Avant de pousser un homme au premier rang, les Québécois devraient peser l’aptitude de celui-ci à comprendre sa fonction et mesurer la déception possible de l’espérance que l’on va placer en lui. Plusieurs signes nous en prévenaient, mais cette lamentable sortie contre l’indépendance ne permet plus aucun doute. Lucien Bouchard ne s’est jamais affranchi de l’ambivalence de sa double carrière, tantôt à Ottawa, tantôt à Québec , et maintenant de nouveau à Ottawa par son acceptation fataliste du régime fédéral. Sa sortie du politique n’avait rien eu de glorieux. Il a calomnié Yves Michaud d’antisémitisme et s’est entêté dans cette position fausse pour se donner les gants de déserter les devoirs de son poste. Il affirme que l’indépendance n’est pas réalisable alors qu’elle dépend, hier comme aujourd’hui, de la foi nationale, de l’imagination et de la force politique de ceux qui la promeuvent. Si le Québec paraît aujourd’hui dans une impasse, c’est à cause des lacunes de ses dirigeants sur un ou plusieurs de ces points. Les plus dommageables à la cause ont été sans nul doute René Lévesque et Lucien Bouchard. L’examen de leur carrière démontre chez eux la faiblesse de leur conviction, leur ambivalence dans l’action et une complicité de fait avec le régime fédéral dont ils prétendaient vouloir sortir.
Le Québec a survécu à la Conquête de 1759, et depuis il a connu plusieurs renaissances et des avancées prometteuses dont la dernière fut la Révolution tranquille. Or toute l’énergie nationale qui a impulsé nos progrès dépendait du » rêve » plus ou moins précis de l’indépendance. Le désir d’autonomie et même les luttes pour obtenir une juste place dans la confédération sont des formes timides, contradictoires ou perverties de l’indépendance. Peut-on mobiliser indéfiniment un peuple, le soumettre à des luttes épuisantes si on supprime le but de celles-ci qui est l’indépendance? Et si tous nos efforts arrêtés avant d’atteindre le but sont fatalement confisqués et dénaturés au profit du Canada? L’indépendance n’est pas à confondre avec les différents problèmes du Québec mais elle est la source de l’énergie nationale et la motivation de tout notre agir appliqué aux problèmes d’importance relative que M. Bouchard énumère un peu pêle-mêle : décrochage scolaire, financement des universités, tarif d’électricité trop bas, etc. Comme tous nos efforts ont plus ou moins échoué, il faut s’interroger sur notre compréhension du concept d’indépendance et sur notre volonté réelle d’y accéder.
Au lieu de jeter la pierre à M. Bouchard, il faut plutôt avoir pitié d’un homme qui a occupé un poste dans lequel on l’a poussé, mais dont il ne pouvait et voulait pas profondément assumer les exigences. En réalité, il a évoqué sous nos yeux le cauchemar d’une carrière avortée, toujours en recherche de sa cohérence et qui se désespère de ne pas avoir été à la hauteur au bon moment. Pourquoi ne pas lui suggérer amicalement de retourner à la source de ses rêves au lieu de vouloir en désespérer ses concitoyens?
Hubert Larocque, Gatineau.