Quel est le rapport? me direz-vous. Il est simple : le Speak White, cette semonce authentiquement britanno canadienne, incarne avec justesse la conduite de l’Empire britannique et de ses héritiers anglo-canadiens depuis la Conquête jusqu’à nos jours en terre d’Amérique. Une conduite que Lionel Groulx et Bernard Landry ont combattue, chacun à sa façon. Pour cette seule raison – et il y en a bien d’autres – tous deux méritent une bonne place dans la toponymie montréalaise.
Contrairement à la croyance populaire, Speak White n’a rien à voir avec les gens d’origine africaine, ni avec l’esclavage aux États-Unis. La semonce visait d’abord les « Indiens ». La première occurrence écrite, selon le Dictionary of Canadianisms on Historical Principles (W. J. Gage Ltd., 1967), remonte à 1909 dans l’Ouest canadien. On leur disait de ne pas « talk Injun » mais de « Speak White ». Selon un article de 1964 dans le Globe & Mail, cité dans le même dictionnaire, « Every English Canadian… who says « speak white” to a French compatriot is equally totalitarian and Fascist
Bref, peu après la pendaison de Louis Riel le 16 novembre 1885 et de huit alliés cris 11 jours plus tard, l’expression Speak White s’est répandue chez les nouveaux maîtres du territoire et visait à sommer les Autochtones, les Métis et les Canadiens français à se mettre à l’anglais. D’ailleurs, on dit que des Canadiens français et des Québécois continuent à se le faire dire en 2020.
Lionel Groulx était historien. De lui, on peut retenir surtout qu’il a réussi à défaire l’idée, très courante jusqu’au milieu du XXe siècle, selon laquelle la Conquête a été une bénédiction pour les « Canadiens », devenus plus tard « Canadiens français ». Aussi, il a contribué énormément à donner des lettres de noblesse à l’histoire québécoise et canadienne-française, alors que, suite à la répression brutale des Patriotes en 1837-38 par les troupes britanniques sous la Reine Victoria – la « deuxième conquête » selon l’expression juste de Lionel Groulx – le représentant de la Couronne, Lord Durham, écrivait qu’ils étaient « un peuple sans histoire ni littérature ».
Grâce notamment aux travaux de Groulx, le français a fini par se retrouver sur la toponymie québécoise alors que l’Empire britannique a tout fait pour l’effacer. À Montréal, en particulier, redonner à Montréal une toponymie française a été un combat épique. En voici quelques exemples : donner le nom de Jacques Cartier au nouveau pont construit en 1934 a nécessité 4 ans de combat; idem pour donner le nom du Patriote De Lorimier en 1883 sur la rue qui portait jusqu’alors celui du bourreau des Patriotes, Colborne.
Bernard Landry, pour sa part, aurait sûrement entendu souvent l’expression Speak White quand, pour financer ses études, il s’est joint comme officier de réserve au Canadian Officers’ Training Corps et vivait en Alberta. Est-ce une raison parmi tant d’autres qui l’a amené à consacrer sa vie à la construction d’un Québec libre dont la langue nationale serait le français mais aussi à conclure l’entente remarquable avec les Cris du Québec qu’on appelle la Paix des braves?
Oscar Peterson à la place de Robert Peel
Certes Oscar Peterson mérite une place importante dans la toponymie de Montréal. Mais pourquoi ne pas renommer la rue Peel et la station de métro du même nom. Peel était un politicien britannique qui n’a jamais mis les pieds à Montréal, ni au Canada. Sinon, pourquoi ne pas remplacer le nom de la Station McGill, par celui de Peterson.
Daniel Tracey à la place de Victoria
On tente d’opposer les Irlandais de Montréal au nom de Bernard Landry pour la station de REM à Griffintown. On ferait beaucoup mieux de remplacer le nom du Métro OACI-Square-Victoria – et le nom du square en même temps – par celui d’un immigrant irlandais notoire du 19e siècle. Car eux aussi ont goûté terriblement aux emportements de l’Empire britannique, notamment sous la reine Victoria.
Pourquoi ne pas donner aux deux – station de métro et square – le nom Daniel Tracey.à? Journaliste et médecin, Daniel Tracey a été élu à l’Assemblée législative du Bas-Canada le 21 mai 1832 sous la bannière du Parti Patriote dirigé par Louis-Joseph Papineau. N’ayant pas digéré sa victoire, les Troupes britanniques ont prétexté une émeute pour ouvrir le feu sur une foule, rue Saint-Jacques, tuant trois hommes innocents. (L’émeute inventée, VLB, 2014).
Tiens, pour faire un clin d’œil à la pandémie, le docteur Tracey est mort dans l’épidémie de choléra qui a sévi à Montréal en 1832.
(Robin Philpot)
Paul Morissette
Gatineau
En prime : la vidéo « Speak White » de Falardeau :