Veuillez trouver ci-dessous notre dernier article, initialement publié sur le site d’information ivoirien Connectionivoirienne.net « . Cet article vient notamment en réaction aux propos polémiques et irresponsables tenus par Emmanuel Macron sur la démographie africaine, en 2017, et rappelle certaines réalités assez méconnues.
Ilyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone)
Spécialiste du monde francophone, conférencier
Ancien secrétaire général adjoint et trésorier adjoint de la revue Population & Avenir (spécialisée en démographie et en géographie humaine, et présidée par M. Gérard-François Dumont)
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La Côte d’Ivoire atteint les 25 millions d’habitants, mais demeure sous-peuplée
En se basant sur les données du dernier rapport annuel sur la population mondiale publié au mois d’août dernier par l’organisme américain PRB (Population Reference Bureau), une des références mondiales en matière de démographie, la population de la Côte d’Ivoire peut être estimée à 25,3 millions d’habitants au 1er janvier 2019. Mais en dépit de ce formidable dynamisme démographique, grâce auquel le pays est passé de 2,6 millions d’habitants en 1950 à plus de 25 millions aujourd’hui, la Côte d’Ivoire demeure sous-peuplée par rapport à de nombreux pays développés de taille comparable ou plus modeste.
Un pays faiblement peuplé, et plus vaste qu’on ne le croît
Avec ses 322 500 km2 environ, une superficie intégralement habitable car située en dehors des zones arides du continent, la Côte d’Ivoire est en fait non moins de 32% plus vaste que l’ensemble du Royaume-Uni (243 500 km2, Irlande du Nord incluse), qui compte pourtant 66,7 millions d’habitants, soit une population 2,6 fois plus importante. En d’autres termes, la Côte d’Ivoire devrait compter aujourd’hui 88,3 millions d’habitants pour avoir la même densité démographique que le Royaume-Uni. Autre exemple situé sur le continent européen, l’Italie abrite 60,4 millions d’habitants pour une superficie légèrement inférieure à celle de la Côte d’Ivoire (301 300 km2), qui devrait alors avoir 64,7 millions d’habitants pour être aussi densément peuplée. Enfin, le pays devrait compter 74,9 millions d’habitants s’il était proportionnellement aussi peuplé que l’Allemagne, qui en recense 83,0 millions pour un territoire légèrement supérieur à celui de la Côte d’Ivoire (357 400 km2, soit seulement 11% de plus).
Ceci est d’ailleurs l’occasion de rappeler que la très grande majorité des cartes géographiques en circulation (en particulier celles basées sur la projection de Mercator), dressent une représentation largement déformée de la planète en divisant au moins par deux ou par trois la taille des pays du Sud. Ainsi, la Côte d’Ivoire est bien près d’un tiers plus grande que le Royaume-Uni, et non deux à trois fois plus petite. Autre cas intéressant, l’Algérie n’est pas trois ou quatre fois moins étendue que le Groenland, mais 10 % plus vaste !
Mais le sous-peuplement de la Côte d’Ivoire est davantage mis en évidence lorsque l’on effectue des comparaisons avec des pays asiatiques. Ainsi, le pays compte bien moins d’habitants que la Corée du Sud, grande puissance économique et sixième exportateur mondial de biens, avec ses 51,9 millions d’habitants répartis sur un territoire pourtant 3,2 fois plus petit (100 200 km2). La Côte d’Ivoire devrait ainsi compter non moins de 167,1 millions d’habitants pour être au même niveau de densité de population que le « pays du matin calme », qui, par ailleurs, est presque aux deux tiers recouvert de forêts (part en forte hausse par rapport aux années 1960). Autre exemple assez révélateur, la Côte d’Ivoire a encore à peine plus d’habitants que la richissime Taiwan, seizième exportateur mondial de biens et dont les 23,6 millions d’habitants se répartissent sur un territoire 8,9 fois moins étendu (36 200 km2) ! En d’autres termes, la Côte d’Ivoire abriterait aujourd’hui 210,2 millions d’habitants si elle était aussi densément peuplée que Taiwan, pays lui aussi à la nature luxuriante et recouvert à près de 55% de forêts.
Sans aller géographiquement aussi loin, de simples comparaisons avec un certain nombre de pays africains, situés principalement dans la partie anglophone du continent, permet là aussi de constater la faiblesse du peuplement du pays. Ainsi, la Côte d’Ivoire est 35% plus vaste que le Ghana voisin (238 500 km2), dont la population est aujourd’hui estimée à 29,8 millions d’habitants. Si elle était proportionnellement aussi peuplée, elle compterait alors 40,3 millions d’habitants. Plus à l’est, l’Ouganda a également une superficie largement inférieure à celle de la Côte d’Ivoire et comparable à celle du Ghana (environ 241 000 km2), mais abrite une population de 44,8 millions d’habitants. Si la Côte d’Ivoire était aussi densément peuplée, elle compterait alors 60,0 millions d’habitants. Enfin, et pour revenir en Afrique de l’Ouest, le pays devrait compter non moins de 69,3 millions d’habitants pour être même niveau de peuplement que le proche Nigeria. Pourtant, il est ici assez intéressant de noter que le Nigeria et l’Ouganda continuent à avoir un taux de fécondité supérieur à celui de la Côte d’Ivoire, avec respectivement des taux de 5,5 et de 5,4 enfants par femme pour les deux premiers pays, contre un taux estimé à 4,6 pour cette dernière (taux qui sont par ailleurs sur une pente baissière depuis les années 1980, lorsqu’ils se situaient à environ 7 enfants par femme).
Au passage, il convient également de rappeler que le fait de ne pas être le pays le plus peuplé du continent n’est nullement de nature à empêcher la Côte d’Ivoire, qui ne manque pas d’atouts, à devenir sur le long terme une des principales puissances économiques d’Afrique, voire même la première. À titre d’exemple, un pays comme Taïwan et ses 23,6 millions d’habitants, soit à peu près autant que la Côte d’Ivoire, avait fin 2017 un PIB 52 % supérieur à celui du Nigeria, première économie du continent, dont il est également la première puissance démographique (198,4 millions d’habitants).
Après avoir connu une croissance annuelle de 8,6 % en moyenne sur la période septennale 2012-2018, la Côte d’Ivoire devrait continuer à enregistrer une forte croissance dans les quelques années à venir, au moins, de l’ordre de 7% par an. Dans le même temps, des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola ont connu une progression annuelle de 2,8 %, de 1,4 % et de 2,2 %, seulement et respectivement, et devraient encore afficher une croissance assez faible dans les quelques prochaines années. Sur la période septennale écoulée, la Côte d’Ivoire avait d’ailleurs réalisé la seconde meilleure performance mondiale (hors pays en guerre ou « microscopiques », qui affichent parfois des évolutions extravagantes de leur PIB dans un sens ou dans l’autre. En l’occurrence la Libye, d’une part, et Nauru, d’autre part, État insulaire du Pacifique sud ne comptant que 11 000 habitants et pour un territoire de seulement 21 km2 !). Elle n’a ainsi été dépassée que par l’Éthiopie, qui a connu une croissance annuelle de 9,4 % en moyenne (et de 7,7 % en 2018, soit légèrement plus que la Côte d’Ivoire, 7,4 %). Une performance éthiopienne qui résulte essentiellement du très faible niveau de développement de ce pays d’Afrique de l’Est, qui était le deuxième pays le plus pauvre au monde début 2012 et qui demeure un des plus pauvres avec un PIB par habitant de seulement 770 dollars environ, fin 2017 (contre 1 540 pour la Côte d’Ivoire, selon les derniers chiffres disponibles auprès de la Banque mondiale).
Si la tendance se poursuit, la Côte d’Ivoire, peuplée de 25 millions d’habitants, et du double d’ici 2050, peut donc parfaitement devenir, elle aussi, la première puissance économique du continent (tout en ayant dépassé auparavant un certain nombre de pays développés). Tout dépendra alors de la capacité des Ivoiriens à faire émerger une société organisée, disciplinée et innovante, et à travailler tous ensemble, main dans la main, en ne regardant que vers l’avenir.
Une nature généreuse et sous-exploitée
D’ailleurs, il convient de rappeler que la Côte d’Ivoire a le grand avantage d’avoir un territoire intégralement exploitable, contrairement à une grande partie des pays du monde. Même l’Italie et la Corée du Sud précédemment citées ne peuvent compter sur un tel avantage, leur territoire étant en partie très montagneux. Cet inconvénient est encore plus important pour Taiwan, île aux deux tiers montagneuse, dont 40 % du territoire est situé à plus de 1 000 mètres d’altitude et qui compte plusieurs dizaines de sommets de plus de 3000 mètres. Un relief assez désavantageux, et qui rend inhabitable et difficilement accessible une partie non négligeable du pays.
Mais en plus de sa topographie favorable, la Côte d’Ivoire a également la chance de pouvoir compter sur d’assez importantes précipitations sur l’ensemble de son territoire, et de jouir ainsi d’un potentiel agricole considérable, qui n’est plus à démontrer. Un potentiel qui, en dehors de quelques cultures d’exportation, demeure toutefois encore largement sous-exploité, ce qui est d’autant plus regrettable qu’une plus grande utilisation des atouts agricoles du pays serait de nature à contribuer grandement à son industrialisation, à travers les industries agroalimentaires. Le développement de l’agriculture et des industries agroalimentaires contribuerait alors à pérenniser la forte croissance économique que connaît actuellement le pays. Il convient d’ailleurs de rappeler ici que la Côte d’Ivoire fait partie de la plus vaste zone de forte croissance du continent qu’est l’UEMOA, un espace de huit pays dont le PIB global a connu une hausse annuelle de 6,3% en moyenne sur la période de sept années allant de 2012 à 2018. Une performance unique sur le continent pour une zone aussi vaste, et qui a contribué à faire de l’Afrique francophone subsaharienne le moteur de la croissance africaine, arrivant en tête pendant six des sept dernières années (et pour la cinquième fois consécutive en 2018) et affichant une croissance annuelle globale de 4,2 % en moyenne (4,9 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale), contre 2,9 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne sur la période 2012-2018. Par ailleurs, il est intéressant de constater que la croissance économique enregistrée par l’espace UEMOA sur ces sept dernières années a ainsi été plus de deux fois plus importante que sa croissance démographique annuelle, d’environ 3,0%. Chose qui contredit clairement les affirmations de certains commentateurs, selon lesquelles une forte croissance démographique serait un frein à la croissance économique.
La Côte d’Ivoire, et plus globalement les pays du Sud, doivent donc continuer à œuvrer à la défense de leurs intérêts, à l’accroissement de leur visibilité sur la scène internationale, et ce, sans se préoccuper des déclarations de certains commentateurs ou de certaines personnalités venant d’autres continents, et dont les intentions ne sont pas toujours les meilleures (ou dont l’attitude est motivée par la crainte des flux migratoires). La croissance démographique, et même la surpopulation (concept dont la définition est très difficile à établir, en plus d’être variable d’une génération à une autre, depuis l’antiquité…) n’ont jamais été de nature à empêcher un pays de se développer. Comme le démontre l’exemple de nombreux pays asiatiques et européens, fortement peuplés et faiblement dotés en ressources naturelles, le développement économique d’une nation repose d’abord et essentiellement sur le respect des trois conditions suivantes : l’organisation, le travail et la discipline.
Enfin, et pour ce qui est de la protection de l’environnement, il convient de rappeler que l’humanité, qui n’a d’ailleurs jusqu’ici utilisé que moins de 5% de l’ensemble des richesses naturelles de la planète (sur terre et en mer), malgré plusieurs siècles d’exploitation, utilise aujourd’hui moins de 1% du potentiel mondial en matière d’énergies renouvelables, considérées comme non polluantes et qui sont donc à privilégier (énergies solaire, éolienne et hydraulique, géothermie et biomasse). Une très large sous-exploitation de ces énergies qui est également valable pour la Côte d’Ivoire. Ainsi, et compte tenu des grands espaces encore disponibles, du potentiel considérable en énergies renouvelables, et des progrès permanents de la science (dans l’agriculture, les énergies renouvelables, le traitement des déchets, l’architecture…), la Terre pourrait aisément abriter bien davantage que sa population actuelle. Et même, et n’en déplaise à certains, beaucoup plus que le niveau autour duquel devrait se stabiliser la population mondiale selon les projections les plus récentes (autour de 11 milliards d’habitants à la fin du siècle, avant de diminuer).