Nous sommes tous surpris par l’ampleur de la contestation de la hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement Charest. Nul ne se doutait que se cachait au fond de la jeunesse une colère et un goût si puissant pour le politique.
Pourtant, la contestation, c’est la rue qui l’a menée et l’opposition en Assemblée Nationale fut bien subtile et silencieuse. Face à l’absence totale de projet à long terme qu’incarnent les politiques des Libéraux et leurs sous-fifres d’une certaine coalition, rien de très éclatant ne s’est fait entendre sur les bancs des élus portant le carré rouge.
Bien sûr, Amir Khadir a maintes fois clamé son désaccord en proposant un plan menant vers la gratuité scolaire. Mais ses cris, sincères certes, n’arrivent toujours pas à rejoindre les gens et son parti s’obstine à concevoir l’indépendance comme simple moyen pour gouverner à gauche. M. Aussant a lui aussi bien voulu clamer son opposition, mais le peu de tribune que l’on accorde à ces petits partis dans notre système parlementaire ne lui donne pas la chance de s’exprimer autant qu’il l’aurait souhaité.
La hausse des frais de scolarité a provoqué une colère monstre qu’aucun parti politique n’a su canaliser et ce n’est pas les occasions qui manquaient. Le Parti Québécois a failli, une fois de plus, à sa tâche de véhicule de l’indépendance et ses deux acolytes souverainistes doivent avouer leurs échecs quant à l’insertion de la dimension nationale dans le débat sur la hausse, et ce, malgré les liens évidents entre les dangers de cette politique et notre situation minoritaire.
Un peuple, dont la reconnaissance est ambigüe, dont la situation politique est désavantageuse, dont la langue s’effrite et dont les frontières culturelles s’effondrent lentement, ne peut appliquer une politique régressive comme celle de la hausse des frais de scolarité. Nous ne pouvons couper dans ce qui est le cœur de la transmission de notre héritage : l’éducation.
Les États-Unis et le reste du Canada entreprennent aveuglément une dilapidation de l’Université comme diffuseur d’un patrimoine et comme institution abattant les inégalités sociales, mais ici, dans une société qui ne va massivement à l’école que depuis quelques décennies, nous ne devons pas, encore moins que quiconque, entreprendre cette dérive.
Il est très déplorable que des péquistes notoires comme Lucien Bouchard ou Joseph Facal voient en l’adoption du modèle universitaire anglo-saxon une voie à suivre. L’affirmation du caractère distinct de notre société me semble vitale et transcende les intérêts marchands. L’université, cœur de la sauvegarde de notre patrimoine et de la création d’intellectuels, d’économistes, de mathématiciens ou de médecins dont la langue commune est le français, doit avoir un statut particulier dans une société comme la nôtre.
Un frisson me traverse le corps lorsque je les entends, ces « lucides », dire qu’il faut « rattraper la moyenne canadienne ». Ils tombent dans le même piège que les contestataires de la hausse travaillant à exporter la lutte dans d’autres provinces, comme si les crises que nous traversions n’étaient pas teintées de notre unicité. Les cris du peuple distinct aspirant à la liberté étant tombés dans les abîmes de la mondialisation, nous devrions maintenant nous adapter aux politiques canadiennes, ces politiques qui sont celles d’un autre peuple, dans ce pays où nous avons toujours été de drôle d’étrangers, toujours vivants par un calcul historique incompréhensible et s’agitant obstinément, comme un poisson qu’on aurait sorti de l’eau.
La question de notre présence ne se résume pas à la question linguistique. Elle traverse tous les enjeux de notre société. Nombreux sont les gestes sociologiques de repli, de déni et d’oubli que nous pouvons observer dans nos comportements, signes propres aux sociétés longtemps colonisées et minorisées.
C’est en réponse à cela que notre peuple se doit d’avoir des institutions universitaires puissantes, libérées d’obstacles qui peuvent entraver son accès. En plus d’avoir un système scolaire primaire, secondaire et collégial déficient sur plusieurs points, la hausse des frais de scolarité est une décision irresponsable, qu’il faut contester face à ce gouvernement qui a toujours été indifférent quant à la pérennité du fait français en Amérique.
On pourrait croire que la question nationale est exclue de ce débat, car la décision de la hausse est prise par le gouvernement québécois et donne l’impression que c’est un enjeu « à l’interne ». Pourtant, l’éducation d’un peuple touche inévitablement à tous les aspects de son rapport au monde, tant social que culturel ou économique. Notre vieux traumatisme s’y cache, tel un mauvais spectre, prêt à nous hanter, dissimulé sans que le temps ne parvienne à l’effacer. Enjeu social impossible à canaliser, débat public avorté, loi répressive, ligne dure, indifférence. Quelque chose ne tourne pas rond et permettez-moi d’avancer qu’à sa source réside peut-être notre hésitation à exister, notre ambivalence à être et à prendre une place dans le monde.
L’éducation doit devenir une raison commune, pour citer Fernand Dumont, car notre situation est bien précaire et le confort que nous ont procuré les acquis sociaux nous l’a fait oublier. Le discours dit « néolibéral », qui gagne en popularité chez les élites, qui tend à évacuer toute forme d’expressions culturelles distinctes et qui dilapide des acquis sociaux de base, doit, en entrant ici, être entendu avec prudence par tous les Québécois, car il est porteur de déconstruction pour notre peuple. Il faut continuer l’opposition et faire comprendre qu’on ne se laisse pas vendre à n’importe quel prix, au nom de concepts fallacieux ou douteux comme la juste part ou l’économie du savoir.
Et l’on nous regarde encore et toujours, hors du Québec, avec des yeux d’incompréhension, ceux-là mêmes qui nous ont toujours fixés dans notre interminable lutte de survivance qui nous a cloîtrée depuis peu dans le confort et l’indifférence. C’est de ce sommeil que doivent s’extirper les Québécois, c’est le mouvement étudiant qui doit en sonner l’alarme et c’est un parti politique qui doit en tenir les rênes avec fermeté, détermination et désir d’indépendance, comme il l’a déjà fait dans le passé.
Une éducation libre dans un Québec qui l’est tout autant, voilà ce qui doit revenir au cœur du débat.
Vincent Dorais
Étudiant au Cégep de l’Outaouais en Sciences Humaines