Et la langue de travail, monsieur Larose ?
par Charles Castonguay
[Texte paru dans l’aut’
journal, numéro 193, octobre 2000,
et dans L’Action nationale, volume XC,
numéro 9, novembre 2000]
Les états généraux sur la langue nous renseigneront-ils sur la
situation actuelle du français dans le monde du travail ? L’équipe de Gérald Larose
sera-t-elle en mesure de vraiment faire le point sur les tendances touchant l’usage du français comme langue de
travail à Montréal au cours des années 1980 et 1990 ? Ce n’est pas sûr.
Pourtant, à l’époque des grandes commissions d’enquête sur la langue, la Commission BB puis la Commission Gendron, et
même Robert Bourassa avec sa loi 22, avaient parfaitement pigé l’importance primordiale de la
langue de travail aussi bien pour le mieux-être économique des francophones que pour l’avenir du français. Maîtres chez
nous, Québec français, même combat.
On s’attaquait alors de front à la vision du monde formulée plus tôt par lord
Durham : « Much as they [les Canadiens français] struggle against
it, it is obvious that the process of assimilation to English habits is already
commencing. The English language is gaining ground, as the language of the rich and of the
employers of labour naturally will. » En particulier, il fallait désormais faire
jouer au profit du français le puissant effet d’entraînement de la langue de travail sur la langue d’assimilation des immigrants
allophones à Montréal.
L’ambitieux
projet de franciser les milieux de travail a d’abord marqué des points au cours des années 1970. Comparés aux
informations recueillies en 1971 pour la Commission Gendron, les résultats d’une enquête du Conseil de la
langue française (CLF) en 1979 montraient des progrès substantiels du français comme
langue de travail dans la région métropolitaine de Montréal, tant chez les travailleurs
francophones que chez les anglophones et les allophones. Une partie de ce succès initial
s’explique par des
interventions réelles en milieu de travail, notamment dans les entreprises de 50
employés ou plus. Une partie s’explique aussi par défaut, c’est-à-dire par une importante migration d’anglophones de Montréal vers
Toronto et le reste du Canada.
Au travail le français plafonne
Le mouvement s’est ensuite enlisé au cours des années 1980. Une enquête menée par le
CLF en 1989 montrait que depuis celle de 1979, l’usage du français n’avait pas progressé à Montréal parmi les travailleurs francophones. Son
usage par les travailleurs anglophones et allophones marquait encore des points durant les
années 1980, mais à un degré moindre qu’au cours des années 1970.
On ne peut pas dire que les Québécois ont été adéquatement
informés de cet essoufflement de la francisation dans le monde du travail. On se
rappellera que la ministre Beaudoin avait créé en 1995 un comité gouvernemental ayant
pour but de faire le point sur la situation du français au Québec. L’appareil gouvernemental a
accouché d’un bilan
qui situe pour l’essentiel
entre 1971 et 1989 le progrès du français au travail, et gomme la distinction entre le
progrès marqué des années 1970 et le surplace relatif des années 1980.
Comment se fait-il que le CLF n’a pas cru bon de saisir l’opinion publique de cet aspect inquiétant de la situation du français à
Montréal ? Pourquoi l’appareil gouvernemental a-t-il présenté, en cette matière comme dans l’ensemble de son bilan, un tableau
vaguement rassurant, du genre « le-français-a-fait-du-progrès-mais-il-reste-du-chemin-à-faire » ?
Pourquoi le gouvernement et le CLF se sont-ils ensuite lancés tête baissée à la
poursuite d’un
faux-fuyant, leur chimérique indicateur de langue d’usage public, au lieu de mettre adéquatement à jour nos connaissances sur
la langue de travail à Montréal, notamment sur son évolution durant les années
1990 ? Pourquoi a-t-on laissé filer ainsi le temps ?
Dissimuler l’état du français est devenu une condition gagnante !
Parce qu’il ne fallait pas « réveiller les vieux démons ». Plus
précisément, comme le père de la loi 101 lui-même nous l’a patiemment expliqué à l’époque sur les ondes de
Radio-Canada, il ne fallait pas insister pour raffermir davantage la loi 101 car,
autrement, les anglophones crieraient au martyre, ce qui ameuterait à son tour l’opinion internationale contre le
Québec et, finalement, compromettrait la reconnaissance éventuelle d’un éventuel petit oui à un
éventuel troisième référendum.
à force de finasser de la sorte, on finit avec un monde à l’envers. Dissimuler l’état du français à Montréal
fait maintenant partie des conditions gagnantes ! « Maîtres-chez-nous »
et « Québec-français » n’avancent plus du même pas, bras-dessus bras-dessous.
Voilà pourquoi un CLF trop à la remorque du gouvernement a concocté
un indicateur biaisé de langue d’usage public qui a si bien fait paraître la situation du français que The
Gazette et Alliance Québec en sont morts de rire. L’avocat Brent Tyler se vante fort
de pouvoir maintenant se servir du rapport du CLF sur la langue d’usage public pour plaider devant
les tribunaux la fin des restrictions touchant l’accès à l’école anglaise.
Quel manque de jugement ! Quel gâchis ! Le gouvernement
Bouchard, la ministre Beaudoin, le CLF, tous censés veiller sur le français au Québec,
se sont tiré dans le pied ! Des têtes tomberont-elles ? Que non ! Même
qu’on reconduit pour
un autre mandat de cinq ans la présidente du CLF, qui a l’insigne mérite d’avoir été vice-présidente du
PQ.
La fumisterie sur la langue d’usage public nous a fait perdre un temps précieux
La chose est d’autant plus difficile à avaler, pour qui a à cœur l’avenir du français et du Québec,
qu’on peut trouver
parmi le fouillis de résultats consignés dans le rapport sur la langue d’usage public certaines données
qui suggèrent un recul de la position du français dans le monde du travail à Montréal
au cours des années 1990. Serait-ce pour cette raison que la ministre a depuis commandé
au CLF de se pencher maintenant sur la langue de travail ? Toujours est-il que la
fumisterie sur la langue d’usage public nous a fait perdre de précieuses années en désinformation et
tergiversations de tout genre.
Le temps perdu va demeurer tel. Gérald Larose pourra-t-il nous donner
l’heure juste sur les
tendances touchant la situation du français comme langue de travail à Montréal ? C’est à suivre.
Quoi qu’il en soit, ce sont surtout des francophones qui votent oui. Et l’opération langue d’usage public n’a pas empêché les anglophones de
grimper dans les rideaux, loin de là ! Ne vaudrait-il pas mieux viser une
information transparente et complète sur la situation linguistique ? Cela
préparerait un oui plus retentissant et d’emblée plus convaincant aux yeux des observateurs internationaux.
« Maîtres-chez-nous » et « Québec-français »
reprendraient alors leur marche, main dans la main.