Bilinguisme et lip services
(Le texte suivant est extrait du journal LeDroit)
Si vous voulez accéder à la liste des
ministères et institutions du gouvernement du
Canada par Internet, vous devez passer par la
Home page anglaise. Et si vous dormez dans
un grand hôtel de Toronto ou de Vancouver,
vous ne serez guère mieux servi qu’à New York
ou à Londres: une seule chaîne de télévision
française dans un océan anglais et quelques
îlots multilingues ou amérindiens. Bonjour la
dualité!
Michel Vastel, Le Droit
La campagne électorale du mois dernier m’a amené
dans huit provinces et autant de capitales sans compter
les détours par quelques endroits exotiques comme
Woodstock, Stratford ou Kamloops.
N’eût été des quelques phrases en français prononcées
par les chefs politiques que j’accompagnais, je ne me
serais certainement pas cru au Canada.
Il n’y a qu’au Québec où la dualité linguistique se
traduise par une présence majoritaire de la langue
minoritaire: 60 % de canaux de langue anglaise chez
Vidéotron qui se présente néanmoins comme «le
meilleur choix de télé à la carte en français»!
Ailleurs au Canada «anglais», ce n’est même pas 1 %
de postes en français puisque le seul réseau qui
échappe à l’unilinguisme imposé par les distributeurs
est celui de Radio Canada.
TV5, pour lesquels les gouvernements du Canada et du
Québec versent de généreuses subventions: disparu au
profit de quelque canal communautaire en chinois ou en
farsi. TVA, à qui le CRTC accordait en 1999 un statut de
«réseau national à distribution obligatoire dans
l’ensemble du Canada»: oubliez ça!
Rendu à ce stade, vous ne cherchez même plus les
réseaux de l’information RDI ni LCN. Par contre, vous ne
manquerez jamais le nouveau canal réservé aux peuples
autochtones.
Un visiteur européen ou africain qui passerait par le
Canada aurait ainsi l’image du pays réel: unilingue
anglophone partout sauf dans ces petites enclaves
scrupuleusement bilingues que sont le Québec et
l’Acadie.
Le comble de l’insulte, pour le sénateur Jean-Robert
Gauthier en particulier, fut de voir le CRTC autoriser la
diffusion au Québec de la chaîne publique anglaise de
l’Ontario, TVO, mais de refuser la diffusion de la chaîne
française TFO, sous prétexte que les Québécois ont
déjà accès à beaucoup de chaînes spécialisées, y
compris la chaîne éducative Télé-Québec.
On en entendra encore parler puisque le sénateur, dont
l’appel a été débouté en Cour fédérale, a décidé de
porter sa cause devant la Cour suprême.
à l’heure de la mondialisation, plaide-t-il, «pourquoi le
CRTC érige-t-il des barrières au libre-échange entre les
communautés de langues officielles?» Bonne question
en effet…
Sur ordre du Conseil des ministres, le CRTC se penche
actuellement sur cette question de «la disponibilité et
de la qualité des services de radiodiffusion de langue
française dans les communautés de minorités
francophones du Canada.» Le CRTC doit soumettre un
avis, d’ici le 12 février 2001, sur les moyens
«d’encourager et de favoriser l’accès au plus large
éventail possible de services en langue française.» à
noter que l’ordre du Conseil des ministres ne s’inquiète
que de la disponibilité des services en français. Rien sur
les services en anglais au Québec, ce qui est tout de
même surprenant pour un gouvernement chatouilleux
sur le principe de la dualité.
Implicitement, le gouvernement du Canada reconnaît
donc le déséquilibre dans le traitement des minorités de
langues officielles au Canada. La Montreal Gazette n’a
pas dû la voir passer, celle-là!
Quant au réseau Internet, il pose des problèmes encore
plus sérieux, soulevés d’ailleurs par la nouvelle
Commissaire aux langues officielles, Dyane Adam.
«Le déploiement principalement en anglais d’Internet
fragilise la dualité canadienne», dit-elle dans son
premier rapport au Parlement.
Sur le portail du Canada, confié à la responsabilité du
ministre Alfonso Gagliano, il est évident que tout est
conçu par et pour des anglophones.
Cette fois, il ne s’agit plus de l’image que le Canada se
donne dans les chambres d’hôtel réservées aux visiteurs
étrangers, c’est l’image du Canada dans l’univers
cybernétique: une image fidèle à lui-même, anglaise,
parfois ponctuée de quelques lip services à un
bilinguisme de façade.
On me dit que l’avis du CRTC dépassera la question de
la disponibilité des services en français dans l’espace
radiophonique et télévisuel.
Les médias privés s’organisent actuellement autour de
grandes convergences – CanWest – Global – National
Post, Sympathico – CTV – Globe & Mail , sans parler de
l’envahissement des Time Warner – d’où les médias
francophones sont généralement absents.
Dyane Adam lance donc un avertissement: «La venue
d’Internet et celle des nouvelles technologies de
l’information et de la communication transforment le
paysage télévisuel, celui de l’information et celui de
l’industrie du divertissement.» Et elle constate,
diplomatiquement, que «malgré leurs retombées
positives, ces nouveaux outils mettent en jeu la vitalité
de la dualité linguistique canadienne.» Mme Adam n’ose
pas le dire, mais c’est le gouvernement libéral de Jean
Chrétien et son CRTC qui, par sept années
d’indifférence, ont ainsi consacré le déclin de la dualité
canadienne.
Faut-il rappeler que l’ancien premier ministre, Brian
Mulroney, sur un simple coup de téléphone, avait obligé
Rogers Cablevision à diffuser la chaîne internationale de
langue française, TV5, dans la région de la capitale
nationale. Il n’avait pas peur d’exercer son leadership,
lui…