 586 435 alors que, dans le reste du
Canada, il «reste» 936 510 citoyens de langue
maternelle française. René Lévesque avait lancé l’idée
d’une forme de «réciprocité» dans le traitement des
minorités de langues officielles au Canada et au
Québec. «Les Québécois n’en sont pas là», me disait la
ministre responsable de la Charte de la langue française
hier. Mais elle ajouta aussitôt, d’un même soupir: «je
veux que la dimension canadienne apparaisse aux états
généraux.» La fusion des municipalités a soulevé une
tempête en Ontario alors qu’Ottawa, capitale
«nationale» et néanmoins anglaise, a avalé de plus
petites villes bilingues, voire carrément francophones
comme Vanier. Voilà que la même question se pose au
Québec mais, comme toujours, on la traitera
différemment. «Town of Mount Royal» ne compte plus
que 29,5 % d’anglophones, contre 55 % au
recensement de 1976. Contrairement aux
Franco-Ontariens, ces anglophones de Mont-Royal
jouiraient de «droits acquis». En vertu de quoi?
Sûrement pas de la Constitution, qui n’en dit mot, et
que toutes les autres provinces du Canada respectent à
la lettre en ne reconnaissant aucun droit à leur minorité
française, même «là où le nombre le justifierait».
La ministre responsable de la Charte de la langue
française dit que la loi 101 est mal écrite. Il y aura
bientôt un quart de siècle, on a accordé le statut de ville
bilingue aux municipalités et villes qui doivent fournir des
services «à des personnes en majorité d’une langue
autre que française.» Et depuis 1993 – autre effet
pervers de la loi 86 – l’Office de la langue française n’a
plus le droit de réviser le statut de ces villes, à moins
qu’elles n’en fassent elles-mêmes la demande.
Le vice caché de la loi 101 est ainsi d’avoir encouragé
l’assimilation des allophones à la minorité anglaise en
permettant l’addition des anglophones et des allophones
pour statuer sur le caractère bilingue des villes. C’est
ainsi que Rosemère a obtenu son statut de ville bilingue
alors qu’il n’y avait, en 1976, que 44,8 % d’anglophones,
4,3 % d’allophones et 48,9 % de francophones.
Le quart de siècle qui a passé depuis le recensement
de 1976 sur lequel les décisions de l’Office avaient été
basées a profondément modifié la composition
linguistique des villes. Pierrefonds, anglophone à 55,4 %
en 1976, ne l’est plus qu’à 36,9 % mais la ville compte
encore 22 % d’allophones. Les francophones, 37 %, y
sont minoritaires, ce qui justifie la bilinguisation de leur
ville! à Ville Mont-Royal, les 29,5 % d’anglophones ont
annexé les 27 % d’allophones pour minoriser les 40,1 %
de francophones qui forment pourtant le plus gros
groupe linguistique.
L’an dernier, l’Office de la langue française a remis à jour
la composition démo-linguistique des 91 municipalités
auxquelles elle avait accordé un statut «bilingue». On
sait que six des 13 villes «bilingues» de l’Île de Montréal
ne sont pas majoritairement anglaises. Il ne serait pas
surprenant qu’on découvre que le même phénomène de
«minorisation» des anglophones (sic!) s’est produit à
l’échelle de la province. Après la bataille de Rosemère,
de quoi a-t-on peur?
Il ne s’agit pas de refuser des services dans leur langue
à la minorité anglaise, ni aux citoyens d’autres langues
lorsque leur nombre le justifie. Ainsi Montréal, sans
qu’elle en ait l’obligation, distribue des informations dans
plusieurs langues dans des quartiers comme
Côte-des-Neiges ou Park Extension. Fournit-on des
services en arabe à Hamstead?
Mais c’est à la fois la Charte de la langue française et la
loi 86 qu’il faudrait modifier. Tout un contrat pour Louise
Beaudoin qui trouve qu’elle «brasse déjà pas mal la
cage»! Mais pourquoi les Québécois continueraient-ils à
se conduire comme une «minorité» chez eux? Il ne
manque pas de raisons, madame la ministre…
Les Anglo-Québécois ont décidé de parler par la bouche
de Bill Johnson. L’avocat Brent Tyler n’a de cesse de
contester, jusqu’en Cour suprême et avec l’argent
d’Ottawa, c’est-à-dire le nôtre, les mesures relatives à la
langue d’affichage, puis l’accès à l’école anglaise, puis
la langue de travail. Et puis, notre capitale nationale est
devenue une ville officiellement unilingue anglaise.
Après que les Cours de justice aient ouvert toutes
sortes de brèches dans la loi 101, voilà qu’on lui
découvre des trous. Et il ne faudrait rien faire, au nom
de la «paix sociale»? Mais la paix sociale, la minorité
anglaise l’a rompue depuis le référendum d’octobre
1995. Alors, un peu plus de «brassage», au point où on
en est…
(Texte extrait du journal LeDroit du 19 mai 2000)