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La politique que poursuit le Canada paraît digne de lord Durham.

Le recensement de 1971 a recueilli les toutes premières données sur la langue d’usage à la maison. Après les avoir analysées, l’éminent sociologue Frank Vallee avait, en 1974, avancé un taux d’anglicisation de 50 % comme point de non-retour pour une minorité francophone hors Québec. Selon lui, cela signifierait que l’anglais aurait si profondément pénétré le réseau de communications intimes d’une minorité qu’aucune espèce de bricolage institutionnel ne serait susceptible de renverser sa tendance à s’assimiler.

Dans cette optique, la politique que poursuit le Canada paraît digne de lord Durham. Le tableau 5 de mon dernier livre, Le fiasco de la politique linguistique canadienne (2021), indique en effet que le taux d’anglicisation de l’ensemble des francophones hors Québec est passé de 27 % en 1971 à 40 % en 2016. Selon le recensement de 2021, il a maintenant dépassé 42 % (voir notre tableau).

L’assimilation à l’extérieur du Québec, 2016-2021 

  2016 2021
Assimilation nette
Anglicisation nette des francophones (1) 404 000 423 600
Taux d’anglicisation nette des francophones 40,1 % 42,4 %
Anglicisation nette des allophones (2)

Francisation nette des allophones (3)

2 473 400

14 300

2 668 000

12 500

Part du français dans l’assimilation nette

des allophones (3) / ((2) + (3))

0,6 % 0,5 %
Bilan global de l’assimilation
Gains globaux de l’anglais (1) + (2)

Pertes globales du français (3) – (1)

2 877 400

– 389 700

3 091 600

– 411 200

Voyons d’un plus près les minorités non limitrophes du Québec. En 1971, leurs taux d’anglicisation se situaient entre un minimum de 31 %, observé en Nouvelle-Écosse, et un maximum de 70 %, en Colombie-Britannique. En 2021, ils se situaient entre 55 % (Nouvelle-Écosse et Île-du-Prince-Édouard) et 74 % (Saskatchewan). Selon le critère de Vallee, le sort des sept minorités en question est désormais scellé.

Lord Durham n’a donc pas chômé. Le paragraphe 23(3) de la sacro-sainte Charte canadienne des droits et libertés mérite d’ailleurs le nom de « clause Durham ». Il n’oblige les provinces hors Québec, autres que le Nouveau-Brunswick, à n’assurer à leurs minorités le droit de faire instruire leurs enfants en français et ce, dans leurs propres écoles, que « lorsque le nombre de ces enfants le justifie ». Mesquine à souhait, cette contrainte s’est avérée le cheval de Troie de l’assimilation.

Car si ces minorités volent de victoire en victoire devant les tribunaux, elles connaissent leur défaite finale dans la cour d’école. Pour obtenir une école française, il faut d’abord démontrer, avec l’aide d’avocats habiles à s’en mettre plein les poches, que le nombre d’élèves potentiels le justifie. Et pour la conserver, s’assurer que son nombre d’élèves effectivement inscrits continue à le justifier. La clause Durham pousse ainsi ces minorités à constamment gonfler leur effectif et, leurs conseils scolaires, à admettre une proportion sans cesse croissante d’enfants anglophones qui ignorent tout du français, mais dont les parents, anglicisés, n’en demeurent pas moins des « ayants droit » habilités à inscrire leurs enfants à l’école française. Qui est alors réduite à prodiguer des cours d’immersion française pour petits anglophones, au détriment du progrès en français et du renforcement identitaire de ses élèves francophones. Couloirs, cafétéria, gymnase, autobus scolaires, tout passe à l’anglais, lequel s’immisce, d’ailleurs, jusque dans la salle de classe. La clause Durham transforme ainsi l’école française en foyer d’anglicisation pour ce qu’il reste de ces minorités.

En Ontario aussi, la minorité arrive au point de non-retour. Son taux d’anglicisation est passé de 27 % en 1971 à 46 % en 2021. Au dernier recensement, il s’élevait à 31 %, déjà, parmi les élèves francophones âgés de seulement 10 à 14 ans. Et à 53 % parmi les jeunes adultes de 25 à 34 ans, indice fiable de la tendance à venir.

Le Canada révise actuellement sa politique linguistique. Mais ces huit minorités n’ont pas exigé la mise au rebut de la clause Durham, héritage empoisonné de Trudeau père. Au contraire, elles ont remercié Trudeau fils d’avoir consacré une page entière du recensement de 2021 à énumérer plus finement les ayants droit. Beau cas de syndrome de Stockholm. Qu’elles fracassent donc ce cercle vicieux ! À titre de réparation des torts causés depuis 1982 par la clause Durham, que ces huit minorités réclament le droit inconditionnel à une scolarisation en français avec un financement à l’avenant, afin de pouvoir disposer sans contrainte d’écoles distinctes, les unes assurant enfin aux élèves authentiquement francophones un épanouissement scolaire et un développement identitaire appropriés, et les autres, la refrancisation des enfants d’ayants droit anglicisés.

La clause Durham n’a pas prise au Nouveau-Brunswick. Francophones et anglophones y jouissent depuis 1981 de droits égaux à des institutions d’enseignement distinctes. Néanmoins, l’anglicisation des francophones s’est mise plus récemment à progresser de façon sensible, passant de 9 % en 2001 à 12 % en 2021 – et à 14 % chez les jeunes adultes. Certes, le point de non-retour demeure très loin. Mais la partie est mal engagée. Aux Acadiens de réagir.

Un vent semblable souffle au Québec. L’anglicisation nette de la majorité francophone y est passée de 0,13 % en 2001 à 0,36 % en 2016, puis à 0,58 % en 2021.

Ces deux derniers pourcentages peuvent paraître bien faibles. Ils s’appliquent, cependant, à une population francophone de plus de six millions. Nous avons vu dans notre dernière chronique que cette hausse, entre 2016 et 2021, du taux d’anglicisation nette équivaut à une hausse de 14 000 dans le nombre net de francophones anglicisés au Québec. Notre présent tableau ajoute qu’en même temps, le nombre net de francophones anglicisés à l’extérieur du Québec a augmenté de 404 000 à 423 600, une hausse de 19 600. Voilà où nous en sommes : la hausse de l’anglicisation de la majorité au Québec et celle de l’anglicisation des minorités hors Québec contribuent maintenant à peu près au même degré au déséquilibre croissant entre les populations de langue anglaise et de langue française dans l’ensemble du Canada.

Au vu du profil des données de 1971 sur l’anglicisation des diverses populations francophones au Canada recoupées selon l’âge, j’avais, à mon tour, formulé en 1974 l’hypothèse qu’un taux d’anglicisation sensiblement plus élevé parmi les jeunes adultes que parmi leurs aînés caractérisait une population francophone dont l’anglicisation était en hausse. Les recensements subséquents l’ont largement confirmée. Précisons par conséquent qu’au Québec, le taux d’anglicisation nette des francophones en 2021 atteignait résolument son maximum, soit 1,4 %, parmi les jeunes adultes de 25 à 34 ans. Même chose dans la région métropolitaine de recensement de Montréal, avec un maximum de 3,0 % chez les 25-34 ans. De même aussi dans l’île, où le maximum dépasse 5 %. Oui, 5 %.

Impossible de ne pas entendre là l’écho de la ruée des jeunes francophones vers le cégep anglais. À voir l’acharnement que met François Legault à repousser cette évidence, c’est à croire qu’il a intériorisé sa propre clause Durham. Il est là, le véritable suicide de la nation québécoise.

 

Charles Castonguay

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