LES FRANÇAIS, CRÉTINS DE SERVICE

Russel Crowe, dont le charisme en tant qu’acteur, évoque, en moins tiède, un réfrigérateur des années cinquante, doit avoir un compte personnel à régler avec nous.
Déjà, dans Master and Commander, il pourchassait, à bord d’une frégate anglaise, un vaisseau français de Napoléon, l’Acheron, trahissant ainsi (avec la production toute entière) le roman de Patrick O’Brian. Dans celui-ci en effet, le coupable était anglais et le justicier américain, l’époque étant celle de la Guerre d’Indépendance. Un détail!

Devenu Robin des Bois, l’infatigable Russell règle son compte à une armée française, dans les années 1210. Pourquoi pas? Le roman de Peacock n’est lui-même qu’une des mille digressions sur le thème du bandit-bien-aimé. Évidemment, on passe sous silence la déconfiture de Jean sans Terre sur le sol français, le Dimanche de Bouvines et le débarquement des troupes de Charles VIII en Angleterre, précisément à cette époque-là, mais bast! La question n’est pas là.

Où est-elle, alors? Ici : il est remarquable, constant, pérenne, que pour le cinéma américain, la tête de Turc idéale et sans cesse renouvelée soit le Français. On pourrait penser à l’Espagnol, au Hollandais, au Russe, même. Mais non! Le traître, le mou, l’antipathique, le visqueux, le benêt, le bouffi et le bouffon, celui dont on se plaît à rabaisser le caquet, c’est idéalement le Français, dans une infinité de variantes incluant telles ou telles de ces tares incurables.

Étrange obsession. Pratique, à coup sûr. Et finalement difficile à comprendre. L’ingratitude n’est pas facile à admettre, même si le proverbe affirme que « rendre un service à quelqu’un, c’est fabriquer un ingrat ».

L’honnêteté historique imposerait donc normalement aux producteurs U.S. de réaliser un jour un grand film d’aujourd’hui, dont le scenario pourrait être le suivant : » les insurgés des treize colonies sont au bout du rouleau, ils ont remporté quelques victoires mais, insuffisamment armés, démoralisés, ils sont proches de la reddition, face à des Anglais maîtres de la mer et qui reprennent une à une les positions perdues au début de la rebellion. En France se lève une armée et se constitue une flotte dont l’intervention va sauver des gens plus proches du gibet que de l’indépendance ». Car telle est la vérité historique. Avec une belle histoire d’amour et suffisamment de figurants, quel « blockbuster »!

On peut rêver.

De même, la belle histoire d’un jeune lieutenant de milice, virginien, qui fit tirer sur une ambassade sans armes (Français et Canadiens, une douzaine de morts) aux alentours du Fort Duquesne (aujourd’hui Pittsburg) en 1754, mériterait quelques images fortes. Ce jeune homme, qui, fait prisonnier, signa des aveux (hélas perdus lors de l’évacuation du fort), s’appelait Georges Washington. Un joil rôle pour notre ami Crowe, comme le serait, côté bravoure française, celui de sa victime, Monsieur de Jumonville.
On peut encore rêver.

Tout ceci pour vous dire, frères-amis du Québec, que l’on est toujours le guignol de quelqu’un, l’ennui étant que si l’on peut s’en foutre lorsqu’on est à égalité avec les ricaneurs, ce n’est plus tout-à-fait pareil lorsque la balance penche vers celui qui vous dominera. J’ai le sentiment que nous risquons bientôt, les uns et les autres, de nous entendre dire que finalement, nous avons l’abaissement, la soumission et la honte que nous méritons, preuves à l’appui.

Il y a là du grain à moudre pour tous ceux aux yeux de qui notre histoire commune, prolongée chacun pour soi jusqu’à notre si merveilleux 21è siècle, n’est qu’un épisode mineur, une bizarrerie, une scorie que des scénaristes payés à la ligne se permettent depuis toujours de déformer, de railler, de mépriser, au point de finir par la balayer, d’un simple trait de plume.

Alain Dubos
Arcueil, France

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