S’ÉLEVER CONTRE MACLEAN’S

Parue dans Le Devoir de mardi dernier, cette chronique du professeur Stréliski est d’une profondeur remarquable.
Il me semble qu’Impératif français devrait la diffuser le plus largement possible.

Claude Rochon
Gatineau (Québec)


Questions d’image –

S’élever

Jean-Jacques Stréliski

Le Devoir, 12 octobre 2010, p. A 7

Nul besoin d’une longue analyse d’impact pour saisir pourquoi et comment il se fait que, trois semaines après sa publication, «l’article» de Maclean’s fait encore parler. Son empreinte, je le pense, restera gravée dans bien des mémoires. Il faudra composer avec. Et surtout avec les exacerbations qu’il ne manquera pas de produire.

On n’oubliera pas de sitôt cet article d’une rare malhonnêteté. En procédant à des amalgames douteux, mêlant des allégations de pratiques corruptives — dont on peut croire qu’elles existent — et l’ensemble des habitants de la province du Québec, ses auteurs, visiblement en quête de sensationnalisme, ne se doutaient sans doute pas de l’effet ravageur que leur papier aurait sur la suite des choses. Ou, du moins, feignent-ils de s’en étonner.

Les séquelles ne se mesureront que plus tard. Ce pamphlet a fait trop de bruit, car il nous a ramenés soudainement à une autre époque. Il a réveillé en nous trop de vieux démons et ravivé des amertumes qu’on croyait enfouies dans le temps, effacées par les changements de paradigmes des sociétés nouvelles.

Quelle que soit leur conviction politique, les Québécois auront un jour l’occasion de se souvenir pour de bon de cette attaque sournoise à leur intégrité. Elle reviendra hanter le discours électoral des fédéralistes, elle ne manquera pas de stimuler l’ardeur des souverainistes. Rendez-vous donc aux prochaines élections. Ça ne devrait pas tarder.

Toute sauvage que soit cette provocation journalistique, elle dévoile, une fois de plus, la stratégie populiste de certains médias d’information et leurs tentations sensationnalistes. Une dérive insensée qui guide le public vers des nouvelles et des éditoriaux dont le voyeurisme, le drame, la facilité, quand ce n’est pas la médiocrité, constituent l’ossature principale. Elle nous dérange d’autant qu’elle contraste énormément avec les pratiques d’un journalisme déontologique auquel nous avions été habitués depuis de longues années et qui peine désormais à se maintenir en place.

Les conglomérats de presse, les convergences de tout acabit, nous amènent dès lors vers des manipulations plus que dangereuses lorsque ces conglomérats prennent en relais des philosophies et des points de vue politiques d’une démagogie absolue. Le Canada, qui échappait quelque peu à ces mouvements, est-il désormais soumis aux mêmes aléas? Le gouvernement actuel — gouvernement minoritaire qui se comporte comme s’il était majoritaire — nous donne chaque jour davantage la nette impression d’une mainmise sur les canaux de fabrication et de diffusion de l’information, tout droit inspirée d’un modèle pratiqué chez nos voisins du sud, comme celui qui, actuellement, favorise l’émergence et le rayonnement du Tea Party grâce aux liens politico-médiatiques tissés avec Fox News.

L’ère de la propagande est bel et bien revenue. Au Canada, au Québec, cela nous menace. Saurons-nous réellement nous opposer à cette propagation? Je n’ai pas de réponse.

Ce que je sais: c’est que les débats de l’heure, au Canada comme au Québec, ne sont pas dignes de ceux que l’on devrait tenir pour doter les générations futures d’un avenir stimulant.

Une autre chose m’apparaît claire: le temps du «réveil des intellectuels» est venu. De tout poil et de toute provenance. Universitaires, professeurs ou étudiants, philosophes, sociologues et journalistes, politiciens en puissance, scientifiques, écrivains, créateurs et artistes, influenceurs économiques, tous et toutes doivent désormais rassembler leurs forces érudites, visionnaires, novatrices, actives, intelligentes, justes et éthiques, pour, certes, faire contrepoids à ces manipulations évidentes, mais surtout pour faire corps autour d’un projet solide de société.

Je ne veux pas penser qu’on puisse rassembler 50 000 personnes pour la construction d’un amphithéâtre avec des fonds publics, dans une grande marche populaire, tandis qu’on aurait de la difficulté à mobiliser les citoyens autour d’un nouveau projet de société, dont les enjeux humains, économiques et environnementaux sont autrement plus importants.

Souvenons-nous de la Révolution tranquille. Elle n’eut de révolution que le nom, mais elle fut en son temps le signal d’une évolution magistrale, le témoignage fort d’une mobilisation générale des penseurs autour de grandes questions, économiques, sociales, intellectuelles et culturelles.

De toutes nos forces, il faut nous élever. Nous élever au-dessus des mêlées, laisser derrière nous ces temps révolus de débats stériles et nauséeux, ces commissions et ces enquêtes tronquées, ces joutes populistes, ces médias ignares et leurs influenceurs bidon.

Le Québec brillant, le Québec performant, le Québec rayonnant, le Québec talentueux, novateur et instruit: le Québec d’aujourd’hui, mérite, me semble-t-il, beaucoup mieux. Non?

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